Sobriété énergétique : Négawatt espère que l’hirondelle fera le printemps
La sobriété n’est désormais plus "un gros mot", se félicite l’association Négawatt, pour laquelle il convient aujourd’hui de l’inscrire dans le marbre et de faire en sorte qu’elle dépasse le seul secteur de l’énergie. L’association déplore en revanche le retour en grâce du nucléaire, accusé de détourner l’attention et les moyens à destination des énergies renouvelables. Des énergies qui ne devraient, selon elle, guère bénéficier de la loi d'"accélération" en cours d’adoption.
En demi-teinte. C’est ainsi que l’association Négawatt voit l’année 2022. Elle avait, selon elle, mal commencé, avec le discours de Belfort du président de la République (voir notre article du 11 février 2022). Emmanuel Macron y déclarait pourtant que "le premier grand chantier est de consommer moins d'énergie. En d'autres termes, gagner en sobriété". Et ce, sans saillie sur le "modèle Amish", cette fois. De quoi combler l’association, la sobriété étant, avec l’efficacité énergétique, au cœur même du concept de négawatt inventé par l’Américain Amory Lovins. Mais de ce discours, l’association a surtout retenu la reprise "du fil de la grande aventure du nucléaire civil en France" – pour reprendre les termes présidentiels. Une reprise qui ne passe pas pour une association aussi hostile au fossile qu’au fissible.
Toujours pas d’atomes crochus avec le nucléaire
Yves Marignac, chef du pôle énergies nucléaire et fossiles de l’association, n’a ainsi pas de mots assez durs pour condamner ce revirement de stratégie. Il dénonce tour à tour : le "retour d’un vieux réflexe" – le terme n’est pas neutre – liant indépendance énergétique et nucléaire ; le "déni triomphant" de la possibilité d’une production d’énergie "100% renouvelable" (l’association estimant que l’atteinte de la neutralité carbone en France peut reposer à 96% sur les EnR – voir notre article du 20 octobre 2021) ; le "refus de se plier à la réalité industrielle", puisque la relance du nucléaire supposerait "un plan Marshall" qui n’est pas prévu ; "une réécriture de l’histoire" pour exonérer la filière de sa responsabilité ; et même du "complotisme", visant ici le président d’honneur d’EDF, Henri Proglio, déclarant que "l’obsession allemande depuis 30 ans, c’est la désintégration d’EDF", lors d’une audition à l’Assemblée le 13 décembre dernier. Yves Marignac déplore encore une "erreur de jugement", selon laquelle face à la crise, "il faudrait actionner tous les leviers", alors qu’il juge préférable "de se concentrer sur les plus efficients" – entendre les EnR.
La sobriété prend corps
Pour autant l’année 2022 n’est, selon l’association, pas à jeter, puisqu’elle aura fait de la sobriété "le mot de l’année", souligne sa présidente, Hélène Gassin. À tout le moins, elle sera parvenue à ne plus en faire "un gros mot". "C’est devenu le sujet prioritaire, et pas seulement du gouvernement. Beaucoup de collectivités ont lancé des plans de sobriété", se félicite-t-elle, en prenant le soin de préciser que "cela ne veut pas dire qu’elles ne faisaient rien avant". Plus encore, cette sobriété prend désormais corps : "Depuis août, environ 14 TWh d’électricité et 40 TWh de gaz ont été économisés", relève-t-elle. Si elle a conscience qu’une partie de cette sobriété est subie – principalement par l’industrie –, elle estime que "ce n’est pas le seul facteur : la mobilisation est réelle".
Pérenniser un changement d’attitude
Pour l’association, reste désormais deux défis. Le premier, faire en sorte que cette sobriété "conjoncturelle", "d’urgence", "se mue en une politique structurelle et pérenne". "C’est maintenant qu’on va voir si la notion de sobriété a pénétré en profondeur", prévient Hélène Gassin. Certaines actions devraient selon elle se pérenniser sans trop de douleurs, "comme la réduction, voire l’arrêt de l’éclairage public. Le cap de l’acceptation des citoyens est passé". Ou la correction de mauvais comportements, identifiés grâce à la crise, "comme la ventilation des bâtiments la nuit". La présidente n’est en revanche "pas sûre" que les consignes de température continueront d’être respectées une fois la crise passée. Surtout, évoquant la production industrielle, elle observe "qu’il n’est pas sûr qu’on puisse souhaiter qu’elle soit pérenne. S’arrêter, ce n’est pas la même chose que retravailler ses process".
L’élargir à d’autres secteurs
Le second, "dépasser le seul domaine de l’énergie, pour que la sobriété s’applique aussi aux matières premières, à l’eau, à l’espace ou encore aux mobilités, dont on a très peu parlé" (hormis la dernière note de TDIE – voir notre article du 18 janvier). À l’heure où les élus sont dans les affres face à l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), et alors que Christophe Béchu et Bérangère Couillard viennent d’annoncer, le 25 janvier, que le "plan eau" – qui doit être présenté "dans quelques semaines" – "rendra concrets nos objectifs de sobriété en posant les bases d’une déclinaison par territoires et aussi par secteurs", il paraît néanmoins difficile d’affirmer que ces questions seraient occultées. Stéphane Chatelin, directeur de l’association, y ajoute un troisième enjeu : " Articuler la vision nationale avec une mise en œuvre locale." Une préconisation qui semble, elle, faire l’unanimité.
"Projet illisible" et "zones de freinage"
Reste que l’association ne semble guère optimiste. Yves Marignac déplore un "projet illisible", mettant en regard l’invitation d’Emmanuel Macron à "produire davantage" dans son discours de Belfort et celle d’Élisabeth Borne à faire de "la sobriété une nouvelle manière de penser et de faire" dans son discours du 16 novembre à l’Assemblée nationale. Cette opposition des deux chefs de l’exécutif peut toutefois paraître biaisée, tant le président de la République que sa Première ministre manient le "en même temps" en la matière.
En outre, la loi d’accélération des énergies renouvelables n’est pas de nature à les rasséréner. "Tout cela pour ça", lâche ainsi Marc Jedliczka, porte-parole de l’association. Plus encore, il estime notamment que "les zones d’accélération" prévues par le texte (voir notre article du 25 janvier) risquent fort de se transformer "en des zones de freinage".
Non sans faire ainsi écho, dans les deux cas, aux propos du président de l’association Observ’ER, Vincent Jacques Le Seigneur, tenus le 24 janvier (voir notre article).