Education / Sécurité - Sécurité à l'école : préparer le pire pour dépasser la peur
"Face à un acte de violence d'une force inouïe, le choc psychologique est tel qu'il faut, pour pouvoir réagir, suivre une procédure simple." "Mettre en place des procédures simples", c'est le message que voulait faire passer le policier Daniel Kerdraon, lors de l'atelier sur le thème de l'exigence sécuritaire dans les écoles, organisé le 8 décembre par l'Association nationale des directeurs de l'éducation des villes (Andev) dans le cadre de son congrès tenu durant trois jours à Brest (voir ci-contre notre article du 9 décembre).
Ce fut certainement l'atelier qui a réuni le plus de participants. L'actualité dramatique s'y prête, l'actualité réglementaire aussi. Car durant l'année scolaire 2016-2017, toutes les écoles ont l'obligation de mettre à jour leur PPMS (plan particulier de mise en sûreté), conformément aux circulaires du 25 novembre 2015 (voir notre article du 2 décembre 2015). Et les collectivités doivent adapter ce PPMS au risque terroriste si elles souhaitent bénéficier de la nouvelle enveloppe de 50 millions d'euros du FIPD (fonds interministériel de prévention de la délinquance) destinée au financement des travaux de sécurisation des établissements scolaires (voir notre article du 12 octobre).
"Quand un enseignant voit un enfant à terre, qui vient de recevoir une balle..."
Une enquête de l'Association des maires de France, menée en septembre dernier et publiée le 30 novembre, dresse une liste des difficultés rencontrées par les communes dans cette démarche (voir notre encadré ci-dessous). Sur la liste, la première des difficultés serait de définir clairement les priorités... En ce sens, l'intervention choc de Daniel Kerdraon, chef adjoint du SSP (service de sécurisation de proximité) pour la CSP (circonscription de sécurité de proximité) de Brest de la police nationale, au congrès de l'Andev, remet les enjeux en place.
"Quand un enseignant ou un animateur voit un enfant à terre, qui vient de recevoir une balle, qui gît dans son sang et qui n'est pas encore mort, vous croyez qu'il va naturellement chercher son sifflet dans ses poches, appeler avec son téléphone portable ou aller chercher dans le tiroir de son bureau la corne de brume ?" Selon lui, ce n'est décidément "pas sérieux d'avoir ce type d'alarme".
Doubler chaque bouton "incendie" d'un bouton "sûreté"
Il préconise pour sa part de doubler tous les boutons "incendie" d'un bouton "sûreté" à la sonnerie différente (attention, "pas plus de deux sonneries" avertit au passage le policier). Les boutons "incendie" ont l'avantage d'être largement éparpillés dans les écoles, leurs emplacements sont connus et les réflexes pour les déclencher sont acquis grâce aux exercices déjà réalisés. Et comme Daniel Kerdraon connaît les contraintes budgétaires des communes, il recommande de budgéter à l'avance ce nouveau système d'alerte et de le prévoir systématiquement dans le cadre des travaux de réhabilitation d'un établissement scolaire et évidemment lors de toute nouvelle construction d'établissement scolaire.
Le policier a également quelques suggestions pour établir "des procédures qui ne coûtent rien". Par exemple, comment réagir à la présence d'un colis suspect dans l'école ? Ou encore : lors d'une attaque ou d'une intrusion, dans quels cas les adultes responsables doivent-ils opter pour le confinement plutôt que l'évacuation ?
Plan A : évacuation. Plan B : confinement.
Cette seconde question a soulevé bien des perplexités. "Un gradé du Raid nous a expliqué que le confinement était la pire des solutions", a témoigné un agent de Vitry-sur-Seine, au motif que "regrouper les enfants facilite la tâche du terroriste ou du preneur d'otages". Or les procédures mises en place dans le cadre de PPMS sont axées sur le confinement, dès lors, que faire ?
