Simplification : douze mesures... pour amorcer un vaste chantier
Le ministre François Rebsamen organisait ce 28 avril le "Roquelaure de la simplification" devant ouvrir un "cycle de travail et de concertation" pour faciliter le quotidien des collectivités locales. La démarche se veut pragmatique et démarre par douze propositions de mesures touchant notamment aux champs des ressources humaines et de l'urbanisme. Est prévu un "plan d'action devant aboutir d'ici la fin de l'année" après remontées des élus locaux et des préfets. Si un ou des textes législatifs nouveaux ne sont pas exclus, le gouvernement s'appuie aussi sur des textes déjà parus au Parlement, dont la proposition de loi Huwart pour l'urbanisme. Sans oublier le volet réglementaire.
Comment "simplifier la vie des élus locaux" ainsi que celle des agents des collectivités. Tel est le leitmotiv affiché par François Rebsamen qui, après le "Roquelaure de l'assurabilité des collectivités" du 14 avril (voir notre article), organisait ce 28 avril dans les locaux de son ministère le "Roquelaure de la simplification". Une sorte de mini-sommet, en présence de trois autres ministres – Laurent Marcangeli, Valérie Létard et Françoise Gatel –, de parlementaires et de représentants des associations d'élus, devant donner le coup d'envoi d'une vague de mesures en faveur des collectivités.
La simplification, la nécessité de réduire les normes qui s'imposent en surnombre aux collectivités, on en parle depuis des décennies. "Le constat est partagé… et ça fait un moment que c'est partagé…", a d'ailleurs glissé Joël Balandraud, vice-président de l'Association des maires de France. Pas un congrès des maires, par exemple, où un gouvernement ne vient pas assurer qu'il entend engager une chasse aux normes, qu'il s'agisse de "stock" ou de "flux". Sans parler de la pile de rapports. D'aucuns se souviendront par exemple du remarqué rapport Lambert-Bouchard datant de 2013 (voir notre article).
Alors aujourd'hui, le gouvernement ne promet pas de "révolution copernicienne", de "grand soir", tel que l'a formulé Laurent Marcangeli, le ministre de l'Action publique, de la Fonction publique… et de la Simplification. Les choses se feront au fil de l'eau. "On ne va pas tout faire, on ne pourra pas", reconnaît de même le ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation.
François Rebsamen entend en revanche aller vite sur toutes les mesures les plus simples, notamment toutes celles qui relèvent du champ réglementaire : "Il nous faut un plan d'action, qui doit aboutir d'ici la fin de l'année". "Ce Roquelaure, c'est un début", a-t-il poursuivi, affirmant vouloir poursuivre la phase d'écoute des attentes des élus locaux via, notamment, des déplacements – même si "la matière est déjà riche" – et comptant "saisir dès demain les préfets pour avoir leurs remontées de terrain" sur "trois axes" : "la simplification de la gestion quotidienne, la simplification de l'exercice des compétences et la simplification de la gouvernance locale". Le tout donc, en distinguant "ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement".
Pour le législatif, François Rebsamen n'exclut pas à moyen terme de "faire ensemble [avec les deux chambres] un texte commun qui serait fondateur". Laurent Marcangeli, qui défend actuellement le projet de loi de simplification de la vie économique à l'Assemblée nationale (voir notre article), envisage pour sa part la possibilité d'autres "textes thématiques" visant par exemple "les agriculteurs, les familles, les associations…".
Si la réunion de ce lundi ne faisait donc qu'ouvrir "un cycle de travail et de concertation à poursuivre dans la durée", le gouvernement propose d'ores et déjà douze mesures concrètes, notamment dans les domaines de la gestion des ressources humaines et du droit de l'urbanisme. Un certain nombre d'entre elles figuraient dans le rapport que Boris Ravignon a remis il y a près d'un an sur le "millefeuille administratif", d'autres dans le rapport de la commission pour la relance durable de la construction de logements (pilotée en 2021… par François Rebsamen).
