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Normes - Restauration scolaire : qui veut sauver l'"arrêté saucisses" ?

Une enquête réalisée par UFC-Que Choisir dans 606 communes tend à montrer tout l'intérêt de l'arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire, dit "arrêté saucisses". Dans un contexte de lutte contre l'inflation normative, l'association de consommateurs plaide pour le maintien et même le renforcement de cette réglementation. Car si des progrès sont constatés depuis l'application de la norme, beaucoup reste à faire.

Quand Alain Lambert et Jean-Claude Boulard avaient présenté en janvier la mission que leur avait confiée Jean-Marc Ayrault sur la lutte contre la prolifération des normes (voir notre article ci-contre du 18 janvier), Jean-Claude Boulard avait ironisé sur l'arrêté du 30 septembre 2011 qui précise le grammage requis pour les "merguez, chipolatas, saucisses de Francfort, de Strasbourg, de Toulouse, de volaille et autres saucisses variées" dans les restaurants scolaires. Cet "arrêté saucisses", comme il fut dès lors surnommé par le maire du Mans, n'avait alors, à sa connaissance, aucun défenseur, chose étonnante dans ce milieu où grouillent les lobbys en tout genre ("derrière chaque norme, il y a un défenseur qu'il ne faut pas sous-estimer !", avait plaisanté Jean-Claude Boulard devant les journalistes).
Depuis le 19 mars, date à laquelle est sortie une étude d'UFC-Que Choisir sur l'impact de cette réglementation dans 606 communes de plus de 10.000 habitants, l'arrêté Saucisse a son défenseur. Selon l'association de consommateurs, la norme serait en effet le seul moyen de faire respecter l'équilibre nutritionnel des repas dans les cantines scolaires. L'enquête montre d'ailleurs une amélioration depuis la mise en application, au 1er janvier 2012, du fameux arrêté.

Filet de colin en court-bouillon ou nuggets de poissons transformés ?

L'enquête conclue à un bilan mi-figue, mi-raisin sur le respect de la réglementation dans les établissements observés. Globalement, ils réussissent l'examen de passage sur les critères les moins chers (légumes, produits laitiers et féculents), en revanche, beaucoup d'entre eux échouent sur les ingrédients les plus onéreux (viande rouge, poisson, crudités et fruits frais), trop facilement remplacés par des produits hachés bon marché. Une pratique déjà dénoncée par l'Agence française de sécurité sanitaire (Afssa) qui observe depuis au moins 1992 la tendance à "la substitution des viandes brutes par des viandes transformées dans les menus proposés par les collèges et les lycées".
La recherche de diminution des "coûts matière" aux dépens de la qualité nutritionnelle est renforcée dans les selfs où les choix proposés privilégient une invasion de produits gras et sucrés au détriment des crudités et fruits crus. "Dans certains cas, il s'agit de pratiques délibérées visant à orienter le choix des élèves vers des plats moins chers en diminuant ainsi le coût des aliments servis", s'indigne l'UFC-Que Choisir qui a par exemple remarqué que "les rares jours où du poisson ou de la viande étaient proposés, un choix alternatif de nuggets ou de cordon bleu était proposé ! Or face à un tel choix, le filet de colin ou le bœuf braisé ont toutes les chances d'être délaissés par les enfants".
Les fruits frais et les crudités n'ont pas non plus les faveurs des selfs. "On obtient à peine trois crudités sur vingt repas, par rapport aux dix exigées et à peine trois fruits crus sur les huit attendus", a observé l'UFC-Que Choisir qui suggère plusieurs axes d'amélioration : formation du personnel à l'achat des aliments (qualité des fruits et légumes, bon degré de maturité…), l'amélioration des recettes, la formation des cuisiniers pour rendre ces aliments appétissants…

"Bonnet d'âne" aux établissements privés

L'UFC-Que Choisir se félicite de l'"impressionnante montée en régime de la qualité" depuis la précédente enquête de 2005 dans les écoles élémentaires publiques qui obtiennent en 2013 une moyenne de 15,2/20 (20/20 à Saint-Denis dans le 93 ainsi qu'à Paris 16e arrondissement).
Le bilan est moins satisfaisant auprès des établissements secondaires publics, avec une note moyenne de 13,1 pour les collèges et 12,2 pour les lycées. "En cause, les menus avec choix qui laissent les élèves consommer certains aliments à des fréquences très inférieures à la norme (2 fois moins de poisson et 3 fois moins de viande que la norme)", a remarqué l'association.
C'est aux établissements privés qu'est attribué le "bonnet d'âne" de la qualité nutritionnelle. La moyenne des 55 écoles élémentaires privées observées est de 11,3, soit près de 4 points de moins que dans le public. Pour le secondaire, la moyenne est d'à peine 10, "du fait de l'absence de maîtrise de l'équilibre nutritionnel", insiste l'UFC-Que Choisir, précisant que "dans la moitié des établissements, la mauvaise conception des choix aboutit à ce que les élèves aient la possibilité de ne manger aucune crudité, poisson, viande rouge non hachée durant les 20 jours analysés !"

Délégation or not délégation ?

Parmi les dix cantines les plus mauvaises du secondaire privé, sept sont gérées par des grandes sociétés de la restauration collective (Elior, Sodexo et Scolarest). "La gestion concédée n'est pas l'assurance d'une meilleure qualité nutritionnelle", en conclut l'UFC-Que Choisir, sans pour autant s'avancer plus car "nous n'avons malheureusement pas pu réaliser une étude exhaustive sur les performances comparées de la gestion directe de la gestion déléguée dans le domaine nutritionnel".
Ce qui est sûr, c'est que pour le primaire public, les communes en gestion déléguée ont une note moyenne de 14,6/20, contre 15,3/20 pour les autres communes, soit un résultat somme toute assez proche. "Outre l'expertise attendue des sociétés de restauration, ce bon résultat s'explique probablement aussi par la vigilance des mairies sur le cahier des charges nutritionnel, lors de la mise en place de la délégation".

Le succès de la "Junk Food"

Sur les 167 établissements secondaires étudiés, 48 disposent de stands proposant des alternatives à la restauration scolaire traditionnelle (la liste des établissements figure en annexe de l'étude), de type cafétéria, fast-food ou sandwicherie, proposant des produits fortement déséquilibrés, la réglementation de 2011 ne s'appliquant pas à eux.
"On trouve parfois des formules bien peu équilibrées du type pizza/frites/gaufres, panini/brownie/soda ou encore croque-monsieur/pâtisserie/soda", a observé l'UFC-Que Choisir. "Ces pratiques sont inadmissibles car elles réduisent à néant les efforts pour promouvoir l'équilibre nutritionnel." D'autant que certains d'entre eux restent ouverts en dehors des heures de repas "constituant un encouragement explicité au grignotage". "Ces stands sont souvent sous la responsabilité de grands groupes de la restauration collective (Elior, Sodexo, Scolarest) qui ne peuvent prétendre ignorer la loi", ajoute l'association qui demande ni plus ni moins "l'interdiction de tout mode de restauration alternatif ne respectant pas les dispositions réglementaires", à l'instar de l'interdiction des distributeurs automatiques décidée dans le cadre de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.