"Le collègue du Raid a raison, a confirmé Daniel Kerdraon. Quand il y a une attaque, il faut s'enfuir." C'est selon lui "la réaction naturelle", le "plan A" à activer, et qu'il faut, insiste-t-il, "organiser". Le confinement ne peut être que le "plan B". Et si l'Education nationale a exigé un exercice de confinement dans le cadre du PPMS, ce serait uniquement parce que c'est le seul qu'il connaît ! "Nous allons maintenant vous épauler pour travailler au plan A", a ajouté le policier.
L'important, c'est de "se rendre compte qu'il y a toujours des choses à faire dans une situation improbable", a poursuivi le psychiatre Olivier Bodic, coordonnateur régional de la cellule d'urgence médicopsychologique du CHU de Nantes. Pour ce professionnel de la prise en charge des victimes en situation post-traumatique, lorsque la fuite est impossible "tout ce qui va permettre de garder une maîtrise psychique (repérer la couleur des yeux de l'agresseur, la marque de ses baskets, choisir de ne pas agir...) permet de se protéger des traumatismes ultérieurs". L'objectif n'étant pas directement de pouvoir ultérieurement identifier l'agresseur, mais bien de ne pas tomber dans une situation d'"effroi", où l'on est "pétrifié" au point de perdre tous ses moyens.
"Sauver trois enfants sur une classe de 24 est déjà 'quelque chose'"
Dans le cadre de la prévention des risques, le pire, selon Olivier Bodic, c'est lorsque le personnel enseignant ou le personnel d'animation se dit "de toute façon, si quelque chose se passe, on ne pourra rien faire". Lui, assure avec sang-froid : "Sauver trois enfants sur une classe de 24 est déjà 'quelque chose'."
Le psychiatre est favorable au bouton "sécurité" installé à côté du bouton "incendie". Il est également favorable aux exercices d'entraînement, qu'il faut selon lui "banaliser" pour "rappeler régulièrement que la violence peut se produire". Certes, les enfants de petite section de maternelle sont la première fois traumatisés par l'exercice "incendie" (exercice sur lequel on a le plus de recul), mais dès la grande section, ils ne sont "plus paniqués", a-t-il observé. Preuve que "l'entraînement sert à quelque chose".
Aux directeurs Education des villes qui témoignaient des propositions "aberrantes" formulées par les équipes enseignantes lors des concertations PPMS (murer des fenêtres dans des salles de classe, installer des toboggans aux étages, prévoir le confinement des enfants dans les vides sanitaires...), Olivier Bodic répond qu'il faut laisser libre court à ces "fantasmes" dans la mesure où "c'est toujours mieux que de ne jamais imaginer" la situation de violence. Cela peut même servir de base à la recherche de solutions plus réalistes.
Clôtures plus hautes, visiophone, mallettes première urgence...
L'enquête de l'AMF liste les travaux effectivement engagés par les communes en septembre dernier. Une part concerne l'accès à l'enceinte scolaire : remise en état ou pose de grillages et clôtures plus hautes, pose de barrières ou plots devant l'entrée de l'école (afin d'empêcher le stationnement), changement ou sécurisation des portails et portillons dotés d'une fermeture électromagnétique et équipés d'un système de visiophone, équipement de vidéosurveillance. L'autre part des travaux concernent les bâtiments scolaires eux-mêmes : acquisition d'une alarme intrusion, de cornes de brume, de systèmes de brise-vues et de rideaux occultant, de mallettes de première urgence ou encore mise en place de nouvelles sorties de secours, pose de serrures inviolables, retrait des poignées des portes, mise en place d'un dispositif d'accès aux bâtiments scolaires par badge...
30% des communes ayant répondu à l'enquête ont dépensé moins de 1.000 euros de travaux, 9% ont dépensé plus de 50.000 euros.
22% des communes contactées par le référent sûreté de l'Education nationale
L'AMF note également que "malgré la mise en place d'un référent sûreté auprès de chaque directeur d'académie, seules 22% des communes ont été contactées par ce référent au moment de l'enquête (...). En revanche, elles ont été, à ce moment-là, bien davantage en relation avec la police ou la gendarmerie (60%)". De plus, "les pressions émises par les académies ont fait naître des tensions entre les mairies et les directeurs d'école pour engager des travaux en urgence", souligne l'association d'élus.
