Restauration de Notre-Dame : le Sénat sonne le glas des dérogations
Alors que le Sénat doit se prononcer, en séance ce 27 mai, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la commission de la culture a d’ores et déjà retranché du texte le très contesté article 9, guidée par le souci de ne pas ouvrir la boîte de Pandore des dérogations.
La présidente de la commission de la culture du Sénat, Catherine Morin-Desailly, avait donné le ton, le 16 mai dernier, lors de l’audition du ministre de la Culture, Franck Riester, sur le projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet. Ce chantier exceptionnel "nécessite de l'humilité, de la prudence, de l'expertise et de la méthode", avait-elle insisté, prenant le contre-pied d’un calendrier précipité "qui nous donne à peine le temps de mesurer l'importance d'un tel texte". C’est donc sans surprise, lors de sa réunion du 22 mai, que la commission a largement amendé le texte du projet de loi transmis par l’Assemblée, "guidée par le souci de préserver le patrimoine et de ne pas voir le ministère de la Culture mis hors-jeu".
Premier sujet d’inquiétude, la mise en place d'un cadre pour l'utilisation des fonds recueillis à travers la souscription nationale (article 2) ne donne pas d'indication sur la nature de la restauration qui sera effectuée sur la cathédrale. A l’initiative de son rapporteur, Alain Schmitz (Yvelines-LR), la commission a donc imposé que les travaux de conservation et de restauration de l’édifice respectent l’authenticité et l’intégrité du monument pour garantir le maintien de la valeur universelle exceptionnelle du bien "Paris, Rives de la Seine" inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle a par ailleurs inscrit le principe d'une restitution du monument dans son "dernier état visuel connu avant le sinistre".
Option du nouvel établissement public
Sur l’établissement public dédié (article 8), la commission lève l’ambiguïté entretenue par le projet de loi concernant l’exercice de la maîtrise d’ouvrage du chantier entre le recours aux moyens dont dispose déjà l’État - Drac, CMN, Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic)- et la création d'un nouvel établissement. Tout en souscrivant au principe de l'établissement public, elle a souhaité en encadrer davantage le fonctionnement, dans la continuité des amendements adoptés par les députés lui retirant son rôle en matière de conception des travaux et lui adjoignant un conseil scientifique. Le texte le caractérise en établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Rappel est fait de l'autorité de l'architecte en chef des monuments historiques pour l'exercice de la maîtrise d’oeuvre. A l’article 4, sur proposition de la commission des finances, un amendement précise que les versements à la souscription opérés par les collectivités territoriales relèvent des dépenses d'investissements en matière de rénovation des monuments protégés. Exceptionnels, ces versements ne sauraient, cependant, être considérés comme éligibles à un remboursement partiel par le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), ajoute le texte.
Suppression de l’article 9 et de son régime de dérogations
Mais surtout la commission a opposé son véto au régime de dérogations extrêmement vastes introduit à l’article 9 sous la forme d’une habilitation à légiférer par ordonnance dans le délai de deux ans (ramené à un an à l’Assemblée). D'autant que l’étude d’impact reste très imprécise sur la nature exacte des dérogations envisagées, laissant la porte ouverte à de nombreuses entorses aux règles en matière d'urbanisme, d'environnement, de construction, mais également de préservation du patrimoine, de commande publique, de voirie, de transport et de domanialité publique. Pour le rapporteur, "la mise en place de telles dérogations n'est pas utile si elle ne vise qu'à accélérer les délais de délivrance des autorisations administratives", comme l’a laissé entendre le ministre lors de son audition. "Les délais prévus par les codes sont des plafonds et les demandes d'autorisation concernant Notre-Dame peuvent parfaitement être traitées de manière prioritaire par les services de l'État moyennant des instructions en ce sens", argumente-t-il. Leurs effets risquent en outre de se trouver limités par le fait que la cathédrale Notre-Dame est située dans une zone particulièrement protégée au titre du code du patrimoine. De telles dérogations présentent par ailleurs "le risque de jeter le discrédit sur l'ensemble de notre législation", déjà mise à mal par la loi Elan, et constitueraient "un précédent désastreux pour l’avenir", alerte-t-il. Cela susciterait en particulier l’incompréhension des autres propriétaires de monuments historiques, collectivités territoriales en tête, qui lancent quotidiennement des chantiers dans le cadre des lois en vigueur. L'un des objectifs du projet de restauration étant de valoriser les métiers du patrimoine, "il ne serait pas acceptable que les dérogations autorisent la passation de marchés globaux, alors que seul l'allotissement sera de nature à donner leur chance à toutes les entreprises de restauration du patrimoine", fait-il également remarquer.