Réformer le lycée professionnel pour en faire "une filière d'excellence"
Lutte contre le décrochage scolaire, adaptation de la carte des formations "au plus près des besoins des territoires", rémunérations des stages, mise en place d'un "bureau des entreprises" dans chaque lycée professionnel... Emmanuel Macron a présenté ce jeudi 4 mai lors d'un déplacement en Charente-Maritime le contenu de la réforme du lycée professionnel, érigée "en cause nationale" pour laquelle il annonce "un milliard d'euros par an" supplémentaires.
"Ce n'est pas simplement d'une réforme dont je suis venu vous parler […] mais d'une cause nationale […] parce qu'aujourd'hui malgré l'investissement de la nation, malgré le dévouement des enseignants, nous ne sommes pas au rendez-vous de la promesse que nous devons à ces élèves", a déploré ce 4 mai 2023 le président de la République lors d'un discours au sein du lycée de Saintes, dénonçant un "système mal fichu". Car "sur 100 élèves qui entrent en seconde professionnelle, seul un tiers décroche son bac ou un équivalent, 29 sur 100 seront au chômage, 28 s'engageront dans les études supérieures dont plus de la moitié ne réussiront pas…", a décrit le chef de l'État, accompagné des ministres Pap Ndiaye, Carole Grandjean et Olivier Dussopt. En considérant que "si ces chiffres avaient été ceux du lycée général, il y a bien longtemps que l'on aurait fait des réformes".
Un public "fragile", "hétérogène" et "jeune"
La veille, l'Élysée avait rappelé que les lycées professionnels accueillent 621.000 élèves et 64.000 apprentis. Un public qualifié de "fragile", "hétérogène" et "jeune". Ainsi, quatre lycéens professionnels sur dix sont boursiers. Seulement 3% des lycéens professionnels sont des enfants de cadres ou de professions libérales, contre 26% des lycéens généraux ou technologiques. On y trouve également des lycéens en situation de handicap à hauteur de 5%, "un pourcentage plus important que dans la voie générale". Ces élèves éprouvent aussi de plus grandes difficultés à s'insérer sur le marché de l'emploi ou à poursuivre des études supérieures, puisque seulement un bachelier professionnel sur deux parvient à s'insérer dans l'emploi.
L'Élysée a rappelé que la réforme qui s'engage est née d'une concertation qui s'est faite dans la durée, de septembre à fin décembre 2022, réunissant plus de 160 personnes. Au fil de cette concertation s'est construite une "vision" qui est "de faire de la voie professionnelle une filière d'excellence", tel que l'a formulé le chef de l'État avant de confirmer un financement de l'État à hauteur de 1 milliard d'euros supplémentaires par an, pour des mesures portant sur trois axes : "la lutte contre le décrochage scolaire", "l'amélioration de l'insertion professionnelle" et "la reconnaissance du travail et de l’engagement du corps enseignant".
Lutter contre le décrochage
"Deux lycéens sur trois en situation de décrochage sont issus de lycées professionnels", selon l’Élysée. "Si les jeunes décrochent, c'est qu'on a d'abord un sujet de choix par défaut et on a une première bataille de l'orientation", a décrit Emmanuel Macron, concluant qu'il faut "susciter des vocations" en instaurant, "à partir de la 5e, un temps pédagogique pour la découverte des métiers". "On va ouvrir beaucoup plus les collèges aux collectivités locales et aux entreprises pour qu'elles aillent présenter les besoins, les métiers en tension et les métiers de demain", a détaillé Emmanuel Macron.
Cela suppose également "un moment de vérité au moment de l'orientation". Les familles doivent pouvoir connaitre les débouchés de tel CAP, ou BAC pro…"Sur Affelnet [la procédure qui permet d'affecter les élèves de troisième dans les lycées de leur académie], nous avons les taux d'insertion par filière au niveau régional". Le président a assuré qu'on allait poursuivre ce travail de transparence en affichant "les taux d'insertion et de poursuite d'étude par filière et par établissement mis au regard du taux d'emploi dès avril 2024, et cela sera enrichi par le taux de rémunération par filière dès avril 2025".
Dès la rentrée 2023, le soutien en petit groupes sera renforcé dans les matières fondamentales dans les établissements dans lesquels les enseignants volontaires souhaitent s’engager. Le chef de l'État a annoncé également la création du dispositif "Tous droits ouverts" permettant à l’établissement, dès la déclaration des premiers signaux de décrochage, de mobiliser sans délai l’ensemble des acteurs des politiques publiques d’accompagnement, "pour proposer au jeune un parcours plus adéquat".
