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Conjoncture - Reprise fragile pour les travaux publics

Le premier trimestre 2011 a été plutôt favorable au secteur des travaux publics. Mais la reprise actuelle reste fragile, notamment du fait de la situation financière de certains départements et des difficultés de la commande publique consécutives à la disparition des DDE et aux lacunes du Schéma national des infrastructures de transport (Snit).

A première vue, les principaux indicateurs de l'activité des entreprises de travaux publics sont au vert en cette fin de premier trimestre 2011, a constaté Patrick Bernasconi, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) lors d'un point sur la conjoncture du secteur ce 21 mars. Les facturations émises en janvier sont supérieures à celles des deux dernières années (+10,3% par rapport à janvier 2010 et +4,6% par rapport à janvier 2009), les marchés conclus se situent à un niveau presque 20% supérieur à celui de janvier 2010, les communes et leurs groupements ont assuré 34% du chiffre d'affaires du secteur et la hausse du nombre de logements mis en chantier (+6,4% en janvier) favorise les travaux de voirie et réseaux.
Pourtant, le président de la FNTP tempère son optimisme car la reprise a selon lui "des bases fragiles". D'abord, janvier 2011 paraît "exceptionnellement haut" car janvier 2010 avait été marqué par de fortes intempéries et que les fortes chutes de neige de décembre 2010 ont elles aussi entraîné un effet de rattrapage d'activité en ce début 2011.

Les départements ruraux fragilisés

Il y a surtout selon Patrick Bernasconi des problèmes de fond qui risquent de handicaper la reprise. Tout d'abord, "les chiffres globaux masquent des écarts importants entre les territoires urbains et ruraux", a-t-il estimé. Des écarts qu'il explique par "l'inégalité des collectivités locales face à l'évolution de leurs recettes et de leurs dépenses". Et de citer l'évolution des droits de mutation : ceux-ci ont connu une hausse de près de 36% ces derniers mois mais les départements ruraux en ont beaucoup moins profité que leurs homologues urbains. De plus, ce sont ces mêmes départements ruraux qui ont à subir proportionnellement la hausse la plus forte des dépenses sociales. Ainsi les Deux-Sèvres, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes et la Lozère ont enregistré les plus fortes progressions du nombre d'allocataires du RSA, du RMI ou de l'allocation de parent isolé (API) au quatrième trimestre 2010 par rapport à la même période de 2009. "Cette situation financière dégradée de certains départements aura un impact non seulement sur les investissements qu'ils réalisent directement mais aussi sur les subventions d'équipement qu'ils versent aux communes et aux intercommunalités, redoute le président de la FNTP. Sur les 24 départements pour lesquels nous disposons des budgets primitifs 2011, une diminution de 17% des investissements dans les infrastructures est anticipée ainsi qu'une baisse de 10% des subventions.
Les entreprises de travaux publics redoutent aussi la hausse des prix d"es matières premières et de l'énergie, notamment le pétrole (+40,6% en un an) dont les produits dérivés entrent dans la composition de nombreux matériaux, notamment le bitume pour les routes. Or, "quelle que soit la durée du marché, les prix ne sont pas systématiquement révisables et les entreprises sont soumises à la bonne volonté de leurs donneurs d'ordre", pointe Patrick Bernasconi. Elles ont de surcroît "à faire face à la réduction des délais de paiement de leurs fournisseurs, sans réelle réciprocité chez leurs clients publics, qui pratiquent toujours les délais cachés, avance-t-il. Quant au dévoiement des règles des marchés publics, il est constaté par nombre d'entreprises : études non rémunérées, enchères inversées, dossiers techniques immatures, pillage d'idées, exigences en matière de développement durable non rétribuées".

