Rénovation énergétique des bâtiments : le Haut Conseil pour le climat appelle à des investissements massifs
Dans son rapport "Rénover mieux : leçons d’Europe" publié ce 24 novembre, le Haut Conseil pour le climat a analysé les politiques publiques et les solutions mises en œuvre dans quatre pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède) et identifié des pistes d’action pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments en France. Pour rattraper le retard actuel, il plaide pour des investissements massifs et une refonte du système d'aides afin de rendre la rénovation énergétique plus performante.
La France est à la traîne en matière de décarbonation du secteur du bâtiment, constate le Haut Conseil pour le climat (HCC), qui a publié ce 24 novembre son rapport "Rénover mieux : leçons d’Europe", dans lequel il a analysé les politiques publiques et les solutions mises en œuvre dans quatre pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). Avec 18% des émissions directes de gaz à effet de serre provenant du secteur des bâtiments et 36 millions de logements en 2019, la décarbonation complète de ce secteur est indispensable à l’atteinte de la neutralité carbone de l'Hexagone en 2050.
Accélérer le rythme
Pour cela, le rythme des rénovations énergétiques - en moyenne de 0,2% par an - doit fortement s’accélérer pour atteindre 1% par an après 2022 et 1,9% par an d’ici 2030. "Pour le secteur résidentiel, il s’agit de passer des 60-70.000 rénovations profondes effectuées annuellement (2012-2016), à 370.000 rénovations complètes par an à minima après 2022 et 700.000 par an à partir de 2030, conformément aux objectifs fixés dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)", relève le HCC.
Tous les pays étudiés dans son rapport constatent une amélioration de la performance énergétique de leur parc de logements, même si la Suède est la seule à avoir réussi une décarbonation quasi-totale du secteur. En tenant compte des différences de climat, la France apparaît comme ayant les logements les moins performants par rapport aux autres pays, pointe le HCC. La performance énergétique des bâtiments résidentiels y progresse à un rythme similaire à la moyenne européenne mais celle des bâtiments tertiaires (bureaux, commerces et restaurants, écoles et hôpitaux) avance moins vite.
Le modèle suédois
Selon le rapport, la Suède doit son succès à "un effort continu sur plusieurs décennies, comprenant des normes exigeantes de performance énergétique, des investissements dans les réseaux de chaleur et plus récemment vers le chauffage électrique avec pompes à chaleur, accompagné d’une taxe carbone". Le pays scandinave a aussi misé dès les années 1970 sur des normes d'isolation importante pour le neuf, ce qui plaide pour une règlementation environnementale des bâtiments neufs "ambitieuse", a noté le ministère de la Transition écologique, qui a présenté ces futures règles ce mardi (lire notre article).
L’Allemagne, elle, se distingue par la "diversité de ses politiques publiques, comprenant d’importantes subventions aux ménages et aux entreprises conditionnées à l’atteinte de résultats avec un rôle fort de la banque publique d’investissement". Aux Pays-Bas, les points forts relevés dans le rapport sont la gouvernance du secteur et la mise en valeur de solutions locales pour permettre la sortie du parc de sources de chauffage carbonées et l’élaboration de feuilles de route du parc public. L'expérience du Royaume-Uni sur la mise en œuvre des obligations de rénovations des passoires thermiques sont quant à elles jugées "éclairantes" pour ces politiques sectorielles.
Une nécessaire "massification de la rénovation" de tous les bâtiments
À partir de cette analyse comparée, le HCC avance ses recommandations au gouvernement pour rattraper le retard actuel en France. Il insiste tout d'abord sur la nécessité d'une "massification" de la rénovation des logements, bâtiments publics et tertiaires. L'investissement annuel public et privé - environ 13 milliards d'euros actuellement-, "devra être multiplié au moins par deux en quelques années" et les dispositifs de soutien public, "actuellement de l'ordre de 4 milliards d'euros, devront être quadruplés", selon le Haut Conseil. Dans ce cadre, le plan de relance "va dans le bon sens", a estimé sa présidente, Corinne Le Quéré, insistant toutefois sur le besoin d'une stratégie "à long terme". Un long terme qui est bien "le défi majeur de la performance énergétique des bâtiments", a réagi le ministère de la Transition écologique, assurant de la "détermination sans faille du gouvernement à accélérer son action".
