Politique de la ville - Réforme de la politique de la ville : un projet de loi en Conseil des ministres, en plein été
Le projet de loi relatif à la ville et à la cohésion urbaine est prêt. François Lamy le présentera en Conseil des ministres le vendredi 2 août prochain, pour un vote espéré avant la fin de l'année 2013 au plus tard. "Il faut que les maires et présidents d'intercommunalité aient à leur disposition toutes les armes et les dispositifs avant les élections municipales", calcule le ministre délégué à la Ville. Il faut aussi poser les jalons avant le projet de loi de finances pour 2014.
Le texte est court, une vingtaine d'articles, mais il est indispensable pour cadrer la nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville en général, et les futurs contrats de ville en particulier, y compris les sources de leur financement. Il permettra de répondre à l'objectif affiché de concentrer les efforts et les moyens de l'Etat : de passer de 2.500 Cucs à 1.000 quartiers "prioritaires" et de 750 ZUS à 200-250 quartiers "très prioritaires".
1.000 quartiers prioritaires, 1 seul critère
La liste des 1.000 quartiers prioritaires sera connue dans le courant de l'automne, avant la promulgation de la loi. Le "pragmatique" ministre de la Ville, comme il se définit lui-même, ne s'embarrasse pas de ces chevauchements de calendrier. Il envisage sans soucis de remodifier la liste des quartiers prioritaires si la loi en change les critères. Pour le moment, son texte en prévoit un seul : le revenu des habitants (*).
Toutefois, à niveau de revenu égal par habitant, les dotations de l'Etat par habitant ne devraient pas obligatoirement être identiques. Elles seraient en effet modulées en fonction de la capacité financière des collectivités concernées... et de leur bonne volonté en matière de solidarité locale. C'est une idée formalisée dans un rapport du député François Pupponi : moduler les subventions de l'Etat en fonction du degré de péréquation intercommunale dans les communautés d'agglomération ou communautés de communes, et de conditionner ces subventions à la mise en place d'une dotation de solidarité communautaire (voir notre article ci-contre du 21 juin 2013). Le projet de loi en poserait le principe, avant d'entrer dans le détail en PLF.
Un contrat de ville "unique et global"
Le projet de loi définira les futurs contrats de ville. La nouvelle génération de contrats de ville 2014-2020 sera "à caractère unique et global". Les contrats s'appuieront sur quatre piliers : "le social dans son acception large", l'urbain, l'économique et l'environnemental (décision 22 du CIV). Ils mobiliseront les crédits spécifiques de la politique de la ville, les moyens de droit commun de l'Etat et des collectivités territoriales. Leur portage sera intercommunal, "pour permettre aux quartiers populaires de réintégrer les dynamiques d'agglomération, avec une mutualisation des fonctions d'ingénierie", précisait le CIV. Les maires resteront signataires des contrats de ville et leur rôle en matière de "proximité" sera valorisé d'une manière ou d'une autre.
Les contrats de ville seront également signés par les conseils généraux et les conseils régionaux, les procureurs de la République, les recteurs, les directeur territoriaux de Pôle emploi, les agences régionales de santé (ARS), les CAF, ainsi que d'"autres partenaires institutionnels et de la société civile".
Sans oublier les habitants, puisque l'idée de "coconstruction" devrait être gravée dans le marbre de la loi, pour les associer véritablement à l'élaboration et au suivi des contrats, selon des modalités inspirés du rapport de Mohammed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué, par exemple via le concept de "tables de quartier" (voir notre article ci-contre du 9 juillet 2013).
Un deuxième plan national de rénovation urbaine à 20 milliards d'euros
Comme la liste des 1.000 quartiers prioritaires, celle des 230 quartiers "Anru 2", sera également connue en septembre et pourrait s'"affiner" après le vote de la loi. Etablie non plus par appel à projets mais par l'Etat (l'Anru et les préfets), elle comprendra environ 200 quartiers de métropole et 30 quartiers d'Outre-Mer.
Le programme national de rénovation urbaine avait mobilisé 44 milliards d'euros (dont 12 milliards de l'Anru) pour 500 quartiers. Le deuxième plan national de rénovation urbaine s'appuiera sur les 5 milliards annoncés le 9 juillet par Jean-Marc Ayrault, soit 20 milliards d'euros avec l'effet levier escompté (voir notre article ci-contre du 11 juillet 2013).
