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Aménagement numérique - Réseaux d'initiative publique de nouvelle génération, premières tendances

Les premiers projets de réseaux d'initiative publique de nouvelle génération portés par des collectivités font apparaître différentes stratégies de déploiement du très haut débit. Certains privilégient la "montée en débit" sur l'ensemble du territoire. D'autres misent sur un passage direct au "tout fibre optique", quitte à ne pas toucher tout le monde tout de suite. Les modes d'investissement et de gestion diffèrent aussi : délégation de service public, contrat de partenariat, etc. Autant de choix qui pourront guider les autres collectivités préparant leur propre projet.

Les premières collectivités territoriales viennent officiellement de déposer auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) une demande de financement de l'Etat pour leurs projets de réseaux d'initiative publique (RIP). Il s'agit de la Manche, via son syndicat mixte Manche numérique, de l'Auvergne, de la Haute-Marne, du Calvados et des Yvelines. Conformément aux dispositions du programme national Très Haut Débit, ces demandes devraient donner lieu à financement dans le cadre de l'enveloppe de 900 millions prévue au titre du fonds de solidarité numérique (FSN) pour le soutien des zones les moins denses - ce que sont sur le point d'obtenir la Manche (18 millions d'euros) et l'Auvergne (35 millions).
Ces premiers entrants donnent une tendance des modèles et des choix stratégiques retenus dans le montage des RIP de nouvelle génération qui doivent permettre d'acheminer la fibre optique jusqu'à l'usager. Les choix stratégiques sont devenus complexes. Le nouveau contexte réglementaire laisse aux opérateurs une liberté d'action sur les zones très denses et moyennement denses, ce qui limite les marges de péréquation pour les collectivités territoriales. Les délais de déploiement sur plus de quinze années vont désavantager les derniers territoires bénéficiaires souvent mal desservis en bande passante. Sans oublier les risques de commercialisation qui restent la principale inconnue. Les premiers projets de RIP constituent ainsi un indicateur utile à ceux qui préparent leur propre programme.

Priorité à la fibre ou à la montée en débit sur le territoire?

Le déploiement des réseaux très haut débit (THD) sur ces cinq collectivités territoriales fait apparaître deux stratégies distinctes. La première prévoit le déploiement de la fibre, mais en privilégiant d'abord la "montée en débit" : la priorité est donnée au développement équilibré de l'ensemble du territoire plus qu'à la performance. La Haute-Marne et l'Auvergne ont plutôt fait ce choix. L'Auvergne en fixant pour 2025 l'objectif de doter tous les foyers auvergnats d'un service permettant, "à travers une même souscription, de bénéficier de l'internet, du téléphone et de la télévision sur plusieurs postes simultanément" - ce qui signifie que tout le monde ne sera pas éligible au THD à cette date. Le pari de la Haute-Marne est assez similaire : apporter le THD à 90% de la population d'ici 2025, mais en ayant recours dans un premier temps à la montée en débit sur le réseau de cuivre. L'objectif est de rendre 90% des lignes éligibles à un débit supérieur à 8 Mbts d'ici à 2015 en apportant à plus court terme le THD aux sites stratégiques du territoire.
L'autre stratégie, portée par la Manche, le Calvados et les Yvelines, est celle d'un passage direct au THD, ce qui mobilise d'importants efforts immédiatement et demandera plus de temps pour atteindre des taux de connexion à 100%. Ainsi, la Manche prévoit d'atteindre un taux d'éligibilité à 50% en 2017 (soit en cinq ans), tandis que le Calvados prévoit un taux de 74% en quatre ans (174.000 prises optiques) et que les Yvelines, dont le contexte est nettement plus favorable en raison de leur proximité avec Paris, programment un déploiement à 100% sur sept années.
Les deux stratégies répondent à des choix politiques. Le développement rapide du "tout fibre optique" devrait avoir un impact économique plus rapide, mais en laissant une partie de la population dans une situation moins favorable. En valeur absolue, ce passage direct devrait également être plus économique : "Lorsqu'on fait d'abord de la montée en débit sur fil de cuivre et que l'on souhaite basculer ensuite sur le très haut débit, nous estimons que 40% des équipements investis sur la sous-boucle ne sont pas réutilisables", explique par exemple Roland Courteille, directeur général de Manche numérique. Dans l'intervalle, la Manche et le Calvados prévoient de développer des solutions de montée en débit moins coûteuses telles que le WifiMax et le Wifi Mimo, offrant des débits allant jusqu'à 10 mbits/s.

