Printemps des Territoires - Transition climatique : un besoin d’action "radicale", territorialisée… et optimiste
Au Printemps des Territoires, organisé ce 22 septembre à Paris par la Banque des Territoires, les participants ont fait l’amer constat que la bataille de l’adaptation au changement climatique ne pourrait être évitée. Plus encore, même vivement menée, et couplée à une nécessaire poursuite de la lutte pour l’atténuation du phénomène, ils ont acté qu’elle ne permettra pas de sauver tous les territoires. Pour autant, ils se sont gardés de tout défaitisme : la transition est encore possible, et ce sans exclure croissance et bien-être supplémentaires.
"Jusqu’à récemment, je refusais de parler d’adaptation au dérèglement climatique, car cela me semblait être un discours défaitiste. Mais on est obligé aujourd’hui de reconnaitre que c’est indispensable", confesse Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts, en ouverture de la session du Printemps des Territoires consacrée à la transition énergétique et écologique ce 22 septembre.
Et de souligner que dans cette bataille, "territoires de montagne et du littoral sont en première ligne". Mais ils ne sont pas les seuls appelés à monter au front : "62% de la population française est exposée aux risques climatiques", indique-t-on lors des débats, en soulignant que "chaque type de territoire connaît des transformations qui lui sont propres et chaque territoire devra donc renforcer l’action nationale par une stratégie d’adaptation locale" – dans une nécessaire cohérence (voir notre article du 20 septembre). "C’est notre conviction : chaque territoire doit avoir son plan d’adaptation", martèle Olivier Sichel, directeur de la Banque des Territoires.
Atténuer, s’adapter… et reconvertir
"Il faut avoir en tête qu’on ne vivra plus jamais dans un climat que nous avons connu enfant", avertit la géographe Magali Reghezza-Zitt. Elle pose d’ores et déjà l’étape d’après : "On va demander à tous les territoires des efforts d’atténuation, d’adaptation, mais il faut aussi bien comprendre qu’au bout d’un moment, on va devoir reconvertir." Prenant l’exemple des territoires littoraux, celle qui est également membre du Haut Conseil pour le climat se fait directe : "La montée inexorable du niveau marin fait que nous allons devoir abandonner des territoires". Si "on peut habiter partout", elle relève que "le problème, c’est qu’au bout d’un moment, les sommes qu’on va devoir investir pour la sécurité et pour la reconstruction sont telles que la société va décider que ces territoires sont inhabitables". Et de rappeler que c’est l’un des "trois faits scientifiquement établis par le Giec : au-delà d’un certain seuil, l’adaptation devient impossible, car trop coûteuse".
Revoir le logiciel financier
Aussi, pour Éric Lombard, pas de doute à avoir : "Il faut accélérer notre action contre le dérèglement climatique, être beaucoup plus radical". Ce qui nécessite selon lui de "transformer intégralement notre économie, car cela demande des investissements massifs – 50 milliards d’euros par an pour l’adaptation, selon le think-tank I4CE. Or cela ne passe pas avec les règles actuelles de notre économie, car beaucoup d’investissements vitaux ont une rentabilité modeste", enseigne-t-il. Il invite aussi à "exiger collectivement de baisser l’exigence de rendement du capital pour financer les projets indispensables". "Cela peut paraître contre-intuitif, alors que nous avons besoin de plus d’investissements", admet-t-il. Mais il met en regard "les effets du réchauffement climatique, qui vont détruire du capital en quantité importante". "L’inaction et l’impréparation seront beaucoup plus coûteuses dans 15 ans que l’action d’aujourd’hui", appuie Magali Reghezza-Zitt. Joignant l’acte à la parole, Éric Lombard précise que la Banque des Territoires a fait le choix "d’une demande de rentabilité de ses investissements deux fois moindre que celle des autres investisseurs", soit "4% en moyenne".
