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Fiscalité locale - Le gouvernement tarde à engager la révision des valeurs locatives

Eclipsée par les préoccupations sur les déficits publics, la révision des valeurs locatives qui devait se préciser en 2010 semble avoir disparu de l'agenda gouvernemental. Les maires et présidents de communautés sont assez divisés sur la méthode à suivre. Le sénateur Alain Lambert, qui s'est récemment penché sur le sujet, insiste sur la nécessaire "acceptation citoyenne" de la réforme.

La révision des bases foncières des impôts locaux annoncée à plusieurs reprises par le gouvernement comme l'un des chantiers de l'année 2010 est-elle toujours d'actualité ? "Aucune décision n'est arrêtée", déclare-t-on au cabinet du ministre du Budget, François Baroin, où l'on ne peut pas "apporter de précisions". L'entourage d'un député de la commission des finances, d'habitude très bien informé, confirme qu'il n'a "aucune information". Et se demande tout bonnement si la réforme n'a pas été "enterrée".
Un groupe de travail composé d'élus locaux et de représentants des ministères devait être installé en février dernier. Mais à quelques jours seulement de la réunion, le ministre Eric Woerth l'avait annulée, évoquant simplement un "problème d'agenda". A l'Assemblée des départements de France, on préfère privilégier cette hypothèse : "Le courrier que nous avons reçu évoquait le report de la réunion." D'ailleurs, les services du ministre du Budget de l'époque, Eric Woerth, réaffirmaient dans une réponse à un parlementaire, publiée le 2 mars, qu'une "concertation préalable avec les représentants des collectivités territoriales" serait "ouverte très prochainement". Et que cette concertation organisée sous la forme d'un groupe de travail devrait "aboutir pour trouver une traduction législative en 2010". Depuis, il est vrai que la majorité a été battue aux élections régionales et que François Baroin a hérité du portefeuille d'Eric Woerth. De plus, le gouvernement semble donner la priorité à la préparation de la conférence nationale des déficits publics, qui doit se tenir le 20 mai. Les valeurs locatives devront donc attendre.
Si tant est que ce chantier soit toujours à l'ordre du jour, les élus locaux ne savent pas très bien, au fond, quelles sont les intentions du gouvernement. La ministre de l'Economie entretenait déjà le flou lorsqu'en mai 2008, en charge de la revue générale des prélèvements obligatoires, elle avait proposé aux élus locaux deux scénarios. Dans le premier, seul un aménagement des modalités existantes d'actualisation des valeurs locatives était envisagé. Le second scénario était plus novateur, en préconisant de retenir la valeur vénale des biens.
Aujourd'hui cependant, une chose semble à peu près claire : la réforme se ferait en deux temps. Dans le sillage de la suppression de la taxe professionnelle seraient traités d'abord les locaux commerciaux. La réévaluation des valeurs locatives des locaux d'habitation viendrait ensuite.

Transferts de charges fiscales

De leur côté, les représentants des collectivités ont avancé sur un certain nombre de pistes. "Les bureaux des associations d'élus locaux ont adopté une position commune dans laquelle est retenue la référence à la valeur vénale des biens", rappelle Philippe Laurent. Le président de la commission Finances de l'Association des maires de France reconnaît toutefois que le débat se poursuit, notamment chez les maires, certains penchant plutôt pour que l'on continue à prendre en compte la valeur locative fixée par l'administration. Une prise de position qui s'appuie, selon lui, sur le refus par ces élus d'assumer en propre la responsabilité de mener à bien la révision des valeurs cadastrales. L'expert des finances locales suggère plutôt que les propriétaires déclarent tous les cinq ou six ans la valeur vénale de leur bien. Outre qu'il serait "plus juste" que le système actuel, ce dispositif permettrait aux élus locaux de savoir de quelles ressources ils disposeront pour la durée de leur mandat.
Au contraire, à l'Assemblée des communautés de France (ADCF), on se dit clairement favorable à la prise en compte de la valeur locative. Et l'on mesure l'enjeu considérable du chantier : "Au moins 80% des ressources fiscales des communes et intercommunalités sont déterminées par les valeurs cadastrales." Le problème est qu'actuellement, l'obsolescence de ces données génère des "inégalités criantes" entre les contribuables, ce qu'a critiqué notamment la Cour des comptes dans son rapport annuel de février 2009 (lire notre article du 4 février 2009). L'ADCF appelle donc à un "rééquilibrage", à la suite de duquel il y aura forcément "des perdants et des gagnants" parmi les collectivités. "Il ne faudra pas reproduire le raisonnement qu'on a eu pour la suppression de la taxe professionnelle, en affirmant qu'il n'y aurait pas de perdants. On ne pourra pas compenser les reports de charges fiscales", prévient l'association des élus de l'intercommunalité. C'est sans doute, d'ailleurs, cette perspective qui conduit le gouvernement à ne pas se précipiter.

Thomas Beurey / Projets publics

 

Alain Lambert : "L'acceptation citoyenne est le paramètre déterminant de la réforme"

Le ministre délégué au Budget du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin explique comment, selon lui, il faudrait conduire la révision des valeurs locatives. Il s'appuie notamment sur les propositions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont il est le président.

Localtis : Quelles sont les trois ou quatre grandes règles que la révision des valeurs locatives devra, selon vous, respecter ?
Alain Lambert : La révision des valeurs locatives doit viser un objectif : l'amélioration de la justice fiscale et de l'équité devant la charge de l'impôt. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a dégagé un certain nombre de principes consensuels que devrait respecter la révision des valeurs locatives. A savoir : la conduite de la revalorisation des valeurs locatives cadastrales au niveau national ; le maintien d'un niveau constant de ressources pour les collectivités territoriales ; le lissage des effets de cette révision sur une période relativement longue.
A titre personnel, l'acceptation citoyenne de cette réforme fiscale me semble constituer le paramètre déterminant de sa réussite tant il est vrai que l'acceptation d'un dispositif fiscal dépend directement du ressenti des redevables quant à son équité, son efficacité et son rendement. La finalité assignée à la révision des bases ne doit pas non plus perdre de vue la nécessité de respecter le principe d'autonomie financière et fiscale des collectivités locales et d'éviter des transferts de charge importants entre contribuables et entre collectivités.

Le gouvernement n'est-il pas en train d'abandonner sans le dire la révision des valeurs locatives qui, compte tenu de ses répercussions, est peut-être considérée comme trop délicate ?
Au fil des ans, la nécessité de la révision des bases est passée du stade de la prescription à celui de l'urgence et constitue aujourd'hui un impératif absolu.
Le succès de sa mise en œuvre requiert un devoir de méthode incluant le calendrier de la révision, les modalités de lissage pour éviter des transferts de charge trop importants, le cadre géographique, et les acteurs de la réforme appelés à la mettre en œuvre.
Pour pallier les difficultés pratiques liées aux faibles moyens de l'administration fiscale, la mise en place d'un système déclaratif, qui se substituerait à l'actuel calcul forfaitaire basé sur les conditions du marché locatif de 1970, pourrait constituer une piste d'actualisation des bases plus souple et plus efficace plaçant les contribuables devant leurs responsabilités.

Propos recueillis par Thomas Beurey