Remise en cause de "la logique par gestes"
Au-delà des montants, le HCC s'interroge sur l'efficacité des investissements. Le rapport met en cause la prédominance de "la logique par gestes" : des actes isolés de rénovation, comme le changement d'une chaudière ou l'isolation d'un toit, ne permettent "généralement pas de gains énergétiques majeurs". Résultat, le taux de rénovations globales et performantes - avec un "bouquet" de travaux, de l'isolation complète du bâtiment au système de chauffage - "stagne, avec un rythme de 0,2% par an en moyenne".
Entre 2012 et 2016, environ 87.000 maisons individuelles (qui représentent plus de la moitié du parc résidentiel) ont fait un saut d'au moins deux classes énergétiques (dans le classement de A à G), alors que la stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui prévoit 500.000 rénovations par an pendant le quinquennat actuel, vise un objectif minimal de 370.000 rénovations complètes par an en 2022, 700.000 à plus long terme.
Pour encourager la logique de rénovations globales, le Haut Conseil soutient la Convention citoyenne sur le climat qui s'est prononcée pour une rénovation énergétique obligatoire d'ici à 2040. Il plaide en plus pour la suppression d'ici à trois ans des aides aux gestes individuels dans le dispositif "MaPrimeRénov", pour lequel le gouvernement a prévu 2 milliards d'euros supplémentaires sur deux ans. Il recommande au contraire de ne proposer "que des aides conditionnées à l'atteinte d'un niveau de performance".
"Réduction des vulnérabilités"
Le rapport recommande aussi de relever à 10% le taux réduit de TVA à 5,5% sur la rénovation énergétique, dont il souligne l'efficacité "contestée", et souhaiterait voir augmentés le montant et la durée de l'éco-prêt à taux zéro (Eco-PTZ) "en s'inspirant de l'exemple allemand" (jusqu'à 120.000 euros sur 30 ans, contre 30.000 euros sur 15 ans en France).
Le HCC souligne aussi l'importance de la rénovation pour l'emploi et la "réduction des vulnérabilités". En 2017, 6,7 millions de personnes vivaient dans des logements en précarité énergétique, classés F ou G, souvent appelés "passoires thermiques". Le Haut Conseil recommande qu'à partir de 2025, ils soient classés "indécents" et ne puissent ainsi plus être loués.
Meilleure intégration des politiques de rénovation dans les plans et programmes territoriaux
Il propose par ailleurs de mieux intégrer les politiques de rénovation dans les plans et programmes territoriaux. Il faudrait pour cela "identifier les stratégies et documents de planification territoriaux existants, afin d’y inclure systématiquement les objectifs de rénovation énergétique", avance-t-il, et "mettre en place des plateformes permettant aux conseils régionaux, aux EPCI et aux municipalités d’échanger régulièrement sur leurs politiques et les retours d’expérience. Il recommande aussi d'associer les acteurs territoriaux de la rénovation énergétique à l’élaboration de la prochaine SNBC et du volet sur la rénovation énergétique associé à la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Stratégie de rénovation "cohérente" pour les bâtiments publics
Enfin, il propose la mise en place d'une "stratégie structurelle et cohérente" pour la rénovation des bâtiments publics. Il estime notamment qu'il faudrait élaborer des feuilles de route par branche et sous-branche du parc public : État, collectivités, et les différents établissements publics (hôpitaux, universités, agences publiques, etc.) et inciter au dialogue entre la direction de l’immobilier de l’État et les acteurs publics occupant les locaux pour penser les surfaces utiles pour l’avenir avant d’investir. Il juge également nécessaire de "commander une évaluation d'ici à 2022 des projets de rénovation des bâtiments publics financés dans le cadre de France Relance, en termes de travaux effectués, gains de performance énergétique mesurés et leçons pour les travaux dans le reste du parc" et de "renforcer l’accompagnement et les incitations des acteurs publics pour soutenir la création de nouveaux projets de rénovation et enclencher la dynamique pour les années suivantes".