Droit et TIC - Quinze recommandations du Sénat pour protéger la vie privée à l'ère numérique
"Nous n'étions pas des spécialistes de l'internet et je pense que c'était une bonne chose compte tenu du sujet", a lancé le sénateur de la Marne, Yves Détraigne, à l'occasion de la présentation du rapport sur le respect de "la vie privée à l'heure des mémoires numériques", ce 3 juin à Paris. Après 5 mois de déplacements et d'auditions, le groupe de travail de la commission des lois du Sénat, également composé de la co-rapporteur Anne-Marie Escoffier (sénatrice de l'Aveyron), dresse un bilan des principales menaces qui pèsent sur les libertés personnelles. "Depuis les attentats du 11 septembre, les citoyens, au nom de la lutte anti-terroriste, sont dans une plus grande acceptation des moyens de surveillance numérique", a expliqué le sénateur. Résultat : le déploiement de la vidéosurveillance, la conservation des données des voyageurs (Passenger Name Record ou PNR) ou des traces de communications (fournisseur d'accès internet, listing téléphone, etc.), la multiplication des fichiers de police (58 en France !) et leurs interconnexions croissantes grignotent peu à peu les espaces d'intimité. En outre, la facilité et le confort qu'offrent les TIC entraînent "un manque de vigilance" des utilisateurs, notamment concernant le développement de la géolocalisation, du télépéage et des puces RFID. Enfin, l'adhésion à des réseaux sociaux, de type Facebook ou Myspace, conduit les utilisateurs à livrer sur la Toile des "informations universelles dans le temps et dans l'espace". Celles-ci suivent l'individu à la trace et peuvent ressurgir au moment inopportun d'un entretien d'embauche ou d'un procès. Ce constat posé, les sénateurs font le point sur le cadre juridique existant : loi Informatique et Libertés modifiée en 2004, directive européenne de 1995, droit au silence des puces confirmé lors du Conseil des ministres européens de novembre dernier à Nice. Ils listent ensuite les nouvelles questions soulevées par internet : effacement quasiment impossible et "pratique anonymement intrusive" des applications gratuites en ligne où le "profilage fait partie intrinsèque du modèle économique" (données personnelles contre usage du service), par exemple.
Redevance, maillage territorial, CIL et vidéosurveillance
Sur les quinze recommandations qui concluent le rapport, six concernent le renforcement des moyens de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). A la suite des demandes réitérées de son président Alex Türk, les sénateurs veulent créer une redevance "de faible montant" pour tous les grands organismes publics (dont les grosses collectivités) et privés qui traitent de données à caractère personnel. Ces nouveaux moyens permettraient notamment de déconcentrer l'action de la Cnil en déployant neuf antennes interrégionales sur le territoire. Les sénateurs souhaitent aussi rendre obligatoire les correspondants informatiques et libertés (CIL) pour toutes les structures publiques et privées de plus de 50 salariés. Sur les 5.000 CIL actuellement dénombrés par la Cnil, seuls 11% travaillent au sein des administrations. "Quelques villes s'en sont dotées mais nous souhaitons que cette pratique se diffuse davantage, notamment dans les grandes collectivités. Car nous avons constaté que la présence d'un CIL rendait l'organisation plus sensible aux questions des données personnelles", a confirmé Anne-Marie Escoffier. Par ailleurs, les sénateurs recommandent de réunir sous la seule autorité de la Cnil les compétences d'autorisation et de contrôle en matière de vidéosurveillance. Ils sont ainsi cohérents avec l'avis de leur commission sur le sujet, publié en décembre dernier. "Nous avons conscience que ce n'est pas tout à fait en phase avec ce que veut le gouvernement. L'examen prochain de la Lopsi (loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure) sera l'occasion d'en débattre et d'avancer dans cette direction", a conclu le sénateur Détraigne.
Luc Derriano / EVS