Emploi - Relocalisation des centres d'appels : un effet d'annonce ?
Le 1er juillet 2010, Teleperformance, numéro un mondial des centres d'appels, annonçait la fermeture de 8 des 22 sites qu'il exploite en France, et la suppression de 830 postes*, sur un effectif total de 7.400 personnes. "Nous condamnons cette décision avec la plus grande fermeté, sur le fond comme sur la forme", réagit Daniel Delaveau, le maire de Rennes, où le site de Teleperformance et ses 194 emplois vont disparaître. Le maire, comme ses homologues dans les autres villes touchées*, est d'autant plus amer que, parallèlement, Teleperformance renforce ses activités en Tunisie, où il gère aujourd'hui 4 sites et emploie 4.000 salariés. Il faut dire que la différence de coût est significative. Selon l'Association française de la relation client (AFRC), une entreprise paie 50 à 60 euros l'heure de travail en centre d'appels, quand elle réalise elle-même la prestation, de 25 à 28 euros quand elle l'externalise auprès d'un prestataire de type Teleperformance, installé en France, et seulement 14 euros quand elle la sous-traite au Maroc ou en Tunisie. Un écart qui provoque une vague continue de délocalisations des centres d'appels français vers les pays francophones d'Afrique. Si le secteur des centres d'appels représente en France environ 240.000 salariés, il ne crée plus d'emplois dans l'Hexagone, selon le gouvernement, tandis que les emplois délocalisés -principalement vers le Maroc et la Tunisie- sont passés de 10.000 à 60.000 entre 2004 et 2009. Aussi les suppressions d'effectifs récemment annoncées par Teleperformance, ont-elles été vécues comme une provocation. "Sur ce secteur, il y a une bataille qu'on peut gagner. On peut porter le fer, et ramener les emplois chez nous", cinglait Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'Emploi, le 12 juillet 2010 sur les ondes de RMC. Et de promettre dans la foulée un plan de lutte contre les délocalisations des centres d'appels. Parmi les pistes envisagées : surtaxer les appels provenant des sites installés à l'étranger, aider financièrement les entreprises qui restent en France, obliger les "call centers", pour chaque appel, à préciser leur lieu d'installation, en comptant sur une réaction "patriotique" des consommateurs, établir un code de bonne conduite contraignant pour les prestataires et les donneurs d'ordre, obliger les entreprises publiques à garder leurs centres d'appels en France ou encore publier la liste des mauvais élèves. Autant de mesures dont il reste à étudier la compatibilité avec le droit européen, ainsi qu'avec les contraintes budgétaires et le droit fiscal français. En tout état de cause, Laurent Wauquiez a annoncé, pour la rentrée, des assises des centres d'appels, réunissant les grands donneurs d'ordre (EDF, Bouygues, Orange, Axa...) et leurs prestataires (Teleperformance, Webhelp, Arvato...). "Cependant il ne faudrait pas que l'on favorise une sorte de "social washing" : c'est-à-dire des groupes qui se donneraient bonne image et bonne conscience en annonçant que leurs centres d'appels et leurs prestataires sont "made in France", tout en continuant à délocaliser une grande partie de leur production. Les centres d'appels, c'est un front secondaire dans le combat pour la relocalisation", souligne François Gagnaire, directeur du cabinet Aides d'Etat Conseil.
Par ailleurs, plusieurs économistes et spécialistes du sujet font remarquer que les call centers, contrairement à l'idée répandue, créent bel et bien de l'emploi en France. Ainsi Olivier Bouba-Olga, chercheur au Crief (Centre de recherche en intégration économique et financière) a ressorti les statistiques d'Unistatis sur les effectifs des centres d'appels externalisés : ils sont passés, en France, de 22.706 en 2004 à 36.352 en 2008, soit une augmentation de 60%... Ce que confirme le PDG d'un grand opérateur de call centers : "Sur les prestations basiques, il est difficile de ne pas délocaliser, si vous voulez rester compétitif. Mais sur des services téléphoniques plus relevés, comme de l'assistance technique, du conseil ou de la prospection, nous créons de l'emploi en France, tout simplement parce c'est la condition pour un service performant." Rendez-vous aux assises des centres d'appels, à la rentrée, pour la suite des débats entre téléopérateurs et acteurs politiques.
Paul Arguin
(*) Le groupe va supprimer les centres de Marseille (25 postes), Pantin (149 postes), Rennes (194 postes) et Tours (51 postes). Dans 4 autres villes, il fusionnera deux centres, avec à la clé des réductions d'effectifs : Le Mans (41 postes supprimés), Lyon (169 postes en moins), Orléans (71 postes) et Toulouse (61 postes). A Bordeaux, 69 postes disparaîtront.