Pensée positive
"Une révolution", concède-t-il, mais pas une utopie. Notamment parce que "la lutte contre le dérèglement climatique a beaucoup d’effets positifs", insiste-t-il. Magali Reghezza-Zitt appelle elle aussi à prendre en compte ses "co-bénéfices majeurs" en matière de santé, de pouvoir d’achat, de bien-être, d’emploi, de préservation du patrimoine naturel et culturel… "On ne voit la transition qu’à partir de ce que cela coûte. Cessons d’avoir une vision négative !", exhorte-t-elle. Pour Dominique Thillaud, directeur général de la Compagnie des Alpes, c’est même une condition du succès : "Si on est pessimiste, on n’emmènera personne", prévient-il ("Dire que que c'est foutu, c'est vraiment le pire des messages à faire passer !", tonnait naguère Yann Wehrling, vice-président du conseil régional d'Île-de-France – voir notre article du 5 novembre 2021). "Dire que c’est possible, c’est moteur. Chacun se dit qu’il a un rôle jouer", plaide-t-il, reprenant l’air d’un "optimisme combattant" (voir notre article du 3 novembre 2021). Et d’alerter encore : "Si c’est un chemin de croix, on n’emmènera personne non plus". "On est convaincu qu’on peut lutter contre le réchauffement climatique en ayant de la croissance et du plaisir supplémentaire. On n’est pas du tout des pessimistes, des décroissantistes", le rejoint Olivier Sichel, non sans rappeler ainsi l’invite du maire de Loos-en-Gohelle à "mettre les gens en mode désir" (voir notre article du 2 juin). "Pour la première fois, nous avons la possibilité d’anticiper", met par ailleurs en avant Magali Reghezza-Zitt. Elle donne la marche à suivre en matière d’adaptation : "regarder territoire par territoire les vulnérabilités, décider de ceux qui pourront être accompagnés, ceux qui devront être reconvertis…" en insistant, sur la nécessité de "savoir où investir". Et ce "à l’échelon régional, c’est fondamental", tout en articulant national et local, et les régions entre elles.
Un plan triple 0 en Île-de-France
Que les régions doivent être en première ligne, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, en est évidemment convaincue. Rappelant qu’alors ministre de la Recherche, c’est elle qui avait "saisi en 2010 l’Académie des sciences pour faire trancher l’existence du réchauffement climatique", elle souligne que sa région n’a pas attendu les demandes du gouvernement pour devenir énergétiquement sobre. Et d’arguer par exemple du déménagement des locaux de la région "dans un bâtiment isolé, écologique, avec 30% d’économies d’énergie depuis 2018", de la rénovation des lycées, anciennes "passoires thermiques", et de la mutualisation de leurs achats d’énergie ou encore de "la chauffe, depuis 2017, des lycées à 19°C, des gymnases à 17°C et des ateliers des lycées professionnels à 14°C". La sobriété, c’est aussi "la bonne gestion de l’argent du contribuable", remarque-t-elle. La région entend "passer la démultipliée", explique sa présidente. Et ce, notamment dans le cadre d’un plan d’adaptation de 60 mesures et d’un milliard d’euros d’investissement d’ici 2030 qu’elle a fait voter le jour de son intervention. Un plan triple 0 : 0 émission, 0 ressource – confiant le rêve, "encore très utopique", de faire de la région une "mine urbaine" – et 0 artificialisation nette. Un dernier sujet qui "va être très épineux puisque si je ne prends en compte que les projets de l’État, nous avons déjà mangé tous les territoires possibles", grince-t-elle. Une montagne qui sera en outre d’autant plus difficile à gravir compte tenu "de l’urgence sociale du logement" et de la nécessité de "renaturer la ville". Pour la préservation de la biodiversité, mais aussi "parce qu’avec le Covid, les citoyens ont touché encore plus douloureusement la question du mal-logement". La ville de demain ou la quadrature du cercle, encore une fois (voir notre article du 11 février 2021).