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Crise sanitaire : le Haut Conseil pour le climat plaide pour une reprise "verte, pas grise"

Le Haut Conseil pour le climat, instance indépendante créée par Emmanuel Macron pour évaluer les politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique, a élaboré un rapport spécial sur la crise du Covid-19 et ses conséquences, avec 18 recommandations, publiées ce 21 avril. La reprise doit être "verte, pas grise", souligne-t-il. Il appelle notamment à engager des "interventions massives dans des secteurs structurants" comme la rénovation énergétique des logements et des bâtiments tertiaires et à "orienter des grands travaux vers des infrastructures résilientes et bas carbone".

"La réponse du gouvernement à la crise sanitaire du covid-19 doit soutenir la transition bas-carbone juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques". C’est ce que met en avant le Haut Conseil pour le climat (HCC) en publiant ce 21 avril un rapport spécial sous l'intitulé "Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir", consacré aux enseignements à tirer de la crise sanitaire actuelle pour le climat, et aux suites à donner pour viser la neutralité carbone. Composée de chercheurs et d'économistes, cette instance indépendante a été créée par un décret du 14 mai 2019, après avoir été installée par le président de la République le 27 novembre 2018, avec pour mission d'évaluer les politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique.

"Manques de préparation et de prévention"

Son rapport spécial, qui contient 18 recommandations, propose des pistes concrètes au gouvernement. Il s'agit de "guider les actions afin que les décisions prises permettent de nous reconstruire de manière plus résiliente aux risques sanitaires et climatiques", explique la présidente du HCC, Corinne Le Quéré. La crise du coronavirus" rappelle de façon brutale notre fragilité, (...) le peu d'attention que nous portons aux signaux d'alerte, les manques de préparation et de prévention", souligne la climatologue.
Pour les membres du HCC, il est indispensable de mettre la transition écologique et la réduction des gaz à effet de serre au coeur de la relance économique. "Les risques climatiques sont extrêmement importants", rappelle la climatologue franco-canadienne, et "si on néglige encore les alertes comme on l'a fait pour les pandémies, on sera dans un monde (avec) des impacts effroyables", avertit-elle. "La plupart des causes structurelles de la pandémie sont aussi à l'origine du changement climatique, en particulier la pression insoutenable que nous exerçons sur les milieux naturels", rappelle la présidente du HCC.

Conditionner les aides publiques

Alors que le Parlement examine le projet de budget rectificatif, avec 110 milliards d'euros d'aides, dont 20 milliards pour recapitaliser des entreprises stratégiques en difficulté, de nombreuses voix ont appelé à ne pas reproduire la même erreur qu'en 2008, quand le plan de relance avait favorisé des activités polluantes. Pour le HCC, la cause est entendue : la reprise doit être "verte, pas grise".
La France compte réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030, par rapport à 1990, et prévoit d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, mais elle n'est pas sur la bonne voie. Les aides budgétaires et incitations fiscales aux collectivités et entreprises doivent donc être "clairement subordonné(es) à l'adoption explicite de plans d'investissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas-carbone", plaide le Haut Conseil. Il cite le secteur automobile, où toute aide devrait s'inscrire dans une reconversion vers des véhicules "propres", électrique ou hydrogène, et s'accompagner d'un renforcement des normes de pollution de l'air.
Corinne Le Quéré met aussi en garde contre les velléités de "reconstruire comme avant, coûte que coûte, certains secteurs comme l'aérien, très polluant", au moment où le gouvernement s'apprête à soutenir massivement Air France.

Transports doux, rénovation énergétique des logements, préservation des écosystèmes

Le HCC prône à l'inverse les transports "doux" - marche, vélo -, le télétravail, des "infrastructures plus résilientes", interrogeant le "sous-investissement massif dans la maintenance du réseau ferroviaire". Il faut aussi "engager dès maintenant des interventions massives dans des secteurs structurants" et pour cela "dynamiser la rénovation énergétique des logements et des bâtiments tertiaires", créatrice d'emplois. Le HCC appelle aussi à "préserver et accroître les écosystèmes terrestres et côtiers" pour stocker du carbone. "En France, les écosystèmes terrestres (forêts, terres cultivées, milieux humides et aquatiques, espaces verts) et côtiers absorbent de manière transitoire environ un cinquième des émissions annuelles, souligne-t-il. L’objectif de neutralité carbone veut qu’à l’horizon 2050, l’ensemble des émissions françaises soit compensé par ces capacités d’absorption". 

"Retour de l'Etat et des solidarités"

L'effondrement des prix du pétrole est le bon moment pour "enlever les exonérations fiscales", dans les secteurs routier et aérien par exemple, car ces mesures auront peu d'impact, estime Corinne Le Quéré. Il ne doit pas servir d'excuse en revanche pour se détourner des énergies renouvelables. Le HCC recommande aussi de "valoriser les dettes", en s'inspirant de mécanismes visant à "reconvertir la dette vers des investissements destinés à la transition bas-carbone". "Les collectivités locales notamment pourraient en être bénéficiaires pour développer leurs politiques d'adaptation et de résilience", suggère-t-il.
L'instance est favorable à la réduction des inégalités via les politiques publiques et "un retour de l'Etat et des solidarités", à "plus de sobriété" dans nos modes de vie et des "indicateurs de bien-être" en plus du PIB. "L'engagement des citoyens (doit être) valorisé", défend-il également, citant l'exemple de la Convention citoyenne pour le climat.
"On entend un souhait du président de la République de reconstruire un monde meilleur", relève Corinne Le Quéré. "Mais est-ce que cela va se traduire effectivement en mesures qui vont nous emmener vers un monde meilleur, ou est-ce que les lobbies et la pression de temps sera trop grande ?"