"S'attaquer à la carte des formations"
Pour améliorer l’insertion professionnelle, l’Élysée souhaite "s'attaquer de manière plus ferme à une carte des formations parfois inadéquate, dès le printemps prochain, et l’adapter aux métiers pour lesquels il existe des besoins forts". C’était une piste évoquée par Emmanuel Macron dès l’annonce de la réforme : "L’idée n’est pas d’imposer, depuis Paris, une liste de filières qui devraient être supprimées, mais de donner aux acteurs de terrain tous les éléments leur permettant d’apprécier au mieux les filières qui sont en difficulté, non-insérantes", explique l’Élysée. "Quand on a une filière (...) où il y a très peu de débouchés en emploi, très peu de débouchés en enseignement supérieur, cela veut dire que c'est sans doute une filière qu'il faut fermer", a estimé Emmanuel Macron.
Autre axe évoqué : le renforcement du lien avec les entreprises, le chef de l'Etat estimant que "l’entreprise ne sait pas remédier aux manques de l’école". A partir de la rentrée 2023, "nous allons monter en charge pour que 100% des élèves volontaires aient accès à un mentor d’ici 2025" et "en particulier, les entreprises qui le souhaitent seront partie prenante dans cette démarche en permettant à des salariés de s’engager aux côtés d’élèves de lycée professionnel", a ajouté le président.
Par ailleurs, pour les élèves qui souhaitent s’insérer directement après leur bac, la durée des stages sera augmentée de 50%. Ceux qui poursuivent dans le supérieur auront 4 semaines de cours supplémentaires pour mieux préparer leur entrée en BTS.
Un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel
Le chef de l'État a aussi annoncé la mise en place d'"un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel" pour garantir un meilleur accompagnement des élèves, et la venue dans ces établissements de "professeurs associés" issus du monde de l'entreprise.
Enfin, Emmanuel Macron a annoncé que dès la rentrée 2023, les élèves percevront une indemnité de stage à hauteur de 50 euros par semaine en première année de CAP et en classe de seconde, de 75 euros par semaine en deuxième année de CAP et en classe de première et de 100 euros par semaine en terminale. Cette indemnité de stage est "un engagement fort de l'État qui prendra à sa charge cette indemnité de stage pour tous les élèves", a précisé le chef de l'État, ajoutant que ce montant pourra aller de 600 euros à 1.200 euros pour certains élèves de terminale. "Cet engagement doit créer un 'choc d’attractivité' pour les entreprises", espère l’Élysée.
Si Régions de France affirme partager "certaines des orientations de la réforme", telles que "renforcer l'insertion professionnelle des diplômés en relation étroite avec les entreprises, rapprocher l'entreprise et l’école, l'information sur les métiers", etc., on lit surtout de la déception dans le communiqué diffusé ce 4 mai par l'association : "La réforme proposée par le chef de l’État aurait gagné à afficher une ambition plus importante." Selon Régions de France, "cette réforme s’inscrit insuffisamment dans les investissements dans les métiers d’avenir et notamment à préparer aujourd’hui les diplômés qui seront les acteurs des transformations de demain dans les métiers du numérique, de l’environnement, du changement climatique ou du soin à la personne". "La réforme aurait également gagné à investir davantage dans la promotion du lycée professionnel dans sa mission d’ascenseur social", écrivent les régions, qui revendiquent d'être en "première ligne". "Cheffes de file du développement économique, collectivité de référence pour les lycées", elles estiment qu'elles doivent voir "leurs compétences renforcées en matière d'orientation dès le collège et de carte des formations". Elles rappellent qu'elles souhaitent "un réel transfert de moyens pour exercer leur compétence sur l’orientation". Les régions annoncent également qu'elles resteront "très vigilantes dans leurs décisions sur la carte des formations pour que les fermetures de sections envisagées dans le cadre de la réforme soient progressives et toujours accompagnées d’ouvertures de même ampleur sur des métiers d’avenir et sur le même territoire". Elles rappellent que dès septembre 2023, 1.050 nouvelles places de formation vers les métiers du numérique, des mobilités douces, de la photonique et de l’énergie ouvriront grâce aux projets portés par l’État et les régions. Dans le même esprit, l’ouverture des nouveaux "bureaux des entreprises" dans chaque lycée professionnel devra s’accompagner, selon elles, "de la disparition des comités locaux école-entreprise (CLEE), globalement inefficaces, et leur remplacement par des structures copilotées par les régions et l'État". Elles réitèrent enfin leur proposition déjà formulée dans le "Livre blanc des régions" publié en mars 2022 : que leur soit confiée "la définition de la carte de l'ensemble des formations initiales de la voie professionnelle, y compris par l’apprentissage". |