Bâtiments : les pistes de l’Ademe pour limiter le recours à la climatisation
Dans un avis publié ce 26 juin, l'Agence de la transition écologique fournit une série de recommandations visant à retarder le recours à la "climatisation active" dans les bâtiments lors des vagues de chaleur. Elle appelle à anticiper ces épisodes de températures élevées, à la fois dans la rénovation et la conception des bâtiments, mais aussi en renforçant, à l’échelle des collectivités, la planification en matière d’adaptation.
Alors que le Giec anticipe dans son rapport de 2022 l’augmentation de la durée, de l’intensité et de la fréquence des vagues de chaleur, qui pourraient survenir trois années sur quatre et durer de mai à octobre, la climatisation va-t-elle devenir indispensable pour adapter les bâtiments à ce phénomène ? Dans un nouvel avis publié ce 26 juin, l'Ademe fait le tour de la question. Selon elle, "même dans un scénario de respect des engagements climatiques, 26% à 27% des bâtiments seront exposés à un risque très fort, c’est-à-dire situés sur un territoire exposé à des températures futures fortes et/ou dans un îlot de chaleur urbain" – une proportion qui pourrait atteindre 61 à 65% "sans régulation climatique". Dans le cadre de la trajectoire de réchauffement de référence adoptée par la France en 2022 (+4 °C en 2100), "plus de 90 % du parc immobilier du territoire métropolitain sera fortement à très fortement exposé aux vagues de chaleur d'ici 2100, sauf sur certaines zones montagneuses", développe l’avis, tout en précisant que les territoires ultramarins, "déjà chauds, feront également face à des défis accrus".
Climatiseurs : un taux d'équipement déjà important
Au-delà des solutions passives comme le déploiement des protection solaires et de l’isolation notamment, le besoin de rafraîchir les bâtiments avec des équipements de production de froid (climatiseurs, PAC en particulier géothermiques, réseaux de froid…) devient progressivement inévitable dans de nombreux cas, reconnaît l'Ademe. Le taux d’équipement des ménages (25%) est d'ailleurs déjà important, tout comme celui des bâtiments tertiaires (40% des surfaces) et des études récentes montrent qu’il sera de plus en plus indispensable d’installer des équipements de climatisation à l’horizon 2050, relève l'Agence, qui rappelle aussi au passage que ses propres travaux comme ceux de RTE montrent que la production photovoltaïque d’électricité devrait être suffisante à l’horizon 2035 pour alimenter ces solutions actives de rafraîchissement, "sous réserve notamment de faire fonctionner ces équipements durant les horaires de production solaire et de maîtriser les températures de consigne".
Risque d'aggravation des phénomènes d'îlots de chaleur
"Toutefois, le déploiement des principales solutions actives du marché actuel (climatiseurs) a d’autres impacts qu’il convient de limiter : îlot de chaleur urbain, facture énergétique, émission de GES [gaz à effet de serre], nuisances sonores et visuelles…", pointe-t-elle Les émissions de GES liées à la climatisation sont essentiellement dues aux gaz réfrigérants, que les évolutions règlementaires en cours devraient permettre de résorber à moyenne échéance, estime-t-elle. Mais parmi les solutions actives, certaines rejettent de la chaleur à l’extérieur, ce qui pourrait aggraver les phénomènes d’îlot de chaleur urbain pendant les périodes de températures élevées. L’avis évoque notamment une étude de modélisation qui montre que "l’utilisation généralisée de la climatisation pourrait augmenter les températures extérieures jusqu’à 2°C à Paris, voire davantage en cas de canicules extrêmes. En cas de vague de chaleur plus intense que celle de 2003, l’augmentation pourrait être beaucoup plus importante, dépassant par exemple 3,6°C pour les canicules les plus extrêmes projetées pour les années 2030". Limiter l’impact de telles solutions est donc "une priorité", estime l’Ademe. En outre, "les solutions actives auront également un impact sur la facture énergétique des entreprises, des collectivités et des ménages, risquant notamment d’aggraver le nombre et la situation des ménages en situation de précarité énergétique", poursuit l'Ademe.
