Risques liés à l'hydrogène : un rapport d'inspection appelle à accroître la sécurité
Alors que le gouvernement a lancé une stratégie nationale ambitieuse en faveur de l'hydrogène décarboné, un rapport d'inspection publié fin janvier recommande de bien prendre en compte la dimension sécurité dans les projets industriels qui émergent. Elle juge notamment "indispensable" de fixer "aussi rapidement que possible" une doctrine concernant la sécurité dans les parkings fermés et les tunnels. Elle préconise aussi d’inclure dans les appels à projets un volet sur la sécurité et de demander aux porteurs des projets aidés sur crédits publics un retour d’expérience en la matière.
Commandé début 2022 par Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique, un rapport publié ce 24 janvier par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) sur la sécurité du développement de la filière hydrogène s'intéresse à la perspective de développement des usages de l’hydrogène encouragée par la stratégie nationale en la matière. "Les priorités de la stratégie française sont d’une part la fabrication d’hydrogène décarboné, produit par électrolyse de l’eau réalisée en utilisant de l’électricité renouvelable ou d’origine nucléaire ; d’autre part son usage par les industries déjà utilisatrices (raffineries, chimie, fabrication d’engrais), en substitution de l’hydrogène carboné utilisé aujourd’hui (produit à partir du méthane), mais aussi son usage par d’autres industries qui adapteront leurs procédés de production pour les décarboner grâce à l’hydrogène, notamment la sidérurgie, rappelle le rapport. Enfin, la stratégie française prévoit également de développer l’usage de l’hydrogène décarboné dans le domaine de la mobilité, principalement la mobilité lourde." Or, estime la mission, "si l’on peut penser que les questions liées à la sécurité hydrogène sont bien maîtrisées par les grands industriels rompus à la culture du risque et attentifs à assurer la sécurité de leurs processus de production, le développement des usages dans le secteur de la mobilité, et potentiellement dans d’autres secteurs, fait intervenir un grand nombre de nouveaux acteurs, ce qui soulève de nouvelles questions en matière de sécurité et nécessite de nouvelles approches en matière de gestion des risques et de réglementation".
Foisonnement d'initiatives
Il était d’abord demandé à la mission d'inspection de réaliser un état des lieux et des perspectives à cinq et dix ans du développement de l’hydrogène. Premier constat, "l’hydrogène est l’objet en France d’un engouement très fort qui conduit à un grand foisonnement". "On observe ainsi un écart important entre les projets et les objectifs ambitieux qui sont annoncés et des réalisations effectives encore très modestes, relèvent les auteurs du rapport. Ce grand écart est lié pour une part aux incertitudes majeures qui affectent les perspectives de développement des usages de l’hydrogène, notamment sur le plan économique. Nul ne sait en effet prédire aujourd’hui l’évolution des prix de l’électricité (et donc du coût de production de l’hydrogène par électrolyse) dans les prochaines années, ni à quel rythme la 'massification' de la fabrication des équipements (électrolyseurs, piles à combustible, réservoirs, etc.) permettra d’en baisser les coûts, et donc de diminuer les prix des usages."
Autre constat "majeur" de la mission, "l’équilibre économique des projets en cours n’est assuré que par un apport important de subventions publiques", et l’atteinte de la rentabilité "semble encore bien éloignée". On a cependant assisté depuis 2020, et notamment en 2022, au démarrage effectif de nombreux projets. "C’est vrai dans le domaine industriel, où les très grands projets soutenus par l’État dans le cadre des 'projets importants d’intérêt européen commun' portent sur la production d’hydrogène décarboné, sur son utilisation par l’industrie lourde et sur la fabrication des équipements, détaille la mission, qui voit dans ces projets les "locomotives du développement de l’hydrogène en France".
Mobilité : encore une grande part d'incertitudes
Dans le secteur de la mobilité aussi, "on observe les premières étapes de l’essor que vont certainement prendre dans les prochaines années les bus à hydrogène", relève-t-elle. Environ 500 véhicules routiers à hydrogène circulent en France, tandis qu’une cinquantaine de stations de distribution sont en service. Qu'en sera-t-il dans cinq et dix ans ? "La part que prendra l’hydrogène dans les différents modes de la mobilité terrestre est encore incertaine du fait qu’il est et sera en concurrence avec d’autres sources d’énergie décarbonée, notamment les batteries", avance prudemment la mission. La place que prendra l’hydrogène dans le transport aérien dépendra, elle, essentiellement de la réussite du projet d’avion moyen-courrier porté par Airbus. "Les réflexions sont moins avancées pour le transport maritime, mais la 'transition liée à l’hydrogène' devrait avoir un impact important pour les grands ports maritimes", poursuit le rapport.