C'est d'ailleurs Boris Ravignon qui a été invité à ouvrir le bal ce lundi à l'Hôtel de Roquelaure, pour évoquer le pourquoi des deux missions qu'il a menées – celle de 2024, et sa mission actuelle, qui court jusqu'à la fin de l'année : la toujours fameuse "inflation normative" (le Conseil national d'évaluation des normes a examiné exactement 4.416 textes réglementaires entre 2009 et 2023, pour un coût évalué à 14,6 milliards uniquement pour le "flux") ; les excès de la "schématologie" (plans, schémas, programmes…) ; les règles frisant "l'absurdité" et coûtant très cher…
Les 12 mesures d'ordre réglementaire ou législatif proposées
Elus
- Le gouvernement compte assouplir les règles régissant la prévention des conflits d'intérêts public-public, qui sont très critiquées pour leur caractère abscons, selon les mots de l'entourage du ministre de l'Aménagement du territoire. Elles conduisent à ce que les élus ne participent plus, dans les assemblées locales dont ils sont membres, aux délibérations concernant les organismes extérieurs au sein desquels ils siègent (des établissements publics à caractère industriel par exemple). L'article 432-12 du code pénal sera ainsi revu pour "exclure tous les intérêts publics de la définition du conflit d'intérêts". François Rebsamen a parlé de situations "qui virent au ridicule", donnant en exemple les cas très fréquents de conseils municipaux au cours desquels les élus membres (même "non actifs") d'associations locales doivent quitter la séance lorsque sont abordées les subventions à ces mêmes associations. Françoise Gatel l'a mentionné aussi, rappelant que souvent, à force d'entrées et sorties dignes d'un théâtre de boulevard, "on n'atteint pas le quorum".
D'ailleurs, les règles de quorum seront modifiées par l'introduction d'un amendement à la proposition de loi - signée de l'ex-sénatrice Françoise Gatel – sur le statut de l'élu, qui sera en discussion dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale à partir du 26 mai.
- La protection fonctionnelle que la collectivité attribue à ses élus en cas d'agression contre eux sera automatique dans le cadre des "violences verbales ou physiques". Elle pourra également être activée lorsque les élus sont entendus en audition libre ou en qualité de témoin assisté. Françoise Gatel a d'ailleurs indiqué que sa proposition de loi pourra "être complétée" lors de son passage à l'Assemblée, notamment par les recommandations de la mission Vigouroux présentées en mars dernier (voir notre article). François Rebsamen entend plus largement, toujours en s'inspirant du rapport Vigouroux, "alléger les pressions pénales" pesant sur les élus : "Il faut qu'il y ait intentionnalité", plaide-t-il.
Gestion locale
- Une nouvelle étape de "modernisation" du contrôle de légalité des actes des collectivités locales est envisagée. Il faut "dépoussiérer" ce contrôle, dit François Rebsamen. Une disposition législative sera ainsi présentée pour réduire la liste des actes transmissibles au contrôle de légalité. Par ailleurs, "dans le cadre de la circulaire aux préfets qui définit les priorités du contrôle de légalité", le gouvernement demandera que le contrôle en matière de ressources humaines cible dès cette année les actes à fort enjeu, en particulier ceux concernant les emplois fonctionnels, les emplois de cabinet et le régime indemnitaire ("Rifseep").
- En matière de ressources humaines, l'idée est de réduire le nombre d'actes dont la production est demandée aux collectivités. Celles-ci n'auraient plus qu'à déposer un seul rapport rendant compte de leur gestion, alors qu'aujourd'hui elles ont l'obligation d'en élaborer plusieurs : rapport social unique, rapport sur la situation de l’égalité entre les femmes et les hommes (pour les communes et intercommunalités de plus de 20.000 habitants), document unique d’évaluation des risques professionnels… De plus, un groupe de travail va être installé pour "alléger" la charge que représente pour "les petites collectivités" l'élaboration du rapport social unique, document annuel qui compile les données relatives aux politiques de ressources humaines. Enfin, il est envisagé de réduire le nombre de contreseings d'actes en matière de ressources humaines. Pour un avancement d'échelon par exemple, la signature de l'agent bénéficiaire ne sera plus requise. Une notification de l'acte à ce dernier, "y compris par Internet", sera suffisante.
