Zéro artificialisation nette : les associations d’élus locaux affinent leurs propositions sur la méthode

Quatre associations d'élus ont participé ce 27 juillet à une table ronde organisée par la commission des affaires économiques du Sénat sur le déploiement, dans les documents d’urbanisme, des objectifs de "zéro artificialisation nette" (ZAN). L’occasion d’exposer leurs difficultés dans l'applicabilité du ZAN mais aussi d’avancer des pistes, notamment financières, pour assurer sa territorialisation.

Dans la suite de la consultation en ligne auprès des élus locaux sur la mise en application du volet "lutte contre l’artificialisation" de la loi Climat et Résilience, le Sénat, qui prépare au grand jour sa contre-offensive sur le sujet, organisait ce 27 juillet, dans le cadre de sa commission des affaires économiques et autour de quatre associations d’élus, une table ronde sur le déploiement, dans les documents d’urbanisme des communes et intercommunalités, des objectifs de "zéro artificialisation nette" (ZAN).

"Aller vite dans le flou c’est compliqué", relève pour France urbaine, Annette Laigneau, vice-présidente de Toulouse Métropole, en charge de l’urbanisme et des projets urbains. Car si les élus partagent l’ambition d’une gestion plus économe des espaces, ils plaident unanimement pour un changement de méthode, et en particulier pour une définition d’un modèle fiscal et financier accompagnant l’objectif de réduction de l’artificialisation.

"C’est surprenant dans la démarche de créer un outil et ensuite de se demander comment on le finance. (…) Si les choses avaient été faites dans le bon ordre on n'en serait pas là", regrette Alain Chrétien, vice-président de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Vesoul. D’autant que cette problématique du ZAN arrive dans un contexte de "fortes inquiétudes" sur le plan financier avec les propositions du gouvernement de poursuivre la recentralisation de la fiscalité locale - suppression de la taxe d’habitation et remplacement envisagé de la CVAE par une fraction de TVA - et des marchés publics marqués par l’explosion du coût des matières premières et de l’énergie, rappelle-t-il. L’AMF espère ainsi que la démarche du Sénat permettra de revoir la rédaction des décrets ZAN pris fin avril - sur lesquels l’association a déposé un recours devant le Conseil d’État - et de convaincre le gouvernement "qu’il faut prendre du temps collectivement pour que ce ZAN ne soit pas subi mais approprié par l’ensemble des politiques d’aménagement locales".

Le 13 juillet dernier, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, a déjà fait un pas en invitant les sénateurs à réfléchir "dans le respect de l'objectif fixé, aux modalités de sa mise en œuvre et, peut-être, à la réécriture d'une partie des décrets – pour éviter que, visant un objectif, on en atteigne un autre !".  

Risques juridiques pour les documents d’urbanisme

"Réinstaurer un dialogue de coconstruction ascendant qui parte des territoires et aussi des territoires ruraux", tel est l’objectif partagé par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), représentée par Sébastien Gouttebel. Le président de l’antenne du Puy-de-Dôme de l'AMRF prône un "droit aux projets", alors que nombre des communes sont encore au RNU (règlement national d’urbanisme) - de l’ordre de 30% environ -, c’est-à-dire sans document d’urbanisme, et "découvrent" donc à peine le sujet, insiste-t-il.

"La première chose est d’essayer de faire comprendre (…) que chaque intercommunalité doit se doter d’un projet de territoire et donc d’un outil PLUi", estime Alain Chrétien, jugeant la démarche de conférence des Scot pour territorialiser les objectifs "déconnectée" du terrain. Intercommunalités de France (ADCF) se range derrière ce constat tout en insistant pour que cette échelle de la conférence des Scot ait son rôle mais soit en capacité de faire "redescendre" les échanges jusqu’aux communes.

Pour les association d’élus le risque est aussi bel et bien avec les décrets ZAN de fragiliser juridiquement les documents de planification (Scot, PLU) lorsqu’ils existent, déjà source de nombreux et lourds contentieux, et dont le coût d’élaboration peut friser le million d’euros. D’où la nécessité de "border la stratégie des collectivités de manière à éviter les risques contentieux", insiste Annette Laigneau, qui défend également la généralisation de l’utilisation de l’occupation du sol à grande échelle (OCS GE) proposée par l’IGN "pour réaliser l’état des lieux et mesurer ce que l’on fait". 

