Sans boucliers tarifaires, près de 14% de la population aurait été en précarité énergétique en 2022
À l'occasion d'un colloque organisé à Lyon ces 4 et 5 décembre, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) a édité un tableau de bord proposant une photographie complète de la situation des ménages en précarité énergétique en France. Il montre que sans les boucliers tarifaires, le taux de précarité énergétique aurait augmenté en 2022 et se serait élevé à 13,8%.
Ces 4 et 5 décembre, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) a réuni pour son cinquième colloque à Lyon ses 30 partenaires (parmi lesquels l'Ademe, l'Anah, les ministères de la Transition écologique, de l'Économie, du Travail, de la Santé et des Solidarités), ainsi que des élus, des responsables de structures sociales, des experts et des professionnels de l’habitat et de la rénovation, de l’accompagnement, de l’énergie, de la santé et de la mobilité. À cette occasion, il a publié un tableau de bord de la précarité énergétique en France qui agrège les différentes données disponibles sur le sujet provenant de ses différents partenaires.
Un taux tributaire des conditions climatiques et des boucliers tarifaires
Phénomène multiforme, la précarité énergétique s’évalue tout d’abord en considérant le poids des dépenses énergétiques des ménages dans leur logement, rappelle l'Ademe, dont le président, Sylvain Waserman, est aussi président de l'ONPE. Ainsi, "le taux d’effort énergétique considère un ménage en situation de précarité énergétique lorsque les dépenses d’énergie de son logement sont supérieures à 8% de son revenu, et qu’il appartient aux 30% des ménages les plus modestes", indique l'Agence dans un communiqué. D’après les estimations du Commissariat général au développement durable, 3,2 millions de ménages français étaient en 2022 en précarité énergétique, soit 10,8% de la population (-1 point par rapport à 2021). Ce chiffre, en baisse s’explique notamment par les conditions climatiques clémentes de l’année 2022, ainsi que par les mesures de soutien au pouvoir d’achat (chèques énergie, boucliers tarifaires) prises par le gouvernement dans le cadre de la crise énergétique, analyse l'Ademe. Sans les boucliers tarifaires, le taux de précarité énergétique aurait augmenté et se serait élevé à 13,8%.
Des prix de l'énergie qui pèsent lourd dans les dépenses des ménages
Le problème de fond demeure donc, d'autant que le bouclier tarifaire sur le gaz s’est achevé mi 2023, compte tenu de la baisse des prix sur les marchés, et que pour l’électricité, la fin progressive du bouclier a été engagée en 2024 et doit se terminer le 31 janvier 2025. Alors que le gaz et l’électricité représentent près de 80% de l’énergie consommée dans le logement, l'évolution des prix depuis deux ans est particulièrement préoccupante. "Le gaz, avec lequel un tiers des ménages chauffent leur logement, a vu son prix augmenter de 20% en 2023 après une augmentation de 25 % en 2022", indique l'Ademe, tandis que le prix de l’électricité a augmenté de 7% en 2022 et de 14% en 2023.
Dans ce contexte, selon le baromètre du médiateur national de l’énergie (MNE), 85% des foyers français estiment en 2024 que les factures d’énergie sont un sujet de préoccupation majeur, et 82% que les factures représentent une part importante dans les dépenses du foyer. 75% déclarent avoir restreint leur chauffage pour ne pas avoir de factures trop importantes, et 28% ont rencontré des difficultés à payer leurs factures d’énergie. 1 million de ménages (+ 3 %) ont subi une intervention (coupure de courant ou réduction de puissance) d’un fournisseur d’énergie en 2023 à la suite d’impayés.
Trop froid l'hiver... ou trop chaud l'été
"Si la précarité énergétique se matérialise souvent par des factures trop élevées, elle peut également se traduire par des phénomènes de restriction dans le logement", poursuit l'Ademe. Toujours selon le baromètre du MNE, 30% des ménages déclarent ainsi avoir souffert du froid à leur domicile lors de l’hiver 2023-2024, une proportion qui a plus que doublé depuis 2020. 41% des Français qui ont eu froid en 2023-2024 l’expliquent par la nécessité de limiter le chauffage pour des raisons financières.
La multiplication des périodes estivales de forte chaleur a aussi fait émerger la question de la précarité énergétique d’été. 42% des ménages déclarent ainsi avoir souffert d’un excès de chaleur au cours de l’été 2024. "Si la première explication relève de la température extérieure, 26% des personnes concernées mentionnent également la mauvaise isolation de leur logement, et 12% une mauvaise ventilation", commente l'Ademe.
