Relance : sans un soutien financier, les collectivités seront-elles au rendez-vous ?
Du fait de leur place prépondérante dans l'investissement public, les collectivités auront un rôle clé dans la relance. À condition, toutefois, qu'elles en aient les moyens financiers, ont souligné les représentants des élus locaux lors de deux auditions organisées mercredi 13 mai par le Sénat puis l’Assemblée. Car la crise va nécessairement mettre à mal l'épargne des collectivités.
"Au bout d'un mois et demi" de crise, les collectivités territoriales accusaient une perte totale d'"un peu plus de six milliards d'euros", a déclaré le président de l'Association des maires de France (AMF), qui était auditionné mercredi 13 mai par la mission d’information de l'Assemblée nationale sur l'épidémie de Covid-19. Fin avril, le ministre de l'Action et des Comptes publics avait estimé, de son côté, que les collectivités territoriales pourraient essuyer des pertes de recettes fiscales de 4 milliards d'euros en 2020, avant un nouveau trou de 10 milliards d'euros en 2021 (voir notre article du 30 avril 2020).
Cette année, les communes et leurs groupements tiendront "le choc", a jugé le président de France urbaine, Jean-Luc Moudenc, qui, lui aussi, était auditionné par les députés. Avec l'épargne de 2019 et les économies dégagées du fait des projets qui sont retardés, le secteur communal arrivera à financer les exonérations fiscales décidées pour les entreprises et les dépenses supplémentaires, a-t-il poursuivi. Mais, "je crains beaucoup l'année 2021 et 2022", car "on va passer à des effets beaucoup plus structurels", a-t-il confié. Un sentiment partagé par François Baroin, qui a chiffré à "entre 26% et 50%" le recul possible de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à partir de l'an prochain. Un effondrement qui pourrait être précédé d'une secousse dès le mois de décembre 2020, a-t-il au passage indiqué. Les entreprises doivent en effet verser en fin d'année un acompte de CVAE. La présidente de Villes de France, Caroline Cayeux, qui participait à la même réunion, a acquiescé à l'évocation de ce scénario : "Nos marges de manoeuvre en matière de dépenses seront plus difficiles en 2021 et 2022, essentiellement pour nos communautés d'agglomération, qui auront des baisses de recettes importantes."
De grands projets remis en cause ?
Avec une capacité d'autofinancement largement dégradée par la crise, les collectivités territoriales pourront difficilement participer à un plan de relance, dans le cadre duquel elles ont pourtant un rôle "essentiel" à jouer, redoutent les élus locaux. Même certains grands projets - par exemple en matière de rénovation urbaine - que les villes et leurs intercommunalités ont décidé ces dernières années avec l'État pourraient être ajournés. "Nous nous interrogeons sur leur faisabilité", a reconnu Caroline Cayeux, qui est aussi maire de Beauvais. Qui a proposé une "reconversion" ciblée sur "les économies d'énergie" dans "les immeubles".
Pour l'élue, l'histoire n'est pas encore écrite : l'État pourrait, selon elle, prendre "un certain nombre de décisions". Son collègue André Laignel, premier vice-président de l'AMF, auditionné le matin même par la commission des lois du Sénat, a été plus terre à terre, réclamant "de l'argent frais" pour les collectivités. Le maire d'Issoudun a plaidé pour une mobilisation des dispositifs contractuels (contrats de ruralité, Action cœur de ville, Territoires d'industrie, contrats de plan État-régions), mais dont les crédits seraient abondés. Une revendication partagée par Jean-Luc Moudenc. Lors de son audition par les députés, il a estimé que si la transition énergétique doit être "un des principes" du plan de relance, "il faut que les moyens suivent". Il a rappelé à ce sujet la demande ancienne des collectivités pour l'affectation à leur profit d'une partie de la contribution climat énergie. "Les projets sont prêts (…) on en a plein dans les cartons", a-t-il dit. En appelant à une relance co-construite entre l'État et les collectivités.
Loi de finances des collectivités : "C'est l'occasion"
La recherche d'une accélération de l'investissement public local pourrait être contrariée par la hausse "de l'ordre de 20%" du prix des prestations délivrées par les entreprises, notamment celles des secteurs du bâtiment et des travaux publics, a pour sa part pointé le président de l'AMF. En expliquant que le secteur privé répercute le coût des mesures et des gestes barrières.
François Baroin a aussi plaidé pour une "nationalisation par l'État de l'ensemble des pertes de recettes (des collectivités locales) liées à la décision de l'État d'avoir mis en place (le) confinement". La mesure donnerait évidemment une bouffée d'oxygène au secteur public local – et donc faciliterait la relance. Tout comme la possibilité, également revendiquée par l'AMF, de passer en section d'investissement les achats de masques. A contrario, l'allègement des impôts de production (CVAE notamment) réclamé par le Medef, et sur lequel le gouvernement a ouvert une réflexion, ne doit pas revenir dans le cadre du débat sur le plan de relance, a insisté François Baroin.
On notera encore que, toujours faisant état des propositions de l'AMF, François Baroin a évoqué l'idée déjà ancienne d'une "loi de finances des collectivités locales". Il a proposé qu'"à la rentrée" soit créé "juridiquement et statutairement" cet outil permettant d'améliorer la transparence des transferts financiers entre l'État et les collectivités et pouvant offrir "des garanties supplémentaires pour la libre administration des collectivités".