"Logements bouilloires" : plus de la moitié des Français ont eu trop chaud chez eux en 2023, selon une étude de la Fondation Abbé Pierre
La Fondation Abbé Pierre a de nouveau alerté sur les risques liés à la précarité énergétique d'été dans une étude publiée ce 22 août. Avec d'autres associations, elle appelle l'Etat, les collectivités et les propriétaires de logements à prendre en compte l'habitabilité d'été dans les travaux de rénovation énergétique.
Après avoir déjà tiré le signal d'alarme l'an passé sur la précarité énergétique d'été (lire notre article), la Fondation Abbé Pierre (FAP) a publié ce 22 août une nouvelle étude dressant un état des lieux du phénomène des "logements bouilloires" lors des vagues de chaleur. Ainsi, en 2023, 55% des Français ont déclaré avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins 24 heures, un quart en souffrirait "fréquemment" durant l'été, tandis que le nombre de personnes vivant dans des logements "trop chauds" a augmenté de 26% depuis 2013 indique ce rapport, qui compile des données officielles. En cause, la mauvaise isolation des murs "qui engendre trois fois plus de logements trop chauds", la présence ou non d'un espace extérieur, l'absence de protections solaires ou même de simples volets. Selon une enquête Ipsos-RTE publiée en mai 2023, 37% des répondants souffrent "à la fois du chaud et du froid", dans des logements impossibles à chauffer l'hiver qui se transforment en bouilloires l'été.
L'habitat urbain particulièrement touché
En outre, plus fréquemment situés dans les zones urbaines, les appartements sont également "trois fois plus souvent trop chauds que les maisons individuelles, surtout lorsque ces dernières profitent d'un espace extérieur", pointe le rapport. 62% des ménages vivant en appartement déclarent ainsi avoir eu trop chaud chez eux l'an passé.
De fait, "caractérisée par sa minéralité, sa densité et son manque de végétation, la morphologie des villes intensifie le ressenti et les conséquences des canicules, en participant au phénomène d'îlot de chaleur urbain (ICU)", poursuit-il. Ces ICU liés au béton qui stocke la chaleur le jour et la rediffuse la nuit, mais aussi au manque de végétation et de sources d'eau ainsi qu'à l'intensité de l'activité urbaine et à la circulation automobile, ont généré une différence de température de 10°C entre ville et campagne lors de la grande canicule de 2003. Selon une étude portant sur plusieurs centaines de villes publiée en mai 2023 dans Lancet Planet Health, Paris est la capitale d'Europe où le risque de mortalité face aux vagues de chaleur est le plus fort en raison de sa densité et du manque d'espaces verts.
Les ménages les plus modestes en première ligne
Les territoires les plus exposés aux chaleurs anormales abritent près de 1,2 million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, qui sont aussi plus susceptibles d'occuper des bouilloires thermiques, relève l'étude de la FAP. 37% des ménages modestes (moins de 1.000 euros de revenus nets par unité de consommation) déclarent ainsi souffrir de la chaleur dans leur logement. Les moins de 25 ans, plus nombreux à vivre dans de petits logements mal isolés, sont 71% à être touchés par le phénomène, tout comme 70% des locataires, selon l'enquête Ipsos/RTE. Les mères célibataires et les personnes âgées, physiologiquement plus vulnérables, sont également directement concernées.
La situation est d'autant plus préoccupante qu'elle risque de s'aggraver. "Un Français sur sept habite un territoire qui sera exposé à plus de vingt journées anormalement chaudes chaque été d'ici 2050", prévient le rapport. C'est le cas de 68% des habitants d'Auvergne-Rhône-Alpes ou encore de 47% de ceux de Bourgogne-Franche-Comté. Dans la perspective d'un réchauffement de 4°C, 93% du parc bâti (96% en ville) sera exposé "à un risque fort ou très fort lié aux vagues de chaleur". "Alors que 80% des logements de 2050 existent déjà aujourd'hui, peu d'entre eux sont prêts à faire face aux conséquences du réchauffement climatique", alerte la FAP.