Le bon vieux temps des DDE

"Nous assistons aujourd'hui à une véritable déliquescence de la maîtrise d'œuvre publique consécutive à la disparition à la fin 2011 des DDE et DDA alors que la maîtrise d'œuvre privée n'a pas pris le relais, regrette le président de la FNTP. Dans les petites collectivités surtout, nous voyons arriver des projets insuffisamment étudiés, des dossiers incomplets et nous sommes confrontés à une problématique d'acheteur : seul le prix compte et on achète des travaux comme on achète des crayons alors que chaque projet doit être normalement conçu comme un prototype." Il déplore le retrait de l'Etat de la maîtrise d'œuvre publique car selon lui le système avait fait ses preuves. "Nos entreprises vont devoir s'adapter et sans doute évoluer pour proposer des offres plus globales alliant conception et construction. S'il faut changer la loi MOP et les procédures de la commande publique, nous sommes prêts à en discuter avec les pouvoirs publics", affirme Patrick Bernasconi. Pour le président de la FNTP, il est urgent de "tirer vers le haut la commande publique pour mieux valoriser la composante technique des offres des entreprises, pour faire reconnaître dans les prix la valeur ajoutée, environnementale, sociale. En un mot, pour redonner du sens à un marché qui a perdu ses repères, où la qualité, la durabilité des ouvrages, la sécurité des chantiers pourraient devenir des variables d'ajustement".

Les insuffisances du Snit

Autre dossier qui préoccupe la FNTP : l'évolution du Schéma national des infrastructures de transport (Snit) qui doit être discuté au Parlement avant l'été. Il est facile selon elle de pointer les lacunes du Snit. Tout d'abord, sur le plan financier, il sous-entend que l'Etat investisse 3,4 milliard d'euros par an alors qu'il n'investira "au mieux que 2,2 milliards en 2011". De plus, l'annulation de l'appel d'offres concernant l'opérateur de l'écotaxe poids lourds va encore décaler dans le temps l'apport de nouvelles ressources. "Tout cela fait des collectivités locales les premiers financeurs, ce qui pose question : l'Etat peut-il déléguer le financement et garder entièrement la main sur les choix stratégiques ?", interroge Patrick Bernasconi. Selon lui, les difficultés que connaît le bouclage du financement de la LGV Sud Europe Atlantique (SEA) montrent qu'il s'agit là d'un "exercice difficile".
Autre reproche fait par la FNTP au Snit : celui de méconnaître les réalités. "En matière routière, il prévoit un budget pour régénérer les chaussées correspondant à 10 km par an, soit 250 km sur 25 ans à rapporter aux 10.000 km de routes dont l'Etat a la responsabilité", relève-t-elle. Or, "le maintien de bonnes conditions de circulation imposerait de rénover près de 400 km par an". De plus, en précisant d'ores et déjà que seulement 70% à 80% du Snit pourra être engagé compte tenu de l'état des finances publiques, "il anticipe l'abandon de projets", redoute la FNTP.
La Fédération des travaux publics estime aussi qu'en se limitant à une mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, le Snit "n'offre pas de vision d'aménagement du territoire". "Il serait souhaitable que ce document stratégique accorde toute sa place à la notion de désenclavement, surtout lorsqu'il n'existe pas de desserte alternative à la route dans certaines régions", souligne-t-elle. En outre, "les projets de développement portuaire et d'interconnexion avec le réseau fluvial manquent d'ambition pour relancer le fret ferroviaire. Les projets portuaires stricto sensu ne représentent que 2,7 milliards d'euros, soit 1% des dépenses. Compte tenu de l'importance cruciale des ports pour le transfert modal des marchandises, il paraît peu probable que ce schéma insuffle à ces ports, régulièrement bloqués par des grèves, et manquant d'hinterland, la dynamique nécessaire pour rattraper, voire dépasser les ports de l'Europe du Nord". Enfin, déplore la FNTP, "les priorités affichées ne se traduisent pas en matière de programmation". "Au total, conclut Patrick Bernasconi, cela donne l'impression d'une compilation de visions régionales plutôt que d'une vision stratégique nationale."