Le gouvernement veut aussi assouplir les règles de gestion des ressources humaines des collectivités. Il évoque "trois mesures phares" : la fin de l'obligation de publier une fiche de poste en cas de renouvellement de l'emploi d'un agent contractuel (publication qui crée inutilement "des attentes de tout le monde", notamment de la part des candidats potentiels) ; la fin de l'obligation pour les collectivités de délibérer à chaque fois qu'elles veulent octroyer une gratification pour un stage (une seule délibération sera suffisante pour établir cette possibilité et sa mise en œuvre) ; l'autorisation de la délégation à l'exécutif de la création ou de la suppression de postes au tableau des effectifs (la délibération en assemblée pour chaque évolution de poste ne serait donc plus obligatoire).
- Le gouvernement veut offrir aux communes la liberté d'instituer un centre communal d'action sociale (CCAS) ou une caisse des écoles, ou d'exercer les compétences correspondantes "en régie" pour ne pas avoir à instituer ces établissements au fonctionnement "lourd", selon l'entourage de François Rebsamen. Si le ministre y voit "une plus grande liberté de gestion des services publics", on peut d'ores et déjà supposer que cette disposition fera réagir, notamment du côté de l'Union nationale des CCAS (Unccas), sachant que depuis la loi Notre, la création d'un CCAS est déjà facultative pour les communes de moins de 1.500 habitants. Et que l'idée a comme un air de déjà vu : dans le passé, d'autres tentatives ont régulièrement émergé (on remontera par exemple à Jean-Pierre Schosteck en 2003, puis à Eric Doligé en 2011 dans le cadre de sa proposition de loi relative… "à la simplification des normes s'imposant aux collectivités" – voir notre article de 2011).
- L'exécutif veut étendre la possibilité de réunion en visio conférence aux "commissions des communes", ainsi qu'aux "commissions sectorielles" et aux réunions de bureau des intercommunalités.
Urbanisme
- Pour simplifier le droit de l'urbanisme, le gouvernement soutient la proposition de loi (PPL) du député (Liot) Harold Huwart, qui sera examinée le 15 mai en séance à l'Assemblée nationale. Le texte assouplit les coûteuses obligations de solarisation et de végétalisation pesant notamment sur les bâtiments publics - en faisant passer le seuil d’obligation d’au moins 500m2 d’emprise au sol à 1.100 m2 -, supprime la caducité (après six ans) des schémas de cohérence territoriale (Scot) et prévoit des permis d'aménager multisites ("Aujourd'hui, si un projet concerne plusieurs sites d'un même territoire, il faut un permis pour chaque site – à l'avenir, il n'y aura plus qu'un seul dossier, pour le projet dans sa globalité", a expliqué François Rebsamen). Sur cette PPL, voir notre article du 16 avril.
La ministre en charge du logement, Valérie Létard, est intervenue spécifiquement sur ce volet de l'urbanisme, disant souvent entendre que le code de l'urbanisme serait "le code de l'anti-construction". Elle a confirmé que la PPL Huwart avait fait l'objet d'une "co-contruction" avec le gouvernement, que celui-ci comptait donc bien "s'appuyer" sur ce texte et que les parlementaires sont invités à le "nourrir". Un "décret de simplification" est en outre en préparation, a-t-elle confirmé.