Concession, affermage ou PPP…

Des différences apparaissent également dans les formes d'actions retenues par les collectivités locales : celles-ci varient selon le degré de prise de risque sur l'investissement et la commercialisation des réseaux.
La formule de la délégation de service public (DSP) concessive, qui confie à un opérateur privé le soin de construire le réseau et de l'exploiter, a été retenue par le Calvados. La société assure une part du risque sur l'investissement - la construction du réseau sera subventionnée à hauteur de 65 millions sur 170 millions d'euros - ainsi que l'intégralité du risque commercial. Cette formule permet de déléguer à un professionnel l'ensemble du programme et son exploitation. Sa bonne exécution repose toutefois sur la mise en place au niveau de la collectivité d'un dispositif de suivi du déroulement des travaux puis d'accompagnement de l'exploitation. La DSP concessive reste aujourd'hui la formule la plus répandue. On sait par exemple que les conseils généraux du Vaucluse, du Loiret ou de la Savoie ont également opté pour elle.
La Haute-Marne, la Manche et les Yvelines ont de leur côté porté leur choix sur le modèle de DSP par affermage. Les travaux sont assurés sous maîtrise d'ouvrage de la collectivité, soit par réalisation directe (choix en partie retenu par la Haute-Marne, qui a acheté une trancheuse), soit par la passation de marchés de conception-réalisation (Manche et Yvelines). La collectivité assure le risque sur les travaux avant de confier l'exploitation à un fermier délégataire qui assure l'exploitation technique et la commercialisation moyennant le versement d'une redevance. Celle-ci devra refléter le coût de construction du réseau afin d'éviter une requalification en subvention d'exploitation. Ce choix de la DSP par affermage est dicté par des considérations économiques. La Manche et la Haute-Marne vont ainsi réaffecter une partie des personnels dédiés à la réalisation et à l'entretien des routes à cette nouvelle activité. Ces personnels vont assurer le suivi et la réception des travaux dans la Manche, et même la pose de la fibre en Haute-Marne. "La maîtrise de l'infrastructure et de la qualité" constituent la seconde raison du choix, souligne Roland Courteille. "Mais la formule nous oblige aussi à travailler en aval sur la précommercialisation avant de mettre en affermage", poursuit-il.
La troisième formule est celle du contrat de partenariat, choisie par l'Auvergne. Elle avait déjà été inaugurée en 2007 avec le lancement d'un premier RIP. La région en prépare un second pour son nouveau programme THD. La future société assurera le risque sur la construction, mais pas sur la commercialisation, qui reste entièrement à la charge de la collectivité. La formule semble plutôt s'appliquer aux territoires les moins attractifs pour le secteur privé, autrement dit, ceux où le risque des procédures infructueuses est le plus important. Le fait de laisser le risque de la commercialisation entièrement à la charge de la collectivité devrait permettre de trouver plus facilement l'opérateur chargé d'assurer le programme choisi par la collectivité.
Quelques années seront sans doute nécessaires pour mieux discerner les avantages et les inconvénients réels des formules en présence. La montée en débit est-elle préférable au passage immédiat à la fibre ? Faut-il privilégier l'affermage ou la concession ? Le contexte de chaque territoire reste sans doute déterminant dans les choix possibles. Ainsi, le conseil général des Yvelines, en décidant de passer rapidement au THD joue la carte, sans doute gagnante, de l'attractivité du département par rapport à Paris. Dans le même temps, l'Auvergne a peut-être besoin, plus qu'ailleurs, de faire jouer la solidarité entre ses territoires ? D'où les stratégies retenues. Mais l'absence de solides leviers de péréquation sur les zones les moins denses représente un risque : celui de voir les inégalités démographiques, économiques et géographiques entre territoires reprendre le dessus et atténuer les effets du volontarisme local des politiques publiques en matière de très haut débit.