Pour toutes ces raisons, l'Agence juge "nécessaire" d’"anticiper l’impact des vagues de chaleur en planifiant en priorité des actions de réduction des besoins de froid (isolation, protections solaires ou encore brasseurs d’air, gestes et comportements adaptés), qui permettront dans un grand nombre de cas de retarder la nécessité de recourir à la climatisation active, et en tout cas de mieux maîtriser la consommation d’électricité de ces systèmes".
Confort d'été : une problématique à intégrer partout
Elle détaille dans son avis plusieurs recommandations. Elle conseille ainsi d'intégrer dès aujourd’hui la problématique du confort d’été dans toutes les rénovations en déployant "en priorité et à grande échelle" les solutions passives pour aider à mieux supporter les vagues de chaleur dans les bâtiments. Elle appelle en particulier à compléter la politique de rénovation des bâtiments par un volet d’adaptation aux vagues de chaleur. "La protection contre les surchauffes constitue ainsi une raison supplémentaire de rénover les bâtiments en agissant sur l’enveloppe", justifie-t-elle. Cette logique devrait s’appliquer à "tous les bâtiments", y compris ceux "concernés par des contraintes architecturales fortes" : pour ces derniers, "un travail de concertation est nécessaire avec les Architectes des bâtiments de France, les collectivités territoriales et le ministère de la Culture afin de concilier préservation de l’architecture, baisse des consommations d’énergie et adaptation aux nouvelles conditions climatiques", estime l’Ademe. Les bâtiments neufs doivent pour leur part être conçus "dès maintenant pour s’adapter au climat prévu pour 2100, ce qui nécessite des évolutions de la RE2020", ajoute l’Agence, tout en précisant que "les travaux sur ce sujet sont engagés".
Privilégier les équipements les plus respectueux de l'environnement
Parallèlement, elle propose de "limiter autant que possible" le recours aux équipements de climatisation impactant directement l’îlot de chaleur urbain. A cette fin, un malus sur les équipements les moins performants pourrait être proposé. Autre préconisation : utiliser les systèmes actifs les plus respectueux de l’environnement (brasseur d’air, puits climatique, géocooling, réseau de froid…) faisant appel aux énergies renouvelables et "utilisés de façon sobre, c’est-à-dire avec une température de consigne jamais en dessous de 26°C et avec une protection solaire efficace installée sur le bâtiment".
L'Agence recommande également de continuer à développer l’innovation dans les solutions de rafraîchissement "sobres et efficaces" et d'améliorer les connaissances sur les impacts de l’augmentation des vagues de chaleur sur l’habitabilité des logements, sur les inégalités sociales, sur les factures d’électricité des ménages et des entreprises, et sur l’activité des entreprises et de l’industrie. "En particulier, il est nécessaire de clarifier la définition de bouilloire thermique et d’y adosser une politique publique", estime-t-elle.
Collectivités : renforcer la planification de l'adaptation à différentes échelles
Pour les collectivités, l'Ademe conseille de "renforcer la planification de l’adaptation aux vagues de chaleur, cohérente à l’échelle de la ville et des bâtiments, en anticipant les solutions d’aménagement urbains adaptées (solutions fondées sur la nature) et le besoin en réseaux urbains de froid". L’avis mentionne à ce titre l’outil numérique "Plus fraîche ma ville", conçu pour aider les collectivités dans le choix de solutions de rafraîchissement urbain pérennes et durables ou encore la démarche Tacct de l'Agence qui vise à les accompagner sur la question de l’adaptation au changement climatique.
En termes de planification, l'Ademe recommande d'intégrer "pleinement la question de l’habitabilité des logements et des conditions de travail dans les bâtiments tertiaires et industriels dans les dispositifs de planification de l’adaptation au changement climatique, à toutes les échelles, du niveau stratégique au niveau opérationnel (Pnacc, PCAET, PLUI, voire schéma directeur pour le développement des réseaux de froid)". Conformément à la directive européenne sur l’efficacité énergétique adoptée en septembre dernier, les villes de plus de 45.000 habitants seront d'ailleurs tenues d’élaborer et de mettre en œuvre des plans locaux détaillés visant à optimiser la résilience des systèmes de chauffage et de refroidissement des bâtiments, rappelle l’avis.