Signaler aux élus les personnes radicalisées ? La proposition d'Emmanuel Macron fait débat
Les maires pourront-ils savoir qui est fiché pour radicalisation islamiste dans leur commune ? Cette proposition esquissée par Emmanuel Macron fait débat parmi les élus locaux et au sein des services de renseignement, qui appellent à bien encadrer l'accès à ces informations confidentielles.
Lors de son discours sur les banlieues mardi 22 mai, le chef de l'Etat a répondu favorablement à une demande formulée de longue date par certains élus : il faut que les préfets "échangent" avec les maires sur les personnes fichées dans leurs villes, a dit Emmanuel Macron, prenant le contrepied du gouvernement précédent.
Les maires doivent connaître les profils "les plus à risque", a-t-il ajouté, en se référant au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) où figurait notamment l'auteur de la récente attaque au couteau à Paris.
Près de 20.000 noms figurent sur ce fichier administratif, qui regroupe aussi bien des suspects judiciarisés ou incarcérés, que des personnes qui présentent des signes de radicalisation, sans avoir été mis en cause. Au total, 11.000 "profils actifs" y sont répertoriés et font l'objet d'une prise en compte des services.
Bruno Beschizza, maire LR d'Aulnay-sous-Bois, s'est félicité de l'annonce présidentielle : "Il y a une prise de conscience d'une attente de certains élus", dit-il à l'AFP.
L'édile de Seine-Saint-Denis est l'un des premiers à avoir fait cette demande, après avoir découvert qu'un complice présumé du tueur de l'Hyper Cacher en 2015 avait été employé en 2010 par la mairie, alors qu'il était connu des services antiterroristes.
"Je ne suis pas là pour faire la police de la pensée au sein de ma mairie, explique l'élu. Ce qui m'intéresse, c'est la notion de dangerosité."
Un avis partagé par Pierre Tebaldini, directeur de cabinet de la mairie de Lagny-sur-Marne. C'est dans cette commune de Seine-et-Marne que la première mosquée a été fermée après les attentats du 13 novembre, en raison des prêches radicaux de ses imams.
L'accès aux fichiers serait "une très bonne chose, dit-il. On pourra recouper cette liste avec celles des clubs sportifs, et aussi celle des employés municipaux, pour s'assurer qu'aucune de ces personnes n'est au contact de jeunes."
Risque de "lynchage"
Mais la mesure fait débat chez beaucoup d'élus. Certains, comme Raphaël Cognet, maire (LR) de Mantes-la-Jolie (Yvelines), disent craindre une mesure "gadget", "un système où les maires ont une information et ne peuvent rien en faire".
Autre risque pour les maires mis au secret : devoir porter "une responsabilité qui n'est pas la leur", prévient Sylvine Thomassin, maire PS de Bondy (Seine-Saint-Denis). "Si un drame survient, on va dire 'le maire était au courant et n'a rien fait', mais le maire ne pouvait rien faire, il n'a pas de prise sur la sécurité publique."
"Sur le principe, je ne suis pas hostile", complète François Garay, maire
(DVG) des Mureaux (Yvelines), "mais je pense qu'il faut bien dissocier ce qui est le pouvoir de l'Etat, le procureur, la police, et le pouvoir que nous, élus, avons".
Il faut aussi former les élus "à gérer l'information", prévient Pierre Tebaldini. Il ne faut pas "balancer de noms sur la place publique. Car le risque de lynchage existe aussi".
Un problème également pointé par une source au ministère de l'Intérieur. Certains maires "peuvent paniquer, d'autres peuvent dire qu'il y en a trop, d'autres encore pourront avoir une utilisation politicienne de ces informations".
Mais la mesure doit aussi être utile aux services de renseignement. L'un des enjeux est de "compléter le suivi de certains individus par un suivi pluridisciplinaire" notamment par les services sociaux, explique une autre source au ministère. Des échanges existent d'ailleurs déjà avec les autorités locales sur certaines personnes fichées.
"On a un intérêt à ce qu'il y ait un maximum de gens autour des personnes radicalisées qui sont en 'bas du spectre'", pour avoir des informations sur la façon dont elles évoluent", ajoute aussi une source proche du dossier, qui met toutefois en garde contre des échanges d'informations trop poussées.
"Le risque serait d'être contraint de donner toutes les infos ou qu'elles parviennent aux personnes fichées", dit cette source.
"Il y a forcément des choses qui devront rester confidentielles", abonde une des sources au ministère.