Rénovation énergétique du bâti patrimonial : l’inadaptation du DPE fait consensus

Au coeur du sujet, le diagnostic de performance énergétique (DPE) concentre les critiques des associations nationales de défense du patrimoine entendues, ce 30 mai, par la commission d’enquête sénatoriale "sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique". Elles ne perdent pas de vue que ce patrimoine devient de plus en plus un élément d'aménagement du territoire et un facteur d'attractivité pour l'économie locale.

"Patrimoine et transition écologique, on a l’impression qu’il s’agit de deux mondes qui s’ignorent et sont parfois antinomiques", a constaté avec regret Françoise Gatel, présidente de Petites Cités de caractère de France, au cours d’une table ronde organisée, ce 30 mai, par la commission d’enquête sénatoriale "sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique" qui réunissait les principales associations nationales de défense du patrimoine, l'Association nationale des architectes des bâtiments de France et l'Association des architectes du patrimoine.

Cette initiative de la Haute Assemblée prolonge les travaux produits par la Cour des comptes qui avaient été conclus par un référé adressé au gouvernement. Le ministère de la Culture, qui travaille depuis un an à sa feuille de route sur la transition écologique, est évidemment très mobilisé sur la question. Et pourtant il n’a pas été associé en amont à l’élaboration du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui est au cœur du sujet et la cible de l’essentiel des critiques des acteurs du patrimoine. "Ce n’était pas forcément gravissime lorsqu’il était un élément de référence mais aujourd’hui il est devenu opposable", remarque Jean-François Hébert, directeur général des Patrimoines et de l’Architecture.

Certes, le DPE ne s’applique pas aux monuments historiques. Mais les bâtiments anciens (d’avant 1948) non protégés au titre des monuments historiques restent soumis à cette obligation, y compris s’ils sont situés dans une zone protégée (abords, sites patrimoniaux remarquables notamment). Et parmi les logements, environ 33% (soit plus de 10 millions) relèvent de ce bâti ancien, qui une fois qualifié de "passoire thermique" risque de tomber en déshérence. Il y a donc aussi "un vrai enjeu de revitalisation des centres-villes" et "d’attractivité des territoires", dont l’importance est encore renforcée par le zéro artificialisation nette (ZAN), relèvent entre autres Françoise Gatel et Martin Malvy, président de Sites et cités remarquables de France. 

Mettre un terme au fonctionnement en silos

Depuis quelques mois les réunions se succèdent entre les ministères de la Culture, de la Transition écologique et de la Transition énergétique pour trouver "un point d’équilibre" et faire en sorte que le DPE soit modifié selon une nouvelle grille d’analyse tenant compte des caractéristiques propres du bâti ancien. À travers la "doctrine nationale" diffusée par la voie d’une instruction interministérielle du 9 décembre 2022 relative aux demandes d'autorisation d'implantation de panneaux solaires dans le patrimoine protégé, "on a réussi à montrer que les trois ministères étaient capables de travailler ensemble pour donner des directives sur le terrain, ce qui me rend relativement confiant, mais il y a un énorme travail à faire", reconnaît Jean-François Hébert. Une première avancée date d’ailleurs d’il y a à peine quelques jours avec "une ouverture" sur le sujet de la formation des diagnostiqueurs à la méthodologie du bâti ancien et sur celui de l’adaptation des dispositifs financiers. Mais rien n’est encore acté sur la révision du DPE. 

"Nous sommes confrontés à une pensée en silos ! On s’occupe de la transition écologique et de la rénovation énergétique en prenant en compte essentiellement un patrimoine un peu moderne auquel on vient appliquer des méthodes uniformes, sans prendre en considération des éléments techniques, des compatibilités de matériaux", déplore Françoise Gatel. "Force est de constater que les outils ne sont pas à la hauteur du bâti ancien", appuie Guirec Arhant, maire de Tréguier (Côtes-d'Armor), qui met également en garde sur les "conséquences catastrophiques pour le bâti", citant l’exemple de l’isolation par l’extérieur des maisons anciennes avec du polystyrène qui s’avère une véritable "bombe à retardement" car l’humidité ainsi emprisonnée minera inexorablement un bâti "par essence durable" qui avait jusqu’ici résisté aux ravages du temps. 

Plaidoyer pour un moratoire sur le DPE

"Ce qui fait consensus, c’est que l’outil montre ses limites", remarque Christian Laporte, président de l’association des Architectes du patrimoine. Pour Gabriel de Beauregard, architecte des bâtiments de France (ABF) à Angers, "les modes de calcul et le calibrage des logiciels fondant les DPE", expliquent en grande partie leur inadaptation au bâti ancien. Quand on utilise le DPE dans le cadre majoritaire pour lequel il été conçu, "il peut être vertueux, le problème c’est qu’il est utilisé en dehors de ce champ", souscrit Marc Louail, autre représentant de l’Association nationale des architectes des bâtiments de France, qui s’active avec un ensemble d'acteurs des territoires "à déconstruire que le DPE doit être parole d’évangile et doit être appliqué tel quel". Les artisans en particulier ont l'habitude de faire de la rénovation standard. Il faut donc les sensibiliser, développer des qualifications spécifiques, afin d'intervenir sur l'ensemble du patrimoine ancien et travailler à "un socle commun" pour mieux former les diagnostiqueurs. "Faire de la réparation plutôt que de la rénovation, c’est déjà la première des sobriétés", fait notamment valoir Gabriel de Beauregard. 

