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Commande publique - Quelle recevabilité pour un référé contractuel introduit après un référé précontractuel ?

A nouveau, le Conseil d'Etat vient de préciser l'articulation entre les deux recours contentieux d'urgence dans le cadre de la passation d'un marché public. Les référés précontractuel et contractuel permettent aux candidats évincés de la procédure de saisir le juge administratif respectivement avant ou après la signature du contrat public. Ils sanctionnent les "cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services ayant une contrepartie financière" (articles L.551-1 et L.551-13 du Code de justice administrative - CJA). Afin d'empêcher le cumul des procédures d'urgence, le référé contractuel n'est plus recevable lorsqu'un référé précontractuel a déjà été formé. Néanmoins, par deux arrêts du 29 juin 2012, le Conseil d'Etat admet la recevabilité d'un recours contractuel formé à la suite d'un précédent recours précontractuel lorsque le demandeur ignorait la signature du marché au moment où il a introduit sa première action en justice.

Bien rendre publique son intention de conclure le contrat

Dans les faits de la première affaire, un accord-cadre portant sur l'impression numérique de différents supports écrits de la région Auvergne avait été conclu avec la société Chaumeil. En cours d'exécution de ce contrat, le pouvoir adjudicateur lui a demandé un devis supplémentaire portant sur un support d'affichage. La société lui a adressé deux devis, mais se voit notifier le rejet de son offre. Elle saisit alors le juge du référé précontractuel d'une demande d'annulation de la procédure de passation, considérant qu'elle bénéficiait d'une exclusivité au titre de l'accord-cadre initial. Les conclusions en défense du pouvoir adjudicateur lui apprennent que le contrat avait déjà été conclu. Par conséquent, la société Chaumeil a introduit une nouvelle demande en annulation sur le fondement de la procédure d'urgence contractuelle.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a déclaré le référé contractuel irrecevable aux motifs qu'il ne peut être ouvert au demandeur ayant déjà fait l'usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur avait respecté le délai de suspension dans la passation à compter de la saisine du juge, conformément à l'article L.551-14 du CJA. A l'inverse, le Conseil d'Etat admet qu'un référé contractuel puisse succéder à un référé précontractuel lorsque le concurrent évincé ignorait, préalablement à l'action en justice, le rejet de son offre et la signature du marché. Par une lecture a contrario de l'article L.551-15 du CJA, les Sages du Palais-Royal ouvrent le recours en référé contractuel lorsque, avant la signature du contrat, "le pouvoir adjudicateur (…) n'a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ni observé un délai de onze jours entre cette publication et la conclusion du contrat". La région Auvergne n'avait pas rendu publique son intention de conclure le contrat et n'avait donc pas permis au candidat évincé de former un recours précontractuel dans les temps. Par conséquent, le Conseil d'Etat déclare le référé contractuel recevable.

Si le délai de suspension n'a pas été expressément précisé dans la notification du rejet de l'offre…

La seconde affaire porte sur un appel d'offre lancé par le département de l'Eure pour l'attribution d'un marché relatif à la fourniture et la pose de signalisation routière. Sa candidature ayant été rejetée, la société Signature a saisi le juge du référé précontractuel d'une demande d'annulation de la procédure de passation du marché. Or, les conclusions en défense du pouvoir adjudicateur lui apprennent que la signature du contrat était antérieure à l'action en justice. Le candidat évincé forme alors un référé contractuel en vue d'obtenir l'annulation du marché désormais signé.
Afin d'apprécier la recevabilité du recours contractuel ouvert après un référé précontractuel selon la condition de l'article L.551-14 du CJA, le Conseil d'Etat revient sur les dispositions de l'article 80-I-1° du CMP. Il rappelle la distinction qui y est opérée entre le délai à observer avant de conclure le marché à compter de la notification et le délai de suspension. Quant bien même le premier délai serait respecté, il est à la charge du pouvoir adjudicateur d'indiquer le délai de suspension qu'il compte tenir avant de signer le marché. Pour la Haute Cour, le délai de suspension n'équivaut pas au délai minimal de 16 ou 11 jours et nécessite donc d'être précisé expressément par le pouvoir adjudicateur. Ainsi, "à défaut pour elle d'avoir été informée de ce délai lors de la notification du rejet de son offre, la société Signature, qui était de ce fait dans l'ignorance de la signature du marché lorsqu'elle a présenté un référé précontractuel, est recevable à former un référé contractuel".

L'Apasp

ANNULATION D'UN MARCHE EN REFERE CONTRACTUEL POUR NON-RESPECT DE LA LANGUE DES DOCUMENTS DEMANDEE DANS L'OFFRE
Dans ce même arrêt n° 357617 du 29 juin 2012, le Conseil d'Etat analyse les moyens susceptibles de justifier une annulation du marché public en référé contractuel (articles L.551-13 à L.551-19 du Code de justice administrative). Il conclut au non-respect des obligations de publicité et de mise en concurrence dans la mesure où la société attributaire du marché avait produit des certificats de normalisation rédigés en langue tchèque alors que l'offre devait se faire en français. Ce manquement permet au Conseil d'Etat d'invalider la procédure de passation du marché puisqu'une telle irrégularité était de nature à avantager le concurrent auquel avait été attribué le marché par rapport à la société Signature. Il annule donc le marché conclu par le département de l'Eure pour la fourniture et la pose de signalisation routière.

Références : CE, 29 juin 2012, n°358353, société Chaumeil; CE, 29 juin 2012, n°357617, société Signature ; Fiche de la DAJ, "Les recours contentieux liés à la passation des contrats de la commande publique", 23 février 2012.