Fiscalité - Quels remèdes face à des impôts locaux toujours aussi inéquitables ?
Pour le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), la fiscalité locale, qui représente un montant de 102,5 milliards d'euros, cumule les défauts. Dans un rapport de près de 700 pages dévoilé le 6 mai par son président, Didier Migaud, l'organisme associé à la Cour des comptes juge cette fiscalité "inadaptée à la situation économique et sociale contemporaine", "bien peu lisible pour le contribuable local" et d'une efficacité moyenne sur le plan économique. Mais de tous les défauts, le pire est "l'absence d'équité" entre les contribuables locaux. Ainsi, la taxe d'habitation frappe proportionnellement davantage les ménages modestes ou moyens que les ménages les plus aisés. Quant aux taxes foncières, elles peuvent avoir les mêmes effets, mais dans des proportions encore plus grandes, du fait de l'archaïsme des valeurs cadastrales qui déterminent leur assiette.
Inéquitable, la fiscalité locale l'est aussi entre les collectivités. Le potentiel fiscal, c'est-à-dire le produit théorique que recevrait la collectivité si elle appliquait les taux d'imposition moyens nationaux des taxes locales varie du simple au quadruple entre les départements et de un à mille entre les communes ! La péréquation destinée à amoindrir les écarts de richesses entre les collectivités ne corrige qu'à peine la moitié de ces disparités. La faute en revient notamment, rappelle l'ancien président de la communauté d'agglomération grenobloise, aux dotations compensatrices qui, pourtant réclamées par les élus locaux eux-mêmes, perpétuent les inégalités, permettant par exemple à des villes comme Lourdes ou Vichy - qui ne sont pas les plus pauvres - de toucher la DGF par habitant la plus forte de France.
Des bases fondées sur la valeur vénale
Les solutions à apporter "sont très complexes", estime le CPO, mais "elles ne sont pas impossibles". Certains remèdes "trouvent très vite leurs limites", ajoute-t-il. Notamment la spécialisation des impôts par type de collectivité, une option choisie par le gouvernement dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle. "Le panachage de plusieurs impôts permet aux collectivités d'avoir des ressources stables", souligne le CPO. Selon l'instance, il faut privilégier la modernisation des impôts existants, déjà engagée par la réforme de la taxe professionnelle. Ce qui passe avant tout par une réforme de leurs bases. L'introduction d'une part de revenu plus significative qu'aujourd'hui dans l'assiette de la taxe d'habitation rendrait celle-ci plus progressive. La modernisation des taxes foncières nécessite, quant à elle, une révision des valeurs cadastrales, dont l'urgence a déjà été soulignée par la Cour des comptes dans son rapport annuel de février 2009. Ce chantier, que le gouvernement affirmait l'an dernier vouloir ouvrir en 2010 (voir ci-contre notre article du 3 mai), devrait prendre pour référence la valeur vénale des biens, préconise le CPO, considérant ce type de données comme "plus équitable" et "pratique en termes de gestion" que les valeurs locatives fixées par l'administration. Les nouvelles références seraient revalorisées tous les cinq ans, ce qui permettrait de limiter à la fois les situations d'injustice fiscale entre les contribuables et le risque d'une variation trop brutale des bases fiscales des collectivités.
Pour réduire les inégalités entre les collectivités, le CPO appelle au renforcement de la péréquation, en s'appuyant sur les instruments existants mais en veillant en particulier à concentrer les effets de ces instruments sur un plus petit nombre de collectivités qu'aujourd'hui. Plutôt innovante et ambitieuse est sa proposition d'instaurer un seuil minimal de richesse garanti aux collectivités les plus pauvres, comme cela existe en Allemagne, où les Länder se voient garantir un niveau de recettes par habitant égal à 95% du niveau moyen national.
Ne pas se focaliser sur l'autonomie fiscale
Une autre piste trouve grâce aux yeux des magistrats financiers. Elle consisterait à recourir davantage, "à long terme", à des impôts partagés entre l'Etat et les collectivités, à l'exemple de ce qui existe, là encore, en Allemagne. Ces impôts devraient avoir un rendement élevé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui de la taxe intérieure sur les produits pétroliers que l'Etat partage avec les régions. Pour le CPO toutefois, la CSG ne devrait pas être concernée, contrairement à ce que réclame notamment l'Assemblée des départements de France. La CSG a vocation plutôt à être "entièrement dédiée au financement des régimes de Sécurité sociale". Favorable à ces impôts partagés, le nouveau président de la Cour des comptes ne se pose pas en défenseur absolu de l'autonomie fiscale des collectivités, déjà fortement limitée par la suppression de la taxe professionnelle. En prenant pour exemple divers pays de l'Union européenne, dont plusieurs Etats fédéraux, il affirme que "la réalité des pouvoirs n'est pas toujours dépendante de l'autonomie fiscale".
Si cette déclaration pourrait donner lieu à maints débats chez les élus locaux, ceux-ci devraient se réjouir de retrouver dans le rapport des idées qu'ils mettent en avant depuis plusieurs années, dont le partage d'impôts nationaux dynamiques. D'ores et déjà, pour Alain Rousset, le président de l'Association des régions de France (ARF), ce rapport "rétablit la vérité" en confirmant que la hausse des dépenses des collectivités résulte d'un désengagement de l'Etat et des transferts de compétences et "conforte la nécessité d'une réforme en profondeur de la fiscalité locale". Quant à l'Association des petites villes (APVF) approuve elle aussi dans un communiqué le "constat" dressé par le CPO et approuve notamment l'idée de "mieux prendre en compte les capacités contributives des contribuables", comme celle d'"instaurer un objectif de réduction des inégalités entre collectivités". Même son de cloche par la voix de Jean-Pierre Balligand, actuellement membre de la mission d'information de la Commission des finances de l'Assemblée sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités, lui aussi très intéressé par cette idée d'un vote annuel d'un objectif de réduction des inégalités. Pour le député de l'Aisne, "les parlementaires doivent se saisir dans les meilleurs délais" de cette proposition.
Thomas Beurey / Projets publics