"Se poser la question de comment on peut améliorer le DPE (me) semble un peu vain", considère de son côté Christian Laporte, estimant "qu’il vaut mieux repartir d’une page blanche et prendre du temps pour trouver des outils appropriés". La "méthode des factures" applicable auparavant pour le bâti antérieur à 1948, qui avait l’intérêt d’une évaluation objective de la consommation énergétique, tenant compte de la complexité et de l’absence d’homogénéité du bâti traditionnel, pourrait être l’un deux, comme le préconise Julien Lacaze, président de l’association Sites et Monuments. D’autres, à l’exemple de Sites et cités remarquables de France, prônent un DPE spécifique pour le bâti ancien. "On ne pourra pas transformer un modèle assis sur la norme (…), je ne crois pas dans notre capacité à convaincre d’une adaptation du DPE car on n’a plus le temps", analyse quant à elle Françoise Gatel, se disant favorable à "un moratoire sur le bâti ancien".

Élargissement du label de la Fondation du patrimoine

Cette piste de réflexion a été évoquée par Sabine Drexler, vice-présidente de la commission d’enquête. Le label est un support intéressant pour agir sur le patrimoine ancien non protégé des propriétaires privés. Il permet, via des partenariats avec des collectivités, de lever des subventions afin d'accorder une aide aux propriétaires. Son fonctionnement est toutefois très encadré. Il ne peut aujourd'hui concerner que les travaux de rénovation visibles de l'extérieur portant sur des immeubles d'intérêt patrimonial non protégés au titre des monuments historiques et visibles depuis la voie publique. Jean-François Herbert s’est dit favorable à son extension aux travaux de rénovation énergétique, en particulier les opérations d'isolation menées à l'intérieur même des édifices. "Les élus doivent se saisir des outils qui existent car le PLU le permet, il peut inclure une protection particulière du patrimoine, le recenser", a-t-il également insisté.

Sites et cités remarquables de France et Petites cités de caractère de France sont à l’origine avec la Banque des territoires de la plateforme de ressources "quartiers anciens-quartiers durables". Avec le Cerema, Maisons paysannes de France, l’école d’architecture de Toulouse, Sites et cités remarquables de France est également cofondateur du Creba, le centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien, pour aider à mettre en œuvre "une approche globale" de la réhabilitation.

Des initiatives fleurissent aussi çà et là. À Angers, thermiciens et ABF travaillent main dans la main pour agir sur "les systèmes, les éco-gestes et l’architecture", relève Gabriel de Beauregard. Sur l’agglomération Lannion-Trégor communauté, des aides complémentaires ont par exemple été mises en place pour accompagner les travaux dans le bâti ancien en "auto-rénovation", illustre également le maire de Tréguier. 

 
  • Les 16 préconisations du G7 Patrimoine 

Ce collectif réunissant sept associations nationales du patrimoine, auxquelles s’associent l'Association nationale des architectes des bâtiments de France et l'Association des architectes du patrimoine, demande un "moratoire immédiat du DPE", dans un communiqué publié ce 1er juin, et formule 16 préconisations aux pouvoirs publics pour "conjuguer Transition écologique et respect du bâti ancien". Pour cela une condition : changer de paradigme en sortant du dispositif unique imposé au bâti ancien d’avant 1948 pour promouvoir un nouveau DPE spécifiquement conçu pour ce patrimoine.

Afin d’en accompagner la mise en œuvre, il préconise de réguler les professions de diagnostiqueur et de thermicien et de dédier au moins un tiers de conseillers Rénov’ au bâti ancien. Une partie des aides publiques devrait également être fléchée vers les logements concernés par le DPE bâti ancien et réaffectée à des solutions durables. Pour assoir un régime spécifique au bâti ancien, il est proposé de reprendre les critères afférents aux "travaux embarqués" limitant le champ de mise en œuvre de l’isolation thermique. La création d’un comité ad hoc aux côtés des ministères concernés ou l’institution d’un label propre à la transition durable du bâti ancien font aussi partie des pistes mises sur la table. Pour le G7 Patrimoine, il est par ailleurs urgent d’investir dans la recherche et dans la formation à l’architecture durable et aux métiers du bâti ancien. Des inventaires des patrimoines menacés par les rénovations (notamment les menuiseries extérieures anciennes) doivent également être entrepris par l’État et les collectivités via les sites patrimoniaux remarquables ou PLU "patrimoniaux".