Contractualiser : la voie royale pour la différenciation

La contractualisation avec l’État sur des objectifs de sobriété foncière en partant des territoires est de toute évidence la solution privilégiée par l’ensemble des associations d’élus. Et pourquoi pas en s'adossant aux contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Malgré leur qualité très inégale, ils peuvent "être un espace, là où cela s’y prête, pour traduire dans un contrat la mise en oeuvre du chemin pour atteindre le ZAN", remarque Sébastien Miossec président délégué d’Intercommunalités de France. C'est aussi la position de France urbaine de s'appuyer sur les CRTE.

Autre forme de contractualisation entre élus, le PLUi est aussi selon lui une manière de "penser les solidarités territoriales". La question du périmètre de la contractualisation reste donc ouverte, "CRTE, Scot, PLUi, lorsqu’ils existent", énumère l’AMF qui alerte toutefois sur le risque "d’une France à deux vitesses, une France contractuelle et une France solitaire (…) lorsqu’il n’y a rien de tout cela". "Si le contrat est adapté au territoire c’est intéressant (…), là aussi il faudra être très flexible", résume Alain Chrétien.

C’est bien toute la vertu de la contractualisation de tenir compte du territoire. France urbaine y voit l'avantage d'"un accompagnement de l’État à la méthode, l’objectif reste le même mais la façon d’y parvenir est différente en fonction des territoires". Une façon aussi de se laisser un peu de temps…Parler de contractualisation sous-entend derrière des moyens au service des projets de territoire, soutient également Sébastien Gouttebel, faisant remonter entre autres des difficultés d’ingénierie. La nostalgie des anciennes directions départementales de l'Équipement (DDE) se fait d'ailleurs encore sentir. 

Plusieurs pistes de financement 

Le récent rapport de contrôle budgétaire du sénateur Jean-Baptiste Blanc (LR/Vaucluse) sur "les outils financiers en vue de l'atteinte de l’objectif ZAN" est dans toutes les têtes. L’AMF balaye la piste d’un nouvel "impôt ZAN" comme celle des exonérations fiscales "pas nécessairement efficaces", pour privilégier l’augmentation de la taxe d’aménagement, "sans doute le vecteur fiscal le plus efficace" pour financer un fonds friches pérennisé. C’est d’ailleurs l’une des pistes qui sera examinée par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) rattaché à la Cour des comptes, dans le cadre d’une étude sur la prise en compte, par la fiscalité locale, de l’objectif de ZAN, avec l'idée de faire des simulations des impôts et taxes existants pour les "toiletter".

"Pas de recette magique" pour financer le ZAN du côté de France urbaine, mais la même évidence qu’"il faut des dispositifs fiscaux pour freiner la spéculation foncière" et également trouver "un véritable modèle économique à la renaturation". Le modèle de fiscalité locale est à "repenser fortement pour le rendre cohérent avec cet objectif du ZAN", approuve Sébastien Miossec. Les Maires ruraux plaident pour leur paroisse en proposant la mise en place d’un fonds spécifique à la ruralité pour la rénovation du bâti. 

Beaucoup d’autres sujets inquiètent les élus, et en particulier celui des projets à caractère "exceptionnel" d’envergure nationale ou régionale, illustré notamment par Annette Laigneau, pour Toulouse Métropole, par l’activité d’Airbus (dont le besoin de 100 hectares pourrait conduire à délocaliser la construction du futur avion décarboné à Hambourg en Allemagne), ou encore la LGV Sud-Ouest, ou l’autoroute Toulouse-Castres… sachant que le capital foncier à consommer pour les dix ans à venir dans la métropole est de 650 hectares. À l’inverse la renaturation de plusieurs secteurs de la métropole (île du Ramier, ancienne piste d’Air France, etc.) n’est pas décomptée en l’état des décrets ZAN, qui au final pénalisent les "bons élèves". 

Les échanges devraient se poursuivre au Sénat avec l’Assemblée des départements de France et Régions de France. Un groupe de travail transpartisan réunissant quatre commissions du Sénat aura également la charge de cordonner la réflexion avec les associations d’élus et le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. De quoi nourrir une proposition de loi de "recentrage" à l'automne et des amendements au prochain projet de loi de finances. La première urgence étant toutefois de repousser les échéances, par une mesure d’ordre législatif, a rappelé Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Pour rappel, le 22 octobre, est la date limite fixée par la loi 3DS aux conférences des Scot pour proposer des déclinaisons de l’objectif de réduction par deux de la consommation d’espaces d’ici à 2031 en application de la loi Climat et Résilience. Quelle soit maintenue ou non, cette date "n’est certainement pas la fin de l’histoire", conclut Sébastien Miossec, "les échanges sur l’objectif ZAN ont été nombreux et ils le seront encore (…)". 

 

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