Sur le plan géographique, la priorité à court terme est donnée à un développement de l’économie de l’hydrogène concentré principalement dans sept grands "bassins Hydrogène", correspondant aux principales régions industrielles françaises, relève-t-il. C’est seulement dans un deuxième temps que le développement des usages appellera une mise en réseau de ces territoires avec des infrastructures de transport et de stockage d’hydrogène couplées à un réseau européen d’hydrogénoducs." La mission présente dans son rapport les réflexions et les projets concernant le transport de l’hydrogène par canalisation aux niveaux interrégional et intra-européen et son stockage souterrain, et préconise que la stratégie nationale soit précisée sur ces sujets.
Risques accrus en milieu confiné
Le deuxième volet de la mission s'est focalisé sur la sécurité du développement de la filière. "Les risques sont conceptuellement assez bien connus. L’hydrogène est un gaz dangereux : il s’enflamme beaucoup plus facilement que d’autres gaz au contact de l’oxygène, sa température de flamme est très élevée (2.000°C) et la combustion peut dans certaines conditions prendre la forme d’une explosion (techniquement, une détonation)", rappelle le rapport. L’analyse des principaux risques inclut également les risques de fuite, plus élevés eux aussi qu’avec d’autres gaz, et les phénomènes de fragilisation des métaux des canalisations. L’ampleur du risque est toutefois fortement réduite à l’extérieur et en milieu ouvert. "À l’air libre, l’hydrogène diffuse et s’élève très rapidement dans l’atmosphère et, si la combustion se produit, les risques de détonation sont très faibles", estime le rapport. En revanche, le risque est "sensiblement accru en milieu confiné", prévient-il. Ainsi, "le stationnement des véhicules à hydrogène dans un parking couvert ou fermé, et leur circulation dans des tunnels, sont des situations à risques, sur lesquelles malheureusement la réglementation est aujourd’hui à peu près muette". Cela constitue selon les auteurs du rapport "une des causes de l’attentisme de certains acteurs". Ils jugent donc "indispensable de fixer aussi rapidement que possible une doctrine concernant la sécurité dans les parkings fermés et les tunnels, en associant à ces travaux l’ensemble des administrations concernées, y compris les services de la sécurité civile, et les acteurs de la filière Hydrogène".
Volet sécurité dans les appels à projets
La mission recommande aussi que l’ensemble des leviers mis en place par l’État pour soutenir le développement de la filière soient mobilisés afin d’accroı̂tre la sécurité. Elle préconise ainsi d’inclure dans les appels à projets un volet sur la sécurité et de demander aux porteurs des projets aidés sur crédits publics un retour d’expérience en la matière. Il faut aussi selon elle "approfondir les analyses des accidents et incidents liés à l’hydrogène", et "améliorer leur partage au sein de la profession". L’expertise publique sur la sécurité Hydrogène – présente principalement au sein de trois établissements publics, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen) et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) – doit aussi être maintenue "au meilleur niveau". La mission souligne également "l’intérêt de la démarche de travail conjoint que l’administration a mise en place avec l’association France Hydrogène" qui fédère les acteurs de la filière, même si elle juge son bilan, au bout d’un an, "mitigé". La démarche mérite d'être poursuivie "résolument" "dans le contexte actuel où ni la culture du risque ni les technologies ne sont à maturité", insiste la mission. "C’est cependant la seule voie possible pour réussir à adapter les réglementations de façon à sécuriser le développement de l’hydrogène, en évitant toute 'sur-sécurisation' qui se traduirait par des contraintes excessives", estime-t-elle. Enfin, la mission adresse une partie de ses recommandations à la filière elle-même. Elle souligne notamment "la nécessité d’amplifier les efforts de formation des nouveaux acteurs en matière de sécurité".