Commande publique - Sécuriser ses marchés publics et prévenir les risques : des pistes à suivre...
Comment éviter les référés ?
Malgré la politique jurisprudentielle du Conseil d'Etat globalement favorable aux acheteurs publics, il existe "un véritable réflexe contentieux" chez les opérateurs économiques, estime maître Franck Lepron. Le risque de référés dans les marchés publics étant toujours important, l'avocat a donné lors de cette session d'études du 17 octobre quelques conseils judicieux, souvent peu connus des acheteurs, pour limiter l'exercice de référés précontractuels et contractuels, aussi bien dans le cadre d'une procédure adaptée que d'une procédure formalisée.
En procédure adaptée, l'acheteur "peut légalement et facilement fermer la voie des référés", affirme ainsi Franck Lepron. L'article 80 du Code des marchés publics, qui impose le respect d'un délai de stand still d'au moins 16 jours (ou de 11 jours dans le cas d'une notification électronique) entre l'envoi du courrier de rejet aux candidats évincés et la signature du marché, ne s'applique pas aux Mapa (marchés à procédure adaptée). Cette règle a récemment fait l'objet d'un rappel par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 20 février 2013 (n°363656). De même, les principes généraux de la commande publique pour les Mapa n'obligent pas, en tant que tel, au respect d'un quelconque délai raisonnable (Conseil d'Etat, 29 juin 2012, n°357976). L'acheteur peut donc signer son marché alors même qu'il n'a pas informé les autres candidats du rejet de leur offre. Ainsi, le référé précontractuel, qui doit s'exercer avant la signature du marché, est définitivement neutralisé.
En procédure formalisée, bien que l'article 80 du CMP s'applique, Franck Lepron précise que les acheteurs publics ne sont pas "critiquables" à réduire au maximum le délai de stand still. En effet, les délais de l'article 80 sont des "délais minimas, il n'existe pas de logique de délai raisonnable plus long et adapté à la complexité du marché ou à son enjeu", assure l'avocat. Toutefois, pour que ce délai soit opposable, il rappelle que le courrier de rejet doit indiquer au minimum le délai que l'acheteur souhaite respecter avant de signer le marché, le nom de l'attributaire, le rang de classement du candidat rejeté, les notes allouées au candidat évincé et les notes de l'attributaire sous chacun des critères.
Enfin, Franck Lepron conseille aux acheteurs de vérifier soigneusement "les candidatures et les offres irrégulières" : "La première stratégie de défense d'un acheteur est de vérifier que l'offre ou la candidature litigieuse est irrégulière ou non conforme". Le candidat qui a remis une offre irrégulière ou non conforme ne justifie en effet d'aucun intérêt lésé au sens de la jurisprudence Smirgeomes du 3 octobre 2008.
Comment détecter une offre anormalement basse dans un marché public ?
Cinq recommandations ont été formulées par Jean-Pierre Gohon, administrateur Apasp, pour permettre à l’acheteur public de déceler un prix prédateur (prix abusivement bas).
Il convient au préalable d’examiner toutes les composantes de l’offre. Le caractère bas du prix peut ainsi résulter des quantités prévues ou encore du temps passé estimé par le candidat au vu du cahier des charges.
Ensuite, il est possible d’utiliser une formule mathématique pour détecter une offre anormalement basse - mais pas pour l’exclure de manière automatique, sous peine d’illégalité. En revanche, "il n’est pas interdit de déterminer un seuil d’anomalie en deçà duquel ou au-delà duquel les offres sont qualifiées d’offres anormalement basses", souligne Jean-Pierre Gohon.
L’acheteur public peut aussi comparer les offres entre elles. Ainsi, "un écart significatif entre le prix proposé par un candidat et celui de ses concurrents" constitue naturellement un indice. De même, une comparaison de l’offre en question avec l’estimation du pouvoir adjudicateur peut permettre d’identifier une offre anormalement basse lorsqu’une différence significative entre l’offre reçue et l’estimation de l’administration est constatée. Toutefois, cette hypothèse ne doit pas conduire à l’élimination automatique de l’offre, estime Jean-Pierre Gohon.
Enfin, l’acheteur public doit examiner l’offre au regard du respect des obligations contractuelles, notamment en matière sociale. Le candidat présentant une offre doit respecter les obligations sociales issues du Code du travail et des conventions collectives, en particulier la rémunération. A noter toutefois que dans l’arrêt du 3 avril 2008 concernant l’affaire dite "Dirk Rüffert", la Cour de justice des communautés européennes a considéré que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas imposer à un candidat le versement de salaires en fonction du lieu d’exécution de la prestation, ouvrant ainsi la brèche au dumping social.
