Réutilisation des eaux usées traitées : le décret de simplification enfin publié

Solution incontournable pour répondre aux tensions sur la ressource en eau qui vont s’accroître, la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) vient de faire l’objet d’un nouveau décret, paru ce 30 août, pour ôter certaines lourdeurs administratives.

 

Mis en consultation en juin dernier (lire notre article du 2 juin 2023), le décret relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées est paru au Journal officiel ce 30 août. Partie intégrante du plan Eau présenté par Emmanuel Macron le 30 mars, la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) est devenue "une solution essentielle" "face à des épisodes de sécheresse qui s’intensifient", soulignent dans un communiqué les ministres signataires du texte, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, ainsi que Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité. L’objectif affiché est d’atteindre 10% d’eau usée retraitée d’ici 2030 (contre moins de 1% actuellement), notamment via le développement de 1.000 projets de réutilisation des eaux non conventionnelles (Reut, eau de pluie, eaux grises…) sur le territoire d’ici 2027. 

L’objet du décret est donc bel et bien de desserrer la bride réglementaire en simplifiant le régime d’autorisation permettant l’utilisation des eaux usées traitées pour certains usages, et ce "dans le respect de la santé des populations et des écosystèmes". 

Pour ce faire, le texte abroge le précédent décret n° 2022-336 du 10 mars 2022 y afférent (voir notre article) et en codifie les dispositions dans le code de l’environnement (art. R.211-123 à R.211-137). Il définit également les conditions d'utilisation, sans autorisation, des eaux de pluie pour les usages non domestiques. 

Suppression de la durée d’autorisation de cinq ans

Parmi les avancées figure la simplification de l’instruction des dossiers : un avis simple et non plus conforme des autorités de santé est désormais prévu. En outre, lorsque le projet respecte les exigences minimales de qualité ou les prescriptions générales permettant d’atteindre un niveau de protection équivalent définies par cet arrêté, les avis de l’agence régionale santé (ARS) et du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) ne seront alors pas requis. Un autre verrou saute : celui qui limitait à cinq ans la durée de l’autorisation délivrée par le préfet. Les eaux usées traitées produites dans un département pourront également être employées sur un département voisin. 

On relève aussi la suppression de l’obligation pour le bénéficiaire de l’autorisation de transmettre au préfet, en vue d’une présentation au Coderst, un rapport annuel. L’exigence d’un "bilan global" à leur adresser pour présenter de façon qualitative et quantitative les impacts sanitaires et environnementaux du projet mis en oeuvre ainsi qu'une évaluation économique est en revanche maintenue et assortie d’une périodicité de cinq ans. 

Clarification du champ d’application du décret

Suite à la consultation publique, quelques modifications ont été apportées au projet de texte initial. C’est le cas de la suppression de la mention des eaux non conventionnelles et de leur définition qui posait question. Le texte harmonise par ailleurs la définition des eaux de pluie - celles issues des précipitations atmosphériques collectées à l'aval de surfaces inaccessibles aux personnes en dehors des opérations d'entretien et de maintenance - avec la définition prévue pour les usages domestiques de ces eaux en application du code de la santé publique. Et surtout, le gouvernement a bien noté les difficultés - remontées entre autres par Amorce, la FNCCR, la FP2E ainsi que le groupe de travail sur le sujet animé par l'Association Scientifique et Technique pour l'Eau et l’Environnement (Astee) à l’issue des Assises de l'eau - liées à la condition liant le recours à la réutilisation des eaux usées traitées à la qualité des "boues" des stations de traitement des eaux usées, et ce "alors que la qualité des boues ne préjuge pas de la qualité de l’eau traitée, notamment concernant la présence des métaux". Cette condition a été supprimée. Le texte prévoit désormais que les critères de qualité des boues ne constituent qu’un indicateur de suivi et d’alerte. 

Enfin, sur un point de la procédure d’autorisation pour l'utilisation des eaux usées traitées, un ajustement a été introduit lors de l’examen du texte par le Conseil d’Etat concernant la nature de l’avis implicite de l’ARS en cas de silence de sa part. "Pour des raisons de solidité juridique des décisions d’autorisation et de limitation du contentieux éventuel, le texte a été modifié afin que cet avis soit réputé défavorable", explique le document de retour de la consultation. 

Des réactions mitigées

Dans sa réponse à la consultation, le groupe de travail Astee juge globalement ces évolutions "favorables à l’émergence de projets portés par les collectivités et les industriels". Il regrette toutefois une approche qui "reste aujourd’hui en silo par type d’eau et par type d’usage ce qui n’est pas de nature à favoriser le recours aux eaux non conventionnelles". Une critique à laquelle s’associe Amorce, rappelant les "attentes des acteurs à voir émerger un cadre réglementaire clair sur l’ensemble du territoire pour le recours à d’autres types d’eaux comme les eaux de vidange de piscine, eaux d’exhaure ou encore eaux pluviales…". Le texte "n’explicite pas pour la procédure d’autorisation en cas d’usages multiples envisagés si un dossier unique peut être constitué ou s’il convient de faire un dossier par usage", relève au passage le groupe de travail Astee. Lequel s’inquiète en outre de son articulation avec les autres textes en projet, qui conserve "un degré de complexité élevé". Les usages qui feront l’objet d’arrêtés ministériels définissant des exigences minimales ou prescriptions générales "restent à date inconnus" (sauf pour l’arrosage des espaces verts et l'irrigation agricole pour lesquels les projets d’arrêtés ont été soumis à consultation), pointe l’Astee, épinglant le flou sur le périmètre concerné et les échéances. Deux autres paquets de textes réglementaires sont d’ailleurs "en cours de finalisation" pour développer la valorisation d’eaux non conventionnelles, l’un concernant les usages domestiques et l’autre l’industrie agro-alimentaire. "Il est important d’offrir une visibilité rapidement sur les autres usages notamment urbains (hydrocurage, lavage de voirie et de benne, arrosage des bacs à fleur…) pour faciliter l’émergence de projets",  appuie Amorce. Des clarifications pourraient se faire autour d’une instruction, propose-t-elle. 

De leur côté les ministères concernés mettent en perspective les moyens débloqués, en particulier pour développer la Reut sur le littoral, "là où cette ressource d’eau douce est rejetée à la mer et ne participe pas à l’alimentation des cours d’eau (soutien à l’étiage)". Un partenariat a été noué en ce sens en avril entre l’Etat, le Cerema et l’Association nationale des élus du littoral (Anel) pour proposer aux territoires littoraux un dispositif de soutien aux études de faisabilité avec une enveloppe annuelle de 2 millions d’euros. "L’augmentation inédite des moyens financiers des Agences de l’eau, + 475 millions d’euros par an, permettra notamment d’accompagner les collectivités dans les travaux des projets de Reut", insiste aussi le communiqué. 

Référence : décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées, JO du 30 août 2023, texte n° 23.