Peut-être les communes pourront-elles désormais davantage compter sur les "équipes mobiles de sécurité" (EMS) des académies, puisque Najat Vallaud-Belkacem en a annoncé le 12 décembre le renforcement. Leur effectif passerait de 490 postes en 2016 à 567 en 2017, soit 77 postes supplémentaires (+ 15,7%). Créées en 2009, les équipes mobiles de sécurité sont placées sous l'autorité du recteur et interviennent à la demande des établissements scolaires sur la prévention des violences et sur la sécurisation. Les EMS sont composées de personnels de l'Education nationale (chef d'établissement, enseignant...) et de "spécialistes de la sécurité recrutés avec l'aide du ministère de l'Intérieur" (adjoint de sécurité, policier ou gendarme à la retraite, médiateur, brigade des mineurs, brigade de prévention de la délinquance juvénile...). Un groupe de travail sur leurs missions et sur l'évolution de leurs activités vient également d'être installé "afin de répondre au mieux aux besoins identifiés sur le terrain", indique le ministère de l'Education nationale. Occasion peut-être de s'interroger très sérieusement sur le partenariat avec les collectivités.
Le thème du congrès 2016 de l'Andev était : "Parents, ville, école : construire une alliance éducative, utopie ou réalité ?" La question semble manifestement toujours ouverte.
Valérie Liquet
Les difficultés rencontrées par les communes dans leur démarche de sécurisation des écoles
Selon l'enquête de l'AMF publiée le 30 novembre sur la sécurité à l'école, produite à partir d'un sondage réalisé entre le 22 et le 30 septembre 2016 auprès de 144 répondants, 52% des communes ont dit avoir rencontré des difficultés dans la démarche de sécurisation des établissements accueillant des enfants, et de leurs abords.
Les principales difficultés soulevées par ces communes sont les suivantes :
"- manque d'informations, ou au contraire trop d'informations, sur les nouvelles mesures de sécurité à mettre en œuvre, sans directives claires et précises. La difficulté s'est notamment portée sur la définition des priorités ainsi que sur l'information relative aux aides et possibilités de financement complémentaire ;
- accompagnement insuffisant à ce jour dans l'établissement d'un diagnostic exhaustif et manque d'expertise sur le repérage des travaux pertinents à exécuter conformes aux règles de sécurité ;
- configuration des locaux scolaires non homogènes qui oblige à apporter des solutions techniques sur mesure. Figurent parmi les exemples cités les problèmes d'adaptation techniques pour les bâtiments anciens, les écoles dotées de grandes baies vitrées, les écoles situées aux abords des rues et de parkings où l'interdiction de stationnement est difficile ou encore l'implantation de l'école dans une impasse ;
- articulation avec les normes de sécurité : sentiment de contradiction chez certains élus entre les normes de sécurité liées aux ERP et les consignes liées aux attentats (ex : les différentes sorties que possède l'école afin de permettre une évacuation en cas d'incendie sont jugées autant d'entrées pour un éventuel agresseur…) ;
- manque de personnels de sécurité dans les communes non dotées d'une police municipale, ou en effectif insuffisant, ou lorsque les forces de police et de gendarmerie sont plus éloignées ;
- sécurisation des déplacements des enfants entre l'école et la cantine lorsque celle-ci se situe en dehors de l'enceinte scolaire ;
- sécurisation de la sortie des classes (attroupement des parents devant l'école) et des accueils périscolaires lorsque celle-ci est échelonnée (cas des garderies) ;
- coût des travaux : principale difficulté dans un contexte où les moyens financiers et humains dont disposent les communes et leur groupement sont limités. Des élus ont demandé la création d'un fonds spécifique pour la mise aux normes et la sécurisation des accueils périscolaires."
Sources : Enquête AMF sur la sécurité à l'école, réalisée entre le 22 et le 30 septembre 2016, publiée le 30 novembre 2016