Réglementation des dark stores : après l’arrêt du Conseil d’Etat, le décret est enfin paru
Conforté par la décision du Conseil d’État, rendue la veille, tranchant sur le statut d’entrepôts des dark stores, le gouvernement a finalement décidé, après des mois d’atermoiements, de publier, ce 24 mars, les textes réglementaires - un décret et un arrêté - permettant de réguler leur déploiement dans les grandes villes par le biais des plans locaux d'urbanisme (PLU).
Un décret relatif aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les documents en tenant lieu - accompagné d’un arrêté - est paru au Journal officiel ce 24 mars. Ce texte qui contient diverses autres mesures devrait notamment permettre la régulation des plateformes de livraison express, autrement appelées "dark stores" et "dark kitchens", en clarifiant leur classification comme "des entrepôts" au regard du code de l’urbanisme, qui énumère aux articles R.151-27 et R.151-28 la liste des cinq destinations et sous-destinations de constructions qui peuvent être réglementées par un PLU.
Les élus des grandes villes bataillaient depuis des mois dans ce sens pour contrecarrer leur développement anarchique depuis la crise sanitaire. "Avec Olivier Klein [ministre délégué à la Ville et au Logement], nous nous étions engagés à ce que les mairies aient la possibilité d'approuver ou non l'implantation de dark stores dans leur commune. C'est désormais chose faite", s’est félicitée la ministre déléguée au Commerce, Olivia Grégoire sur Twitter. "Nous allons enfin pouvoir sanctionner et interdire ces entrepôts fantômes", s’est également réjoui auprès de l'AFP Emmanuel Grégoire, l'adjoint à l'urbanisme de la maire PS de Paris Anne Hidalgo.
France urbaine n’a pas tardé à réagir dans un communiqué, en se disant satisfaite du décret qui "répond aux principales attentes des élus des grandes villes, agglomérations et métropoles". "Ainsi, les collectivités concernées sont en capacité, à droit constant ou en adaptant leurs documents d’urbanisme, de déterminer les secteurs d’implantation au sein desquels les dark stores et les dark kitchens sont autorisés, interdits ou soumis à condition", y souligne l’association.
Un premier round remporté devant le Conseil d’État
La veille une première victoire avait été enregistrée par la ville de Paris devant le Conseil d’État, par une décision (n°468360) qualifiant les dark stores d’entrepôts au sens du code de l’urbanisme et du plan local d’urbanisme parisien, les rattachant ainsi à la sous-destination "entrepôt" et non à celle de "l'artisanat et commerce de détail", et ce, "même si des points de retrait peuvent y être installés" (lire notre article du 23 mars 2023). Prenant le contrepied du tribunal administratif de Paris, la Haute juridiction a considéré que la transformation de locaux commerciaux par ce type d’enseignes constituait un changement de destination soumis à déclaration préalable, et auquel la ville de Paris pouvait s’opposer dés lors que le PLU parisien interdit la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue.
À l'issue d'une réunion organisée début septembre avec les associations d'élus et les représentants des métropoles (lire notre article du 6 septembre 2022) Olivia Grégoire avait décidé de lever toute ambiguïté sur le statut des dark stores en les considérant bien comme des entrepôts. "Peu importe s'il y a une possibilité de retrait sur place, ils restent des entrepôts", expliquait-elle. Il s’agissait ce faisant de mettre un terme à la polémique née de la diffusion l'été dernier d’un projet d'arrêté ministériel qui aurait permis à ces lieux d'être considérés comme des lieux de commerce ou de restauration, et non plus des entrepôts, pour peu qu'ils disposent d'un point de collecte pour le public. Un guide diffusé à l’attention des élus en mars 2022 reprenait d’ailleurs ce distinguo. Le décret y met un point final. Le texte confirme ainsi que les dark stores sont des entrepôts et permet la création d’une sous-destination spécifique concernant les dark kitchens ("cuisine dédiée à la vente en ligne").
De son côté, l'arrêté (modifiant le précédent arrêté datant de 2016) vient plus en détail préciser la définition des différentes sous-destinations. La sous-destination "entrepôt" recouvre ainsi "les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l'entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d'achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données". La sous-destination "artisanat et commerce de détail" vise "les locaux dans lesquels sont exclusivement retirés par les clients les produits stockés commandés par voie télématique". "S'il y a la moindre livraison, (les drive) basculent en dark stores", a décrypté le cabinet d'Olivia Grégoire à l'AFP, soulignant qu'ils n'avaient "pas le même impact en termes d’urbanisme", sans flux de vélomoteurs et "bénéficiant aux commerces alentour".
La nouvelle sous-destination "cuisine dédiée à la vente en ligne" regroupe quant à elle "les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique. Ces commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place." Elle se distingue de la sous-destination "restauration" qui recouvre "les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d'une clientèle".
Loin de faire le tour de la question
France urbaine estime toutefois que le décret "ne règle pas les problématiques posées par les nouvelles pratiques de consommation, la digitalisation des achats, la désintermédiation et les nouveaux dispositifs de stockage et de livraisons des marchandises en ville". Des propositions devraient donc émerger sur les outils de régulation des implantations commerciales (CDAC, CNAC), la fiscalité numérique, les compétences des collectivités "à réguler et dynamiser le commerce sur leurs territoires, y compris en élargissant les pouvoirs de police du maire", ou pour consolider le droit des travailleurs de ces plateformes. A l’échelon européen, les élus plaident là aussi pour un renforcement du cadre de régulation "en intégrant une meilleure information du consommateur sur l’empreinte carbone de son achat et de son mode de livraison".
Quatre nouvelles annexes au PLU
Notons que sur un tout autre sujet, le décret prévoit également la création d’une nouvelle sous-destination "lieux de culte" (rattachée à la destination "équipements d'intérêt collectif et services publics") et l’ajout de la mention du secteur primaire dans la destination "autres activités des secteurs secondaire et tertiaire". Il corrige au passage, dans la nomenclature des servitudes d'utilité publique annexée au livre Ier de la partie réglementaire du code de l'urbanisme, une erreur de référence concernant les servitudes de passage sur le littoral et intègre dans cette nomenclature une catégorie de servitude d'utilité publique prévue au code de l'environnement relative aux ouvrages et infrastructures nécessaires à la prévention des inondations. Enfin, il complète la liste des annexes au PLU de quatre nouvelles annexes : la carte de préfiguration des zones soumises au recul du trait de côte établie dans les conditions définies à l'article L.121-22-3 (introduit par la loi Climat et Résilience) ; les périmètres où la pose de clôtures est soumise à déclaration préalable ; ceux où le ravalement de façades est soumis à déclaration préalable ; et enfin ceux où le permis de démolir a été institué.
Les dispositions du décret entrent en vigueur le lendemain de sa publication, à l'exception des dispositions modifiant la liste des destinations et sous-destinations des constructions, dont l'entrée en vigueur est repoussée au 1er juillet 2023. Des dispositions transitoires sont également prévues pour les procédures en cours.
Références : décret n°2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu ; arrêté du 22 mars 2023 modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu, JO du 24 mars 2023, textes n° 23 et 30. |