Les élus locaux ayant pris la parole ce 28 avril ont tous ou presque mis l'accent sur l'urbanisme – visiblement le champ comptant le plus d'"irritants". Parmi ceux-ci, l'un fait visiblement l'unanimité contre lui : l'inventaire "quatre saisons" qui, de facto, retarde la réalisation des projets d'au moins un an, même lorsqu'il s'agit, selon les témoignages, de "quelques orchidées" ou de l'extension d'un parking existant. L'enjeu, selon Valérie Létard : harmoniser urbanisme, droit de l'environnement et protection du patrimoine. "Il faut croiser les champs respectifs des ministères, sinon on n'y arrivera pas", dit-elle. "L'urbanisme est confronté à une difficulté majeure, celle des nouvelles normes environnementales", reconnaît pour sa part François Rebsamen, parlant de nécessaire "proportionnalité" de ces normes.
- La création de logements pourra être rendue possible dans les zones d'activité économique, même si elle n'est pas prévue par le plan local d'urbanisme (PLU). Le but étant de favoriser "la mutation" de ces zones. Valérie Létard a par ailleurs évoqué l'enjeu de la transformation de bureaux en logements, sachant que la proposition de loi arrivera en commission mixte paritaire (CMP) le 22 mai avec, là encore, l'objectif de faire sauter de nombreux verrous.
Mais aussi…
- Les demandes d'installation de systèmes de vidéosurveillance de la voie publique déposées par les communes feront l'objet d'un traitement "prioritaire". Le ministère de l'Aménagement du territoire évoque une mesure de "reconnaissance" du rôle des maires en matière de sécurité publique.
- Dans le domaine du sport, lorsqu'un club passera à un niveau supérieur, la mise aux normes de l'équipement qui l'accueille ne sera pas immédiatement obligatoire. Elle pourra être différée ou connaître des dérogations. En outre, la fédération sportive qui détermine les normes s'appliquant à l'équipement pourra voir ses demandes encadrées. Là encore, l'idée n'est pas totalement nouvelle, la question des normes imposées par les fédérations ou ligues ayant ces dernières années fait l'objet de diverses propositions (voir notre article de 2018).
- En matière de soutien à l'investissement des collectivités, le ministère chargé de l'Aménagement du territoire évoque le projet de "fusion" de certaines des dotations dédiées, sans préciser lesquelles, en excluant toutefois le fonds vert. François Rebsamen ayant en outre déclaré récemment qu'on "ne touchera pas à la DETR" (dotation d'équipement des territoires ruraux). La réforme sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2026.
Bien que ne figurant pas dans la liste des douze mesures, le ministre a par ailleurs mis l'accent sur l'enjeu de simplification de la commande publique, également évoqué par plusieurs élus ("On a créé des rentes de situation", a par exemple estimé Sabrina Agresti-Roubache en tant qu'élue régionale). Il a, encore, jugé utile d'"arrêter d'imposer des démarches participatives qui se superposent" (telles que les conseils citoyens en quartiers politique de la ville).
Certaines de ces mesures - mais pas toutes - sont très attendues par les élus locaux. L'Association des maires de France (AMF) a d'ailleurs constaté dès ce 26 avril, dans un communiqué, que "quelques mesures prévues par le gouvernement (…) vont dans le bon sens". Mais l'association appelle à faire beaucoup plus, notamment par la suppression "massive" de normes et d'une "multitude de contrôles a priori sur les projets locaux". "On va vous demander d'aller plus loin, notamment sur le logement et l'urbanisme", a ainsi prévenu Joël Balandraud au nom de l'AMF, évoquant la cathédrale de Notre-Dame de Paris ayant pu être restaurée en cinq ans grâce à une loi d'exception tandis qu'"il faut dix ans pour pouvoir ouvrir une salle des fêtes municipale". Au nom de l'Association des petites villes de France (APVF), Jean-Baptiste Hamonic, maire de Villepreux, a réclamé une "pause normative" et mentionné, au-delà de l'urbanisme, diverses craintes de nouvelles complexités liées par exemple au service public de la petite enfance ou aux zones d'accélération des énergies renouvelables. Si consultation des élus il y a, on se dirige clairement vers bien plus que douze mesures.