Outre les inégalités face à la précarité énergétique d'été, l'étude souligne aussi ses conséquences en termes de santé publique. Le nombre de décès liés à la chaleur de l'été 2023 était ainsi évalué à 5.000, dont 75% chez les 75 ans et plus. Cette même année, 20.000 recours aux soins d'urgence en lien avec la chaleur ont été observés dont 10.600 ont conduit à une hospitalisation.
"Habitabilité" des logements insuffisamment prise en compte
"Au-delà de l'euphémisme du 'confort d'été', c'est l'habitabilité des logements et leur capacité à protéger leurs habitants (...) qu'il est urgent de prendre en compte", estime Christophe Robert, délégué général de la FAP. Malgré quelques évolutions, l'adaptation des logements à la chaleur "ne figure toujours pas au coeur des politiques de rénovation", constate le rapport. La lutte contre la précarité énergétique porte en effet surtout sur la réduction de la consommation d'énergie, la décarbonation du chauffage et le maintien d'une température minimale dans les logements. Des freins réglementaires ou patrimoniaux empêchent en outre parfois l'installation de protections solaires ou l'application de couleurs claires en façade et en toiture.
Aucune aide publique spécifique n'est prévue pour adapter les logements aux canicules en dehors des rénovations d'ampleur, relève l'étude. Or, "il aurait été utile de subventionner également de simples gestes pour des millions de ménages exposés à la précarité énergétique d'été, sans forcément qu'ils aient à engager des travaux lourds alors qu'ils ont parfois besoin en urgence d'installer des volets", souligne-t-elle. De plus, si un propriétaire est tenu de louer son logement "avec une température réglementaire minimum de 19 degrés en moyenne (...) aucune température maximale n'est indiquée pour la location". "Si des solutions passives de refroidissement ne sont pas suffisamment déployées, la climatisation continuera nécessairement de proliférer, provoquant l'augmentation des factures d'énergie, l'aggravation de la surchauffe urbaine et la hausse des émissions de gaz à effet de serre", met en garde l'étude.
Pour une loi de programmation de la rénovation performante des bâtiments et des quartiers
Parmi ses recommandations, la Fondation propose "d'intégrer systématiquement des travaux d'adaptation aux vagues de chaleur aux rénovations énergétiques subventionnées par l'État" (isolation thermique, installation de protections solaires, ventilation adéquate, couleurs claires pour les toits, murs et volets, brasseurs d'air et végétalisation), d'intégrer la notion de chaleur aux critères de décence des logements, de faciliter la réalisation de travaux grâce à l'évolution du diagnostic de performance énergétique (DPE) et des règles de protection du patrimoine ou d'instaurer un plan "grand chaud" pour protéger les personnes sans abri et les habitants de lieux de vie informels, particulièrement vulnérables lors des canicules.
A la suite de la publication de l'étude, le collectif Rénovons, qui fédère une dizaine d'associations* dont la Fondation Abbé Pierre a réclamé ce 28 août au prochain gouvernement une "loi de programmation de la rénovation performante des bâtiments et des quartiers intégrant pleinement les critères de l'habitabilité d'été des logements". Le collectif évoque parmi ces derniers des mesures déjà préconisées par la FAP (isolation thermique performante, installation de protections solaires et de vitrages à contrôle solaire, ventilation adéquate, couleurs claires pour les murs, brasseurs d'air, végétalisation, etc.) ainsi que des dispositions pour réduire les ICU (désimperméabilisation des sols, ombrage des voies piétonnes, brumisation, réseaux d'eau glacée urbains…).
*Réseau Cler, Coénove, Caritas France, Soliha, UFC-Que choisir, Effinergie, Négawatt, Agir pour le climat, Le Mur manteau et Isolons la terre contre le CO2