Pour lutter contre les offres anormalement basses, l’article 69 du projet de directive sur les marchés publics, dont la transposition est attendue d'ici fin 2015, prévoit que les pouvoirs adjudicateurs auront l’obligation de questionner les candidats présentant un prix inférieur de plus de 50% au prix ou au coût moyen des autres offres et inférieur de plus de 20% au prix ou au coût de la deuxième offre la plus basse, dans une procédure pour laquelle cinq offres ont été reçues. Ces conditions seront cumulatives précise Jean-Pierre Gohon.
Les écueils à éviter en matière de pratiques anticoncurrentielles
L’acheteur public doit en outre détecter les comportements collusifs d’entreprises susceptibles de fausser la libre concurrence. Quelques précautions ont été mises en avant par Guy Jomin, administrateur Apasp et Jean Dulac, Inspecteur DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des Fraudes), en matière de pratiques anticoncurrentielles.
La personne publique doit analyser les caractéristiques du secteur d’activité concerné. Ainsi, "moins les opérateurs économiques sont nombreux sur un marché économique, plus ils disposent de facilité pour se concerter", estime Guy Jomin. Lorsqu’une procédure est lancée à plusieurs reprises par le pouvoir adjudicateur à la même période de l'année et selon la même configuration, les concertations entre entreprises sont facilitées. Il convient alors de varier la composition du marché public et d’allotir de manière différente pour éviter "toute prévisibilité dans le lancement des procédures".
L’acheteur public doit en outre prendre toutes mesures utiles pour garantir "l’exercice d’une réelle et loyale concurrence entre les entreprises". Une publicité large et adaptée dans les publications obligatoires voire spécialisées peut prévenir les comportements collusifs. Le recours systématique à une procédure avec présélection des candidats (appel d’offres restreint) n'est pas particulièrement conseillé. Les deux intervenants recommandent à l’acheteur public de ne pas annoncer dans la publicité une estimation financière de l’opération. Ils conseillent enfin de prohiber les visites de sites ou réunions communes à tous les candidats pour éviter les échanges préalables d’informations entre eux.
Références : Conseil d’Etat, 1er octobre 2013, n°349099 ; Conseil d'Etat, 20 février 2013, n°363656, Laboratoire Biomnis ; Conseil d'Etat, 29 juin 2012, n°357976, Société Pro2C ; Conseil d'Etat, 3 octobre 2008, n°305420, Smirgeomes ; Conseil d’Etat, 21 mars 2011, n°304806, commune de Béziers II.
Contrôle renforcé du juge sur la légalité d'une mesure de résiliation
Cette session d’études du 17 octobre a également été l'occasion pour Jean-Marc Peyrical, président de l’Apasp, d'apporter un éclairage sur "L'intervention croissante du juge dans le contrat" et sur les mesures de résiliation unilatérale prises par les personnes publiques.
Depuis la célèbre décision du Conseil d’Etat du 21 mars 2011, commune de Béziers II, le cocontractant de l’administration qui s’estime lésé par une décision de résiliation peut désormais solliciter du juge l’annulation de cette mesure et la reprise des relations contractuelles. Par un
arrêt récent du 1er octobre 2013, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions dans lesquelles le juge peut ordonner la reprise des relations contractuelles, renforçant encore davantage les pouvoirs de ce dernier.
Dans les faits, un ensemble contractuel formé de deux conventions avait été conclu entre une commune et une société, pour la construction d'une résidence pour personnes âgées. La personne publique décide par la suite de rompre unilatéralement le contrat pour un motif d'intérêt général. La société conteste la légalité de cette mesure devant le tribunal administratif et la cour d'appel. Sa requête ne trouvant pas d'écho favorable, la société saisit alors le Conseil d'Etat pour faire droit à sa demande et en vue d'ordonner la reprise des relations contractuelles.
L'arrêt Commune de Béziers II prévoyait déjà que le juge saisi d'un recours contestant la légalité d'une décision de résiliation doit "rechercher si cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé" pour se prononcer sur la reprise des relations contractuelles.
L'arrêt du 1er octobre 2013 ajoute une nouvelle condition : le juge ne doit pas se contenter d'examiner la légalité de la mesure de résiliation, il doit en plus s'assurer que le contrat est valide. "Dans le cas où le juge constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement [...]", il a l'obligation de "rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles".
En l'occurrence, la Haute Juridiction a considéré que le contrat était affecté d'un vice grave le rendant irrégulier par nature : une clause prévoyait la renonciation de l'acheteur public à l'exercice de son pouvoir de résiliation unilatérale. La reprise des relations contractuelles est donc jugée impossible.