RSA : une évaluation souligne les progrès et limites de "l’accompagnement rénové"
Les expérimentations visant à rénover l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ont fait l’objet d’une évaluation publiée fin novembre. Sans se prononcer sur l’efficacité du dispositif en termes de retour à l’emploi, l'étude éclaire l’intérêt de la réforme et ses ambitions, mais aussi ses limites, au regard des moyens à investir.
Qu’ont donné les premières expérimentations des préceptes de la loi "pour le plein emploi" ? Une évaluation qualitative diffusée par la direction de la recherche du ministère du Travail fin novembre livre une première idée des défis concrets de la réforme qui, promulguée il y a un an jour pour jour, doit pleinement s’appliquer à partir du 1er janvier 2025. Dégager les facteurs clés de succès, identifier les obstacles, anticiper les coûts de l’accompagnement… voilà quelques-unes des réponses attendues des cabinets Amnyos et Pluricité, qui se sont penchées sur les données disponibles dans les 18 premiers territoires où l’accompagnement rénové des bénéficiaires du RSA a été testé, ainsi que sur les monographies de huit d’entre eux (1).
Tensions sur l’entretien d’orientation
L’évaluation fait état d’une "accélération des processus d’entrée dans l’accompagnement, favorisant l’engagement rapide d’une dynamique dès l’inscription". Un progrès lié à l’accélération des délais entre la validation de la demande par la CAF et l’orientation vers un parcours, qui varient entre 15 et 50 jours, mais aussi des décisions d’orientation prises directement après le premier entretien.
Si les conditions techniques de la mise en œuvre des critères d’orientation adoptés au sommet (lire notre article du 11 décembre) ne sont pas encore tout à fait officialisées, l’évaluation décrit la mise en œuvre de l’entretien "de co-diagnostic" effectué en binôme par les départements et France Travail qui a été mis en place sur 7 des 8 territoires suivis afin de définir la bonne orientation des allocataires. Bien que fécond, l’exercice s’avère contraignant en pratique. Le temps de l’entretien d’orientation - d’une durée moyenne de vingt minutes – est "quasi-unanimement jugé insuffisant pour comprendre en profondeur le profil des allocataires du RSA et leurs difficultés". Cet exercice est aussi sous influence de considérations extérieures à la situation de l’allocataire, telles que "le nombre de places dont disposent les structures et la nécessité d’alimenter certains portefeuilles".
Autre fait observé : certaines prescriptions de "parcours emploi", guidées par un souhait de remobilisation des publics, "ne sont pas toujours optimales". Pour preuve, "de nombreux conseillers France Travail ont exprimé leur surprise au regard de l’éloignement de l’emploi d’une part importante de leur portefeuille", souligne le rapport, qui donne l’exemple d’orientations des personnes à deux années de la retraite mais depuis dix ans au RSA, et en situation de surendettement.
De manière concomitante, l’évaluation rapporte une proportion parfois élevée d’exemptions aux 15-20 heures : 15% dans le territoire pilote en Bouches-du-Rhône, et jusqu’à 20% de dispenses d’accompagnement en Côte-d’Or. Un sujet sur lequel certains territoires "sont en attente d’instructions" au niveau national.
Trop de reporting, peu de prescriptions croisées
Voulue par la réforme, l’intensification de l’accompagnement s’est traduite par une réduction de la taille des portefeuilles par conseiller : 50 à 70 allocataires en modalité emploi, 50 à 60 en parcours socioprofessionnel et 45 à 80 en social. Point positif, tant pour les conseillers en insertion professionnelle que pour restaurer un sentiment de confiance chez les allocataires. Néanmoins, la norme controversée des 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires s’avère "particulièrement exigeante". L’étude rapporte "l’absence d’outils partagés, de nomenclatures et d’équivalences horaires homogènes entre les structures (et les territoires)" mais aussi "une forme d’insatisfaction des professionnels au regard du temps investi sur le reporting" quand cette nomenclature existe. Aussi, "certains professionnels alertent plus largement sur le risque d’une place trop centrale donnée aux 15-20 h" sans qu’elle ne corresponde aux besoins. "Le point de contact présentiel hebdomadaire n’est pas adapté́ à tous les ARSA [allocataires] et à toutes les étapes de leur parcours, et peut même être contreproductif dans plusieurs types de situation", écrivent les auteurs.
L’accompagnement rénové a permis dans bien des cas de remettre la question du retour à l’emploi au premier plan. Mais aussi d’améliorer l’accès aux droits, afin de trouver un logement ou un accompagnement administratif pour une demande de RQTH ou d’AAH. Cependant, "le contenu et les pratiques associés à cet accompagnement ont peu évolué" : les professionnels tendent à "internaliser les actions et à privilégier celles issues de leur propre structure, ce qui entraîne une faible prescription croisée entre les Départements et France travail".
Les évaluateurs manquent de données afin d’apprécier dans quelle mesure les statistiques de retour à l’emploi "témoignent d’une amélioration par rapport à la situation préexistante". Selon les derniers chiffres disponibles dans le tableau de bord national, 38% des allocataires suivis dans les expérimentations ont occupé un emploi (inférieur ou supérieur à un mois) dans les six mois suivant le début de leur accompagnement, et 14% un CDD de plus de six mois ou un CDI. Avec des différences selon la nature du parcours, les accompagnements "emploi" affichant de meilleurs résultats.
Un coût des parcours de 500 à plus de 3.000 euros sur six mois
L’étude aborde enfin un autre point majeur : comment anticiper une généralisation compte tenu du coût de l’accompagnement ? L’évaluation souligne la difficulté d’appréhender cette question pour des raisons comptables et de diversité des choix locaux, compliquant l’appréhension de l’efficience des parcours et accompagnements.
Elle a toutefois estimé les dépenses au titre de la référence des parcours et de l’offre d’insertion relevant des plans départementaux d’insertion. Pour environ 6 mois d’accompagnement, les coûts moyens se situent "entre 500 et 1.400 euros par parcours", hors des actions relevant du droit commun ou financés sur d’autres lignes. En intégrant les actions externalisées, le coût s’élève à 600 euros pour un parcours "emploi" de 6 mois contre 2.000 voire 3.000 euros pour des parcours "socioprofessionnels" de 15h par semaine entièrement en face à face avec des professionnels sur une période de 9 mois. Pour 2.500 allocataires, la facture s’élèverait à 5,2 millions d’euros.
(1) Bassins de Decazeville-Villefranche de Rouergue (12), Marseille 5e et 7e arrondissements (13), Beaune et Genlis (21), Pays de Redon et des Vallons de Vilaine (35), Tourcoing (59), Givors-Grigny (69), Epinal (88), Saint-Leu (974).