Réforme territoriale de la DGFiP : encore beaucoup de points de crispation pour les maires
La réorganisation territoriale de la DGFiP, qui a conduit à la fermeture de nombreuses trésoreries, a engendré un éloignement du lien de proximité avec les collectivités et les administrés, pointe une enquête de l'AMF. D'autant qu'elle s'est accompagnée d'une dématérialisation des procédures, source de "déshumanisation". Le recours à des solutions nouvelles comme les conseillers aux décideurs locaux ou le réseau des buralistes va dans le bon sens mais n'est pas assez développé.
"Déshumanisation", "sentiment d'abandon", "perte de confiance"… Pour de nombreuses municipalités, la grande réorganisation territoriale entreprise par la DGFiP en 2020, sur fond de dématérialisation des services, laisse un goût amer. C'est ce qui ressort d'une enquête menée par l'Association des maires de France (AMF) auprès de ses adhérents entre le 27 mars et le 22 mai 2024. Face aux remontées de terrain, l'association a souhaité en savoir plus sur cette réforme lancée par Gérald Darmanin en 2019, qui s'est traduite par la création de 500 services de gestion comptable (SGC) regroupant les anciennes trésoreries, et de postes de conseillers aux décideurs locaux (CDL) qui apportent leur expertise aux collectivités en matière fiscale, budgétaire, comptable, économique ou patrimoniale. Si de nombreuses collectivités s'estiment "satisfaites" de ces relations nouées avec la DGFiP, l'enquête à laquelle 1.478 collectivités ont répondu révèle "de nombreuses difficultés", pointe l'AMF. "Cette réorganisation, accompagnée du développement des services dématérialisés et des espaces France services, a modifié le maillage territorial, parfois au détriment de la proximité avec les collectivités", constate-t-elle. Un regard plus contrasté que celui de la Cour des comptes qui, en début d'année, avait adressé un satisfecit à la DGFiP pour sa réforme (voir notre article du 1er février).
Des conseillers en sous-nombre
Malgré les efforts déployés par les agents de la DGFiP, notamment les nouveaux conseillers, les collectivités "regrettent les relations de proximité précédemment créées avec les anciennes trésoreries", et dénoncent parfois même une "dégradation" du service rendu, par manque de personne ou de turnover. L'"appauvrissement de la relation avec le comptable génère une augmentation de la charge de travail des ordonnateurs", et ce "sans compensation financière", déplorent les élus. Un éloignement qui n'est pas sans conséquence non plus sur la sécurité des agents amenés à transporter plus loin les fonds des régies…
Toutefois, les collectivités ont des sujets de satisfaction. Les trois quarts d'entre elles considèrent par exemple que l’aide à la préparation des documents budgétaires est "suffisante". Elles sont autant à voir dans le CDL un véritable soutien. Cet acteur est "bien identifié" et il est considéré comme "bénéfique aux relations entretenues", certaines mairies ayant organisé des "rencontres thématiques", "afin de les solliciter sur différents aspects (budget, emprunts, admissions en non-valeur, exemples de délibérations, etc.)". Mais ils ne sont pas suffisamment nombreux pour répondre à la demande, alors même que les relations avec les services comptables se dégradent. 52% des collectivités considèrent par exemple que les conseils de leur comptable ne sont pas assez développés en matière de TVA dont la réglementation est dénoncée comme un "flou artistique". Pire, une "horreur à calculer".
"Déshumanisation" et "perte d'efficacité"
La participation des services des impôts aux maisons France services n'est pas jugée satisfaisante par 47% des répondants, certaines collectivités pointent l'éloignement ou l'absence de maison sur leur territoire. Elles mentionnent une "rupture globale du lien de proximité", aussi bien pour les ordonnateurs que les administrés, alors que de nombreux habitants "restent souvent encore éloignés des outils de paiement ou de déclaration dématérialisés". Quant aux partenariats noués avec La Poste, les élus dénoncent des "horaires incompatibles".
Le regard sur la dématérialisation des opérations comptables et des moyens de paiement n'est pas meilleur. Les collectivités dénoncent l'absence d'interlocuteurs privilégiés, une déshumanisation qui s'accompagne d'une "perte d'efficacité". Elles regrettent que les échanges par courriels soient privilégiés au détriment d'entretiens téléphoniques personnalisés et rapides. Cette dématérialisation a engendré des coûts supplémentaires important (achat de terminal dédié, frais de carte bancaire) et contribué à complexifier les procédures au lieu de les faciliter… Sans parler des difficultés d'accès à internet dans certains territoires.
Cet éloignement renforcé par la dématérialisation est source d'incompréhensions. 55% des collectivités interrogées regrettent par exemple que leur trésorerie ne les contacte pas directement en cas de rejet de leur mandat de dépense ou de titre de recettes.
Un réseau de buralistes à élargir
Les collectivités voient plutôt d'un bon œil la solution de paiement en ligne PayFip qui, depuis 2018, permet aux usagers ou professionnels de payer directement leurs fractures (pour les cantines, les crèches, les hôpitaux, par exemple). Elles proposent cependant la suppression du coût du "commissionnement carte bancaire". Les collectivités sont également favorables à ce que soit étendu le réseau des bureaux de tabac partenaires dans lesquels il est possible de payer ses factures de cantine, de crèche, ses impôts ou ses amendes, que ce soit en espèces ou par carte bancaire.
Les collectivités font enfin valoir le besoin d'une amélioration de la fiabilité des bases cadastrales, qui servent de support à la fiscalité locale. Or l'outil Gérer mes biens immobiliers (GMBI) a permis une "optimisation des informations" mais "il ne permet pas de pallier les difficultés constatées par les collectivités en matière de fiabilisation des bases cadastrales et de taxes d’aménagement".
Malgré toutes ces difficultés, la DGFiP doit rester le "partenaire privilégié" des maires "pour assurer un service public efficace et de proximité", souligne l'AMF qui s'inquiète des orientations prises dans le projet de budget en cours de discussion. "Le maintien de la qualité du service est un enjeu d’actualité pour les maires, à l’heure où le PLF pour 2025 prévoit une nouvelle baisse des effectifs de la DGFiP, administration qui a déjà vu ses effectifs baisser de 30.000 ETP depuis 2008". Selon un rapport sénatorial publié en début d'année, "79.000 agents de la DGFiP sont affectés au sein de son réseau déconcentré, soit 85% de ses effectifs totaux (environ 93.000 agents)".