Finances locales - Refonte de la DGF : l'hypothèse d'un "grand soir" s'éloigne
L'ambitieuse réforme des concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales voulue par le gouvernement pourrait bien se muer en réformette dans le projet de loi de finances pour 2016. C'est le sentiment que partageaient plusieurs élus et experts proches du dossier à l'issue d'une réunion, ce 19 mai, du groupe de travail du Comité des finances locales (CFL) dédié à la réflexion sur ce projet de refonte. Ils ont été témoins, disent-ils, du peu d'enthousiasme manifesté par les élus locaux membres de l'instance de concertation sur les finances locales.
Pourtant, la direction générale des collectivités locales (DGCL) a pris soin de ne pas évoquer la dotation globale de fonctionnement (DGF) "locale", qu'une majorité d'élus locaux rejettent parce que faisant selon eux la part belle à l'intercommunalité au détriment de la commune. Elle n'a même pas mis à l'étude cette proposition, qui semble donc enterrée.
Pour les élus locaux, plusieurs autres difficultés font cependant obstacle à la mise en œuvre dès 2016 de la réforme. D'abord, les perspectives de réduction des dotations. On sait que l'Association des maires de France, entre autres, conditionne l'engagement de la réforme à une renégociation du montant de la baisse (11 milliards d'euros entre 2015 et 2017). Pour les élus, ce n'est d'ailleurs pas la seule source d'instabilité : la réforme territoriale et l'éventualité d'une révision des valeurs locatives des locaux d'habitation sont d'autres facteurs d'évolution très importants à prendre en compte. Il sera probablement très difficile de mener de front tous ces chantiers, considèrent-ils.
Calendrier serré
Or le calendrier de travail très serré fixé au CFL ne simplifie pas les choses. Le groupe de travail consacré à la réforme de la DGF va en effet se réunir à quatre reprises d'ici début juillet. Par ailleurs, le Comité tiendra deux séances plénières, l'une le 30 juin et l'autre le 16 juillet. C'est au cours de cette seconde séance que le CFL remettra (ou non) ses recommandations sur la réforme.
Pour beaucoup, ce calendrier conduirait les élus locaux à prendre des arbitrages "à la va-vite". En tout cas, il serait trop court pour permettre de disposer de simulations suffisamment précises. Ce 19 mai, la DGCL a certes remis des simulations pour quatre des pistes de travail évoquées par la députée en mission, Christine Pires Beaune : la dotation universelle de fonctionnement, c'est-à-dire un minimum à vivre accordé à chaque commune et chaque EPCI à fiscalité propre ; les dotations pour charges (de centralité et de ruralité) et la dotation de transition. Mais ces simulations ne fournissent que des résultats d'ensemble pour 15 strates de communes. Des études complémentaires à partir d'un panel de communes seraient absolument nécessaires pour y voir plus clair, soulignent plusieurs experts, dont Laurence Tartour, chargée de mission finances locales à l'Association des petites villes de France (APVF).
Des charges de ruralité… dans les grandes villes !
Cette insuffisance actuelle des simulations n'aiderait pas les élus locaux à parvenir à un consensus sur les critères qui pourraient déterminer le calcul des nouvelles dotations. Par exemple, pour les simulations sur la dotation destinée à compenser les charges de centralité, la DGCL n'a retenu que le critère de la population. Les élus des collectivités concernées, en particulier les maires des villes petites et moyennes, le jugent largement insuffisant pour apprécier la réalité. "Les populations de Mende en Lozère et de Lambersart dans l'agglomération lilloise varient du simple au double. Pourtant, il existe bien une problématique de charges de centralité à Mende du fait notamment de la présence de la préfecture", souligne Armand Pinoteau, chargé de mission finances à l'association Villes de France.
En outre, la question du calibrage des dispositifs se pose. Or elle reste quasiment entière après la réunion de ce 19 mai : la DGCL a fixé le seuil d'éligibilité à la dotation pour charges de centralité à 500 habitants. Pour la dotation pour les charges de ruralité, elle a fixé le plafond… à 200.000 habitants. Surpris par ces hypothèses, les élus locaux préféreraient une répartition plus ciblée.
Pour la dotation universelle de fonctionnement, répartie en fonction du nombre d'habitants, les choses sont certes plus claires. La DGCL a présenté quatre scénarios (30, 40, 64, 42 et 80 euros). Où, alors, fixer le curseur ? "Entre 80 et 100 euros, ce serait raisonnable", estime Denis Durand, maire de Bengy-sur-Craon et proche de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). De tels montants seraient bien supérieurs aux 64 euros par habitant que les plus petites communes perçoivent actuellement chaque année.
Beaucoup de perdants
Si les communes devaient finalement recevoir ces 80 euros par habitant, la dotation universelle s'élèverait à 5,5 milliards d'euros (soit 52% de la dotation forfaitaire perçue par les communes en 2015). Avec ce montant, plus de 5.500 communes seraient gagnantes pour un montant total de 109 millions d'euros (en comparaison du montant de la dotation forfaitaire qu'elles ont touchée en 2015 et avant application de la baisse des dotations). Cela signifie qu'il y aurait une majorité de perdants parmi les 36.600 communes. "Le financement à enveloppe fermée s'apparente à un jeu de vases communicants", explique Laurence Tartour. Or, le nombre des perdants potentiels constitue évidemment un autre motif d'hésitation pour les élus locaux face à la réforme.
Compte tenu de toutes les difficultés, le pragmatisme commanderait de mettre en oeuvre la réforme de la DGF "par paliers", préconise Denis Durand. En commençant dès 2016 par la mise en œuvre de la dotation universelle de fonctionnement. "L'inscription d'une réforme globale pour l'année prochaine serait un peu plus envisageable si la loi posait les principes et prévoyait un exercice à blanc", estime pour sa part Armand Pinoteau.
Pour Christine Pires Beaune, la réforme se justifie par les écarts très importants de DGF entre les communes qui ne sont pas justifiés par des spécificités territoriales. L'écart moyen de dotation forfaitaire entre les communes est en effet de 75 euros par habitant, a précisé la DGCL.