Personnes âgées - Rapport Broussy : "Sortir les personnes âgées du ghetto médicosocial"
Rude début d'année pour les structures médicosociales ! Il y a quelques jours, le contrôleur général des lieux de privation de liberté les assimilait à des prisons ou, à tout le moins, à des "lieux de privation de liberté", et demandait que les maisons de retraite soient incluses dans son champ de compétence (voir notre article ci-contre du 26 février 2013). Aujourd'hui, l'un des trois rapports remis à Jean-Marc Ayrault en vue de préparer le futur projet de loi sur la dépendance, les assimile à des ghettos... Luc Broussy, auteur du rapport "L'adaptation de la société au vieillissement de sa population", estime en effet qu'il faut "sortir les personnes âgées du ghetto médicosocial". Des propos surprenants lorsque l'on sait que l'intéressé a été, durant douze ans, délégué général de deux organisations représentant les Ehpad privés. Si l'on y ajoute les récentes déclarations du chef de l'Etat et de la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie sur le coût excessif des maisons de retraite, force est de constater que les établissements d'hébergement pour personnes âgées traversent une mauvaise passe.
Un ensemble hétéroclite
Les trois rapports remis au Premier ministre le 11 mars - en présence de Marisol Touraine et de Michèle Delaunay - visent à "nourrir la réflexion du gouvernement, en vue de la préparation de la loi d'adaptation de la société au vieillissement". Ces trois documents forment un ensemble un peu hétéroclite et ont d'ailleurs fait l'objet de commandes séparées. Le premier - et le plus attendu - est celui de Luc Broussy, conseiller général du Val-d'Oise, sur l'adaptation de la société au vieillissement. Son sous-titre - "France : année zéro" - fera également grincer les dents des acteurs du secteur - collectivités territoriales comprises -, qui n'avaient pas non plus le sentiment de n'avoir rien fait depuis quelques décennies.
Le second rapport est celui du docteur Jean-Pierre Aquino. Il a été élaboré avec le concours de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et s'intitule "Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société". Enfin, le dernier document est l'oeuvre de Martine Pinville, députée de la Charente et parlementaire en mission auprès de la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie. Intitulé "Relever le défi politique de l'avancée de l'âge : perspectives internationales", il est centré sur les éléments à tirer des expériences étrangères. Localtis reviendra dans une édition ultérieure sur ces deux derniers rapports.
Quatre idées fortes
Le rapport de Luc Broussy est le plus ambitieux dans son postulat comme dans le champ couvert. Son auteur abuse d'ailleurs des formules quelque peu ampoulées - "La France est prête pour une réforme ? Non, prête pour une révolution !" - et n'hésite pas, dans une présentation théâtralisée, à expliquer à Michèle Delaunay ce qu'elle devra dire à ses collègues ministres. Ces excès formels n'empêchent pas le rapport de proposer souvent des constats et des pistes intéressants.
On en retiendra tout d'abord quatre idées fortes : le vieillissement est une chance pour la jeunesse et une opportunité pour la France ; la société française "peut s'appuyer sur des vieux... exceptionnels ! et de plus en plus nombreux" ; le maintien à domicile "doit devenir (enfin) une véritable priorité nationale assumée" et "à l'Etat un rôle d'impulsion ! A la société, l'action !".
Un diagnostic habitat-mobilité systématique
Fort de ce constat, assez largement partagé, le rapport "appelle à une prise de conscience, à un sursaut et à l'action". Son originalité est de s'intéresser davantage à "l'explosion [du nombre] des personnes âgées valides" dans les prochaines années, plutôt que de reprendre les considérations habituelles sur la montée en puissance de la dépendance.
Le rapport déroule ensuite dix chapitres thématiques abordant chacun un aspect de cette adaptation de la société au vieillissement. Sur le logement, par exemple, la mesure-phare consiste en la mise en place systématique - aux alentours de 75 ans - d'un diagnostic "habitat-mobilité", permettant de décider si le logement est adaptable ou s'il convient d'en changer. Cette mesure aurait pour corollaire le lancement d'"un vaste programme d'adaptation des logements". Sur la politique de la ville et l'animation des quartiers, le rapport suggère notamment de former les gardiens d'immeubles au repérage des situations d'isolement ou de difficultés ou encore d'établir un "état des lieux" de la situation des logements-foyers. Même approche pragmatique pour la politique de la ville, pour laquelle "il s'agit d'abord de sensibiliser les élus, communaux et de plus en plus intercommunaux, afin qu'ils utilisent les différents documents de planification urbaine pour permettre à leur territoire de répondre à ces nouveaux défis". En pratique, cette instauration d'une ville "accessible et adaptée" passe par la mise en accessibilité des lieux publics, l'accès aux transports, la sécurisation des parcours pour piétons, l'adaptation du mobilier urbain. Autant de thèmes sur lesquels la loi Handicap du 11 février 2005 a largement ouvert la voie.