En parallèle, l'Agence relève l'amorce d'évolutions dans la politique de rénovation des logements. En 2023, MaPrimeRénov’ Sérénité a été attribuée à 30.166 propriétaires occupants (dont 72% de ménages très modestes). Le nombre de dossiers a diminué de 12% par rapport à 2022, mais le montant moyen octroyé (15.590 euros) a continué d’augmenter (+ 850 euros). En 2023, les rénovations globales aidées par l’Anah ont augmenté de 9% par rapport à l’année précédente et les nouveaux barèmes Anah au 1er janvier 2024, permettent une prise en charge des travaux jusqu’à 90% des travaux pour les revenus les plus modestes dans le cadre de MaPrimeRénov' Parcours accompagné destiné à des rénovations ambitieuses (saut de deux classes de DPE), souligne l'Ademe.
"Être en précarité énergétique aujourd’hui, c’est aussi rencontrer des difficultés à se déplacer en raison de prix des carburants trop élevé pour son budget", relève par ailleurs l'Agence de la transition écologique. "Les tensions géopolitiques liées à la guerre en Ukraine et la fin des remises à la pompe ont maintenu les prix à un niveau élevé en 2023, relève-t-elle. Ainsi, même si la situation s'est améliorée en 2024 grâce à la baisse des prix internationaux des produits pétroliers en 2023, 10% de la population est en 'précarité carburant'" (contre 7% en 2021). Il s’agit des personnes qui ont un bas revenu, des dépenses en carburant élevées et /ou qui doivent déjà restreindre leurs déplacements. "Si la mobilité électrique est une solution économique dans son usage, son développement est encore entravé par le cout d'achat de ces véhicules, que les dispositifs comme le leasing social ne suffisent pas à limiter", constate encore l'Ademe.
Outre son tableau de bord 2024, l'ONPE a aussi mis à jour GEODIP, un outil cartographique gratuit de géolocalisation de la précarité énergétique développé avec la Délégation Interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Il permet aux acteurs territoriaux et aux associations locales d’identifier le phénomène de précarité énergétique sur leur territoire en téléchargeant un diagnostic personnalisé.
› Bouilloires thermiques : 4 ménages sur 10 du parc social souffrent de la chaleur dans leur logement en été38% des locataires du parc social indiquent souffrir de la chaleur dans leur logement en été, en particulier lors des vagues de chaleur selon une enquête réalisée par l'Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) diffusée ce 3 décembre. Cet inconfort d'été est surtout lié à la présence de volets et/ou de brise-soleils à l'extérieur des logements : "1 ménage sur 3 avec volets et brise-soleils déclare souffrir de la chaleur, contre 1 sur 2 parmi ceux sans aucune protection de ce type", note l'étude. Parmi les 2.300 ménages qui ont répondu au sondage de l'Ancols, 13% déclarent n'avoir ni volet ni brise-soleil, 4% uniquement un brise-soleil, 62% uniquement des volets et 21% sont équipés des deux. L'impossibilité de faire des courants d'air dégrade aussi le confort thermique d'été : 55% des ménages qui vivent dans ce type de logements disent souffrir de la chaleur. "Dans la même logique, les ménages vivant dans un T1 reconnaissent plus fréquemment avoir une température qui n'est pas agréable dans leur logement lors des vagues de chaleur", ajoute l'Ancols. En revanche, "l'inconfort d'été n'est pas lié à l'année de construction du logement", contrairement à l'inconfort d'hiver. Les passoires thermiques où il fait froid l'hiver ont néanmoins tendance à être aussi des bouilloires thermiques l'été. L'Ancols affirme que "les résultats dans le parc social semblent meilleurs que ceux de l'ensemble du parc résidentiel, avec seulement 4 ménages sur 10 satisfaits", selon un baromètre de 2022 du médiateur de l'énergie, contre 6 ménages satisfaits sur 10 au sein des logements sociaux. La part de ménages déclarant souffrir de la chaleur est plus importante dans le sud de la France : 51% le long du pourtour méditerranéen, contre 36% dans la partie nord, dont l'Ile-de-France. Les locataires de logements sociaux de certaines collectivités d'outre-mer souffrent davantage des températures élevées : 74% des ménages du parc social de Guyane disent souffrir de la chaleur, 57% en Martinique et en Guadeloupe, mais 34% à La Réunion. Ces disparités illustrent les différences de climat, "équatorial et humide en Guyane alors qu'il est tropical en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion", selon l'Ancols. |