Le règlement général de l'Anru sera révisé. Le ministère compte introduire de nouveaux modes de financement, qui pourraient impliquer davantage le secteur privé et qui, là encore, moduleraient la subvention Anru en fonction de la capacité de financement des collectivités concernées. Il est également envisagé de généraliser l'exercice de la maîtrise d'ouvrage par l'Anru dans certains quartiers en rénovation, par exemple sur la réalisation d'espaces publics, afin d'accélérer la mise en oeuvre des opérations.
"La logique du droit commun, je la vois au niveau local"
Mobiliser le droit commun pour les quartiers est un voeu pieux au moins aussi vieux que la politique de la ville elle-même. Une circulaire de Jean-Marc Ayrault envoyée fin novembre aux ministres était une première étape pour lui donner corps. Le Premier ministre leur demandait d'élaborer chacun, avant le CIV, une "convention d'objectifs pour les quartiers populaires", pour la période 2013-2015, avec leur collègue François Lamy (voir notre article ci-contre du 5 décembre 2012). A ce jour, sept conventions ont été signées - toutes après le CIV - : avec le ministère des Sports le 4 avril (voir notre article du 5 avril 2013), avec celui des affaires sociales le 19 avril (voir notre article du 23 avril 2013), le 25 avril avec le ministère du Travail (voir notre article du 25 avril 2013), début juin avec les Transports (voir notre article du 10 juin), ainsi qu'avec la Justice, la Défense (ministère délégué aux Anciens combattants) et le Droit des femmes.
Désormais, "la logique du droit commun, je la vois au niveau local", espère François Lamy, qui a pu constater, en préparant les conventions signées et à venir, combien "les administrations centrales ne sont pas organisées pour s'occuper des quartiers prioritaires". Exception faite de la convention avec le ministère du Travail qui a acté la création de 10.000 "emplois francs" en trois ans, l'ambition de porter de 17% à 30% la part des jeunes des quartiers bénéficiaires des emplois d'avenirs et l'engagement que sur les 2.000 nouveaux recrutements prévus chez Pôle emploi, 400 seront affectés spécialement dans les quartiers.
La réforme de l'éducation prioritaire à la peine
D'autres ministères, pourtant concernés par la politique de la ville, traînent des pieds : l'Intérieur, l'Education nationale, l'Enseignement supérieur et la Recherche, l'Economie solidaire, le Tourisme, la Culture...
La convention avec le ministère de l'Intérieur serait signée quand le gouvernement sera au clair sur sa politique d'intégration et son "dispositif de gouvernance" pour y répondre. Ce qui peut prendre un peu de temps…
Très délicate sera la convention avec l'Education nationale. Concernant les créations de postes d'enseignants, François Lamy aimerait que 25% des 60.000 nouveaux postes, promis par François Hollande sur le quinquennat, soient fléchés vers les quartiers, ce que le ministère de Vincent Peillon serait peu enclin à accepter. Il est vrai qu'il faudrait d'abord savoir de quel "quartier" on parle. Et là, pourraient se heurter deux conceptions de la géographie prioritaire, l'une dessinée par l'Education nationale, l'autre par la Ville : un scénario que François Lamy redoute évidemment. Les Assises de l'éducation prioritaire, programmées par les deux ministères en novembre prochain (voir notre article ci-contre du 24 juillet 2013), seraient l'occasion d'annoncer et de formaliser une doctrine commune.
Valérie Liquet
(*) Plus exactement : les quartiers prioritaires seront ceux dont la population affiche des revenus inférieurs à 60% du revenu fiscal médian de référence national (soit environ 11.000 euros par an), pondéré par le revenu fiscal local de l'unité urbaine. Des territoires, qui concentrent la pauvreté mais n'étaient pas jusque-là bénéficiaires de crédits de la politique de la ville, pourraient alors y prétendre, comme des quartiers de l'agglomération de Guéret (Creuse) et de celle d'Auch (Gers). Voir notre article ci-contre du 11 juin 2013.