Roussillon : la couleur, pilier du territoire (84)

Pour Gisèle Bonnelly, maire de Roussillon : « la ressource naturelle est, pour les petites communes comme la nôtre, un instrument à multiples cordes. L’ocre est source de mémoire de nos ouvriers qui ont travaillé dans les carrières, source de la beauté de notre village, source de développement économique, notamment autour du tourisme. » De fait, l’attractivité de Roussillon s’appuie sur le village. Elle est aussi soutenue par le sentier des ocres : menant du village aux carrières, il reçoit 350 000 visiteurs annuels. Enfin, un peu plus loin, à 1,6 km du village, l’écomusée représente lui aussi une source d’attractivité. Installé dans l’ancienne usine de traitement de l’ocre, il est aujourd’hui géré en délégation de service public de la commune par la coopérative Ôkhra.

L'écomusée trouve son origine dans la rencontre, au début des années quatre-vingt-dix, entre un couple passionné et la municipalité qui avait racheté l’ancienne usine d’ocre Mathieu. « Nous avions un projet de création d’une entreprise à vocation culturelle autour d’un savoir-faire, explique Mathieu Barrois, cofondateur et directeur général de Ôkhra. En tant que porteurs de projet, nous avions une vision de territoire fondée sur la valorisation à la fois d’un produit toujours présent au cœur de la vie économique, et de savoir-faire vivants. D’où l’idée d’un conservatoire, devenu aujourd’hui écomusée, où l’on pratique la discipline que l’on entend préserver. » À ce titre, Ôkhra est un pôle territorial de coopération économique, lauréat du deuxième appel à projets en 2015.

La philosophie de Ôkhra, créée en 1994 est d’éveiller la curiosité du visiteur pour lui donner envie d’utiliser ce produit, voire d’en devenir prescripteur. Chaque visite guidée dure une heure quinze et s’organise en deux temps. Le premier explore les savoir-faire ocriers avec les trois histoires de l’ocre : géologique, humaine et industrielle. Dans un deuxième temps, les visiteurs se familiarisent avec les savoir-faire de la couleur, grâce à un atelier pratique pour s’initier à la peinture. Avec les années, Ôkhra est devenu un centre de ressources sur la couleur, reconnu nationalement et internationalement. « Le comptoir librairie et le site web génèrent la moitié de notre chiffre d’affaires », précise Mathieu Barrois. Ouvert 313 jours par an, 7jours/7 de mars à octobre, Ôkhra représente sur ses vingt-cinq ans d’existence un apport pour le territoire de 22 millions d’euros, dont 15 millions de chiffre d’affaires hors subventions.

Former pour l’avenir

Conscients de la richesse du passé, actifs dans la vie économique du territoire, les responsables de Ôkhra sont en lien avec la municipalité de Roussillon et tous les membres de la coopérative. Ensemble, ils s’attachent à préparer le futur en favorisant la formation. La Société coopérative d'intérêt collectif (Scic) Ôkhra poursuit ainsi son rôle d’initiation auprès du grand public, des plus jeunes et des personnes vulnérables, avec 2 500 participants par an à des ateliers pratiques. La formation professionnelle pour adultes est réalisée en partenariat avec l’École d’Avignon, école de rénovation du patrimoine bâti ancien, réputée mondialement.

Faire venir les visiteurs

Parmi les 20 800 visiteurs de l’écomusée en 2022, 66 % sont des visiteurs individuels, 16 % des groupes, 12 % des groupes scolaires ayant pratiqué un atelier et 6 % sont des particuliers ou des familles ayant suivi un atelier technique, d’une durée d’une heure trente à trois jours. Avec un chiffre d’affaires de 373 000 € et quatre salariés permanents, la Scic reste en situation économique fragile et affiche pour 2022 un résultat net 2022 de – 11 375 €. La clé ? Attirer une plus grande part des visiteurs de Roussillon et du sentier des ocres vers l’écomusée. « Nous avons mis en place une politique tarifaire de réduction réciproque pour favoriser la visite des deux sites », explique Gisèle Bonnelly. Plus récemment, Roussillon s’est inscrit dans le projet de la communauté de communes du Pays d'Apt Luberon, qui prépare son dossier pour devenir Grand site de France. À ce titre, pourraient être dégagés les financements nécessaires à différentes réalisations : une véloroute reliant les différents sites ocriers (Goult, Gargas, Bruoux, Rustrel) ; la mise en valeur du massif ocrier en partie recouvert de végétation, et une voie de mobilité douce pour rejoindre l’écomusée depuis le village ou le sentier des ocres.

À l’inverse, la maire de Roussillon observe qu’environ un quart des visiteurs de l’écomusée, professionnels et chercheurs attirés par l’expertise couleurs proposée par Ôkhra, ne viennent pas au village. Et de conclure : « tous, nous sommes portés par l’ocre et nous avons besoin les uns des autres ». Elle insiste, par ailleurs, sur la volonté de l’équipe municipale de préserver une « vraie vie de village », avec des commerces, des services d’éducation et de santé, une vie associative. Pour cela, les élus veillent à ce que les habitants de Roussillon bénéficient de la manne financière que représente cet afflux de touristes. La commune n’enregistre aucune augmentation d’impôts depuis près de vingt-cinq ans, alors même qu’elle assume des charges très importantes, avec, par exemple, 25 agents à l’œuvre tout au long de l’année, contre 18 en moyenne pour une commune française du même nombre d’habitants.