Radicalisation - Fichés S : Bernard Cazeneuve oppose une fin de non-recevoir aux maires
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve s'oppose à la communication des noms des fichés S aux maires des communes où ils résident. Quelques jours après le dépôt d'une proposition de loi sénatoriale demandant cette possibilité, le ministre justifie son choix par des contraintes juridiques et d'efficacité du travail de la police. "Les élus sont légitimes à demander une meilleure information sur le phénomène de radicalisation, dans le respect scrupuleux du droit", commente le ministre de l'Intérieur dans les colonnes du Journal du dimanche du 9 octobre. Mais, rappelle-t-il, les individus fichés S (pour "sûreté") "sont surveillés et non judiciarisés, ce qui indique que leur dangerosité n'est pas avérée". Selon lui, le décret du 28 mai 2010 sur les personnes recherchées - qui liste les services pouvant y avoir accès - s'oppose à cette communication "pour des raisons règlementaires". Mais Bernard Cazeneuve ajoute que la confidentialité est aussi "la condition de l'aboutissement des enquêtes". 355 personnes ont ainsi pu être arrêtées depuis le début de l'année, argumente-t-il.
Pour autant, Bernard Cazeneuve se montre ouvert à "un dispositif qui permette d'associer les maires au processus de prévention et de déradicalisation et qui n'obère pas l'efficacité des services de renseignement".
Une instruction envoyée au préfet le 14 septembre
Seulement cela fait des mois que le gouvernement évoque un tel dispositif. Le 19 mai, l'Etat et l'Association des maires de France avaient signé une convention pour renforcer leur coopération en matière de lutte contre la radicalisation (d'autres associations d'élus devaient suivre quelques semaines plus tard). Cette convention restait peu précise sur ce sujet et évoquait simplement que le préfet puisse, avec l'accord du procureur, "informer le maire des situations de radicalisation concernant le territoire de sa commune". Quelques jours plus tard, face aux demandes persistantes des élus, le ministre de la Ville Patrick Kanner avait indiqué, à l'occasion du congrès des maires, que des instructions allaient être envoyées aux préfets. Lors de cette même table ronde consacrée à la lutte contre la radicalisation, de nombreux élus avaient demandé un accès aux fichés S. Relayant ces demandes, le sénateur UDI de l'Eure Hervé Maurey a déposé, le 3 octobre, une proposition de loi "visant à permettre aux maires de connaître l'identité des personnes 'fichées S' résidant dans leur commune". Lors des questions au gouvernement, le 30 septembre, le sénateur avait expliqué que de nombreux maires réclamaient cet accès et cité l'exemple du maire d'Evreux, Guy Lefrand, "qui a fait cette demande au début du mois de septembre, mais s'est vu opposer un refus". Comme le lui a alors répondu le ministre des Collectivités territoriales Jean-Michel Baylet, une instruction a bien été envoyée aux préfets le 14 septembre, "leur demandant de rencontrer tous les présidents d'exécutif local". Une circulaire a aussi été diffusée pour leur demander "expressément de renforcer le niveau d'association des collectivités territoriales et de leurs responsables à la lutte contre la radicalisation". A noter qu'une réunion s'est également tenue en septembre avec les présidents de l'AMF, de l'ADF et de l'ARF (désormais Régions de France), le 6 septembre. "La commission et la circulaire (…) ne sont absolument pas de nature à répondre à ma question, ni surtout aux attentes légitimes des maires en matière de sécurité", lui avait alors répliqué le sénateur.
Huit départements avec plus de 300 signalements chacun
Le débat n'est pas clos pour autant. D'autant que le même JDD a publié une cartographie de la radicalisation, non sur la base du fameux fichier S mais d'un autre fichier plus récent, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), qui contient quelque 15.000 signalements pour radicalisation (soit environ 3.000 de plus que le fichier S). Parmi eux, 4.000 seraient susceptibles de passer à l'action et sont suivis de très près. Aucun département n'est épargné, mais huit concentrent plus de 300 signalements chacun : les départements de la région parisienne (Paris, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine), le Nord, le Rhône, les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes.
Le 24 octobre se tiendra à la Cité des sciences de la Villette une rencontre sur le thème de la lutte contre la radicalisation entre les trois grandes associations d'élus (ADF, AMF, Régions de France) et l'Etat. A défaut d'un accès au fichier, certains élus pourraient demander à être au moins informés de la présence d'individus dangereux dans leurs services...