Restauration de Notre-Dame : le projet de loi sous le feu des critiques adopté à l’Assemblée
Alors qu’il est encore top tôt pour mesurer l’ampleur des dégâts causés par l’incendie sur la cathédrale Notre-Dame de Paris, le débat architectural fait déjà rage sur les bancs de l’hémicycle. D'autant que la définition d’un objectif de cinq années pour l’achèvement de la restauration de l’édifice devrait engendrer de nombreuses entorses aux règles d’urbanisme et de protection de l’environnement.
L’Assemblée nationale a adopté le 10 mai - par 32 voix pour, 5 contre et 10 abstentions - le projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, au terme de plusieurs heures de débats nourris. Le texte d’une dizaine d’articles met en place la souscription nationale annoncée par le président de la République dès le lendemain de l’incendie qui a ravagé une partie de l’édifice pluriséculaire le 15 avril dernier. Un dispositif de collecte exceptionnel destiné à répondre à l’afflux de dons - qui voisineraient le milliard d’euros - provenant d’entreprises, de grandes fortunes, de particuliers, mais aussi de collectivités territoriales et d’États étrangers. L’article 4 permet aux collectivités et à leurs groupements d’y participer, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale, indépendamment de tout intérêt public local, et au titre de leurs dépenses d’équipement. Tandis que l’article 5 introduit un avantage spécifique en faveur des particulier en majorant de 66 % à 75 % la réduction d’impôt sur le revenu pour les dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019.
La restauration à l’identique toujours en débat
Les fonds recueillis seront reversés à un établissement public dédié - sous le contrôle d’un comité ad hoc - et consacrés exclusivement "au financement de la conservation et de la restauration de la cathédrale et de son mobilier, dont l’État est propriétaire, ainsi qu’à la formation des métiers d’art et du patrimoine nécessaires à la conduite des travaux". C’est l’objet de l’article 2. Or, ce sont bel et bien les modalités de reconstruction de l’édifice dans le délai contraint de cinq ans qui constituent le sujet du débat. L'annonce par le Premier ministre d’un concours international d’architecture organisé pour la reconstruction de la flèche de Viollet-le-Duc en écho au "geste architectural contemporain" souhaité par le président de la République n’a pas eu pour effet de calmer les esprits. Plusieurs voix se sont élevées, y compris dans le camp de la majorité, pour défendre une "restauration à l’identique". La députée LREM Agnès Thill a ainsi rejoint ses collègues de droite - à l’exemple de Constance Le Grip, Marc Le Fur ou Pierre-Henri Dumont - dans cette bataille sémantique : "(…) la volonté des donateurs nous engage juridiquement. Ces derniers n’ont pas donné pour un projet encore inconnu ; ils ont donné pour une restauration à l’identique, ils ont donné pour ce qu’ils venaient de perdre". Une reconstruction "à l’identique" de l’édifice est "pratiquement impossible" estime de son côté la rapporteure Anne Brugnera, tout en plaidant pour "l'utilisation de techniques modernes dans les travaux". Rien n’est acté dans le projet de loi, qui ne ferme à ce stade aucune porte. "(…) La décision entre une restauration à l’identique ou différente n’a pas encore été prise. Alors ne criez pas au loup", s’est exprimé le ministre de la Culture, Franck Riester, précisant qu’elle le serait "le moment venu, une fois que les experts auront donné leurs avis (...)". Un argument similaire utilisé par la rapporteure pour botter en touche : "Ce n’est pas au législateur mais aux experts de la profession qu’il appartiendra de proposer des projets pour la restauration."
Options ouvertes pour la maîtrise d’ouvrage
Âprement discuté, l'article 8 habilite le gouvernement à créer par ordonnance un établissement public spécifique, associant le diocèse et la ville de Paris, chargé d’assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale. Simple option selon le ministère : "(…) Nous n’avons pas encore décidé si la maîtrise d’ouvrage serait directement assurée par le ministère – soit par son administration centrale, soit par son administration déconcentrée –, ou si serait créé un établissement public spécifique." "Le Centre des monuments nationaux ne peut pas être le maître d’ouvrage car Notre-Dame ne fait pas partie des monuments qu’il gère. L’Oppic [l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture] pourrait éventuellement l’être, mais il gère déjà plusieurs grands chantiers de restauration comme le site Richelieu de la BnF et le Grand Palais. Ce pourrait aussi être un nouvel Epic, qui serait donc à créer. (…) Mais la maîtrise d’ouvrage pourrait également être confiée à l’administration, centrale ou déconcentrée. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe actuellement puisque la maîtrise d’ouvrage des travaux actuels est assurée par la Drac d’Île-de-France", explique Franck Riester. Mais la presse fait déjà abondamment écho de l’installation d’un "Monsieur Reconstruction", le général Jean-Louis Georgelin. Si l’hypothèse d’un nouvel établissement se confirme, un conseil scientifique (dont la composition est renvoyée au décret) y serait alors adossé.
Vaste régime dérogatoire
Le texte reste dans le même registre "d’anticipation" s’agissant de l’article 9 qui habilite le gouvernement à procéder là encore par ordonnance "à des adaptations ou à des dérogations aux règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de voirie, de commande publique ou de domanialité publique" (lire notre article du 3 mai). "Le chantier qui s’annonce est en effet exceptionnel, ambitieux et unique. Pour le mener au mieux, nous voulons nous donner la possibilité d’assouplir certaines dispositions, essentiellement de procédure – d’où l’article 9 d’habilitation. Mais il va de soi que les dérogations aux législations en vigueur seront strictement proportionnées aux besoins du chantier", a argumenté le ministre, se présentant comme "le garant de la protection du patrimoine". "Il ne s’agit évidemment pas de s’asseoir sur les règles de protection de l’environnement, des marchés publics, ou de préservation du patrimoine, mais de faciliter une restauration qualitative exemplaire, et à bon rythme, de Notre-Dame de Paris", a-t-il ajouté sans totalement convaincre. "(…) L’article 9 est vraiment l’article de tous les dangers, celui qui a focalisé les inquiétudes et les crispations, voire les émois, tant en France qu’à l’étranger", a relayé de son côté Constance Le Grip, sans obtenir gain de cause sur sa suppression. Tout au plus les députés ont obtenu de pas rester trop longtemps dans l’expectative sur le contenu des ordonnances. Le texte ramène ainsi à un an (au lieu de deux) le délai d’élaboration desdites ordonnances. Plus tôt dans la discussion, la députée Frédérique Dumas (UDI-Agir) s’était refusée à "donner un chèque en blanc", citant un sondage Odoxa-Le Figaro-France Inter paru le matin même, selon lequel 72 % des Français seraient très opposés "à une loi d’exception pour Notre-Dame".
Autre maigre garantie - adoptée contre l’avis de la commission et du gouvernement -, un dernier ajout au texte vise à prévenir les abus en matière d’affichage aux abords de la cathédrale liés à la restauration sponsorisée du monument, en veillant "en particulier à la surface, les caractéristiques des supports et les procédés utilisés à optimiser l’insertion architecturale et paysagère et à réduire l’impact sur le cadre de vie environnant".
Le Sénat devra se prononcer à son tour le 27 mai.