Cette dernière a également apporté des avancées majeures en matière de transports. Le rapport y ajoute d'autres aspects comme la prévention des accidents frappant les piétons âgés ou le développement du transport accompagné, du transport à la demande et du transport avec services. A noter au passage : le rapport se prononce contre l'examen systématique et les "stages de réactualisation" pour les conducteurs âgés.
Politique des territoires : en attente de propositions
Sur la politique des territoires - autrement dit, l'écart entre les 15,7% de plus de 60 ans en Seine-Saint-Denis et les 34,7% dans la Creuse -, le rapport est moins convaincant. S'il dresse un tableau très clair des constats et des enjeux, ses propositions sont moins concrètes, à l'image de l'"obligation renforcée de solidarité entre les territoires", dont on cerne mal le contenu. De même, le chapitre consacré aux effets du vieillissement sur la croissance, l'épargne et l'emploi s'en tient surtout aux constats. On en retiendra néanmoins le fait - déjà connu - que "le secteur de l'aide aux personnes âgées, est d'ici 2020 celui qui créera, de loin, le plus d'emplois en France (+350.000)", ainsi que la proposition d'élaboration d'un "pacte des entreprises en faveur de l'économie du vieillissement" (dont le contenu reste toutefois à préciser). A noter aussi : plutôt que le prêt viager hypothécaire, le rapport propose de développer "une formule de viager mutualisé et impulsé par l'Etat".
Les gérontechnologies, une filière d'avenir
Le ton redevient plus dynamique avec la question des gérontechnologies, pour lesquelles le document plaide en faveur d'une "vraie filière industrielle française". Jamais à court de formules, le rapport estime même qu'il "doit marquer l'an I de cette révolution technologique et numérique en direction des âgés". Plusieurs mesures devraient y pourvoir, comme le lancement de grandes campagnes d'information sur l'usage des gérontechnologies ou celui d'un plan pour la généralisation de la téléassistance. Même objectif avec la création d'une Agence nationale des technologies de l'autonomie, rattachée à la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). Avec à la clé une nouvelle formule choc - et que ne manquera pas d'apprécier la marque concernée : "L'I-pad plutôt que l'Eh-pad : un beau pari sur l'avenir."
Un chapitre original est consacré à "la personne âgée, élément essentiel de la famille et des politiques familiales". Il propose de "redéfinir le pacte familial", en y intégrant différents aspects : l'obligation alimentaire, l'aide aux aidants, le congé pour parent en perte d'autonomie, la lutte contre l'isolement... Le rapport se prononce clairement pour la suppression de l'aide alimentaire en matière d'aide sociale départementale à l'hébergement, et pour la reconnaissance juridique du rôle des grands-parents. Il demande aussi la mise en place d'un "plan national cohérent et suivi d'aide aux aidants".
Un autre chapitre aborde les discriminations et les représentations de la vieillesse. Il se montre plutôt favorable à l'émergence d'un droit spécifique, avec diverses mesures comme la lutte contre la "démutualisation" des personnes âgées (exclusion de la protection assurantielle), l'instauration d'un "droit au suivi individualisé" ou la réforme des Coderpa (comités départementaux des personnes âgées), qui souffrent aujourd'hui "d'un manque total de visibilité et d'efficacité".
Une gouvernance locale en suspens
Enfin, le dernier chapitre aborde la question de la gouvernance et se prononce - comme d'autres avant lui - en faveur d'une logique de guichet unique. Il plaide pour un renforcement de la transversalité de l'action de l'Etat, avec la mise en place d'une délégation interministérielle à l'adaptation de la société française au vieillissement de sa population. De son côté, le guichet unique s'incarnerait dans la création de "maisons de l'autonomie" (MDA) - par transformation des MDPH -, une démarche au demeurant déjà engagée par certains départements. Le rapport conforte également la CNSA dans son rôle de chef d'orchestre national, en accroissant au passage ses missions. Curieusement, le rapport ne dit en revanche pratiquement rien de la gouvernance locale. il suggère néanmoins de coordonner les institutions par la création d'un "comité départemental de solidarité pour l'autonomie", placé auprès de chaque MDA, et par celle de territoires de mise en oeuvre de la politique de l'autonomie qui seraient à la fois infradépartementaux mais supracommunaux. Une façon comme une autre de pousser à la généralisation des centres intercommunaux d'action sociale.