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Culture - Quelles politiques culturelles à l'horizon 2030 ?

Dans un exercice inédit d'anticipation initié par plusieurs groupes de travail, l'étude "Culture et médias 2030 - prospective de politiques culturelles" trace différents scénarios liés aux évolutions des modes de vie et des pratiques culturelles, aux phénomènes de globalisation, à l'intervention publique... et à la place des différents acteurs. Dont celle des collectivités locales, dans un contexte de probable "montée en puissance concurrentielle des territoires".

Présentée le 22 mars par le département des études du ministère de la Culture, l'étude "Culture et médias 2030 - prospective de politiques culturelles" se veut un exercice innovant de réflexion et d'anticipation à moyen et long terme sur les enjeux et les évolutions de la politique culturelle, ainsi que sur la place des différents acteurs. Cet exercice inédit a été mené sous l'égide du département des études, de la prospective et des statistiques (Deps). La démarche trouve sa source dans la réflexion "France 2025", confiée par le gouvernement au Conseil d'analyse stratégique. Elle est aussi le pendant prospectif du volet commémoratif représenté par la célébration du 50e anniversaire du ministère de la Culture, en 2009. L'objectif affiché est de réfléchir aux réponses possibles à un certain nombre de grandes questions : quels facteurs détermineront l'évolution de la politique culturelle de l'Etat d'ici à 2030 ? Quelles conséquences auront le changement climatique, la mobilité, l'allongement de la durée de vie ou l'évolution des revenus sur la conservation du patrimoine, les visites de musées, le goût pour les concerts, la préférence pour les cultures numériques ou l'imprimé ? Quelles positions les industries culturelles et médiatiques nationales occuperont-elles sur les marchés du tout numérique ? Quels rôles l'Europe, les collectivités territoriales et l'Etat joueront-ils dans le domaine culturel ? Quelles pratiques seront dites culturelles dans deux décennies ?... Les éléments de réponse présentés dans l'étude sont issus de la réunion de plusieurs groupes de travail, mis en place dès 2009.

Un triple diagnostic

Le fruit de ces réflexions, conduites selon la méthode des scénarios divergents, repose d'abord sur un triple diagnostic, ou plus précisément l'identification de trois "dynamiques de mutation". La première est que la France n'échappe pas à la globalisation de la culture et des loisirs, ce qui sonne comme un enterrement de l'exception culturelle française, si souvent mise en avant au siècle dernier. Malgré ce rapprochement progressif avec "la polarisation anglo-saxonne de la culture et des loisirs culturels de masse", la France dispose d'un certain nombre d'atouts et de spécificités. Elle reste en effet une "puissance culturelle originale où se déploie, plus qu'ailleurs, un tourisme culturel dynamique tiré par le patrimoine monumental et muséal, et où se maintient une balance commerciale culturelle positive" (à l'image, par exemple, de la production cinématographique française).
Le second diagnostic posé par l'étude est que la révolution numérique est à la fois mondiale et pluridimensionnelle, ce qui oblige à rechercher de nouveaux équilibres face à la montée en puissance d'acteurs mondiaux. Enfin, le troisième scénario repose sur le fait que les impacts des transformations sociales sur les politiques et les pratiques culturelles sont majeurs autant qu'incertains. Cet enjeu recouvre notamment l'interaction entre culture et société, mais aussi la montée de l'individualisme et l'évolution rapide des pratiques et des modes de consommation culturels. Il repose largement sur le sentiment que la société française - comme celle des autres pays européens - est arrivée au terme d'un cycle et que "les usages et pratiques numériques, déjà largement répandus dans la population française, devraient devenir très largement dominants, certains de leurs traits pouvant alors amplifier la mutation déjà à l'oeuvre".

Rien n'est joué : quatre scénarios pour le futur

Face à ce triple diagnostic, l'étude retient quatre grands scénarios alternatifs, assortis de graphiques animés du plus bel effet - quoique pas toujours très signifiants - sur le site internet dédié au rapport. Comme indiqué plus haut, celui de "l'exception continuée" est sans doute le moins crédible, puisqu'il consisterait à faire évoluer les contenus et les modalités des politiques culturelles françaises "pour parvenir à maintenir un cadre d'objectifs identiques depuis plusieurs décennies". Dans une telle situation, l'intervention culturelle de l'Etat se trouverait prise en tenailles entre "la poursuite d'une globalisation qui menace le modèle d'intervention et de régulation de la culture et des médias mais peut fournir des opportunités" et "la montée en puissance concurrentielle des territoires autres que le territoire national et, au premier chef, les collectivités territoriales qui structurent fortement la vie culturelle".
Le scénario du "marché culturel" consisterait à laisser jouer à plein les grandes mutations économiques, géopolitiques et techniques (globalisation, marchandisation et numérisation) et "à limiter et marginaliser l'importance de la politique culturelle française et à banaliser les ressorts de la vie culturelle". Ce scénario est clairement celui d'un effacement progressif du rôle de l'Etat "au profit d'un renouvellement, mais surtout d'un renforcement des acteurs économiques de la culture".
Le troisième scénario est celui de "l'impératif créatif". Il passe par le lancement, par l'Union européenne, d'un "projet renouvelé de croissance durable articulant économie, culture, cohésion sociale et environnement, afin de lutter contre une tendance au déclin relatif". Cette démarche volontariste ferait de la culture un facteur de créativité au service de la croissance dans une économie de l'immatériel.
Enfin, le quatrième scénario est celui de la "culture d'identités", autrement dit une situation dans laquelle "l'identité, au fondement des politiques culturelles de l'Union européenne, de l'Etat, des collectivités territoriales, apparaît essentiellement plurielle". Il correspond à une démarche de repli, dans laquelle "l'Etat se concentre sur certains fleurons d'une 'culture française' et les collectivités territoriales, dans une logique fédéraliste, oeuvrent à une vitalité culturelle 'sociale' et communautaire, ancrée dans la vie des populations, selon une stricte segmentation".
Même si le rapport n'exprime pas de choix entre ces scénarios alternatifs, il apparaît néanmoins que la préférence va très clairement au troisième d'entre eux.

Des enjeux stratégiques

A partir de tous ces préalables - et quel que soit le scénario retenu -, l'étude formule, plutôt que des propositions concrètes, une vingtaine d'enjeux stratégiques  organisés eux-mêmes en trois grands thèmes. Le premier tourne autour de "l'empreinte culturelle de la France". Il recouvre l'élaboration d'une géostratégie culturelle (une sorte de version francisée du "soft power" américain), la reconnaissance des actifs immatériels culturels comme un enjeu stratégique à long terme et, enfin, le renforcement de l'Europe de la culture et des médias comme relais et plateforme. Le second de ces trois enjeux est déjà entré dans une phase de concrétisation avec la création, en 2007, de l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (Apie). C'est également le cas du troisième avec une nette montée en puissance de la réglementation européenne et la matérialisation de certains projets comme la bibliothèque numérique Europeana.
Le second thème est celui des nouvelles articulations entre offre et demande. Il recouvre différents enjeux, comme le fait de proposer des politiques d'offre en phase avec les mutations de la demande, la nécessité d'assurer la présence d'un espace public numérique culturel, la mise en synergie des politiques culturelles et industrielles ou encore la garantie d'un financement durable de l'écosystème culturel. Relèvent aussi de cette thématique le fait de réinventer et de relancer les politiques de publics ou la nécessité de renouveler l'action culturelle.
Enfin, la troisième thématique concerne "les transformations de l'Etat". Parmi les enjeux cités à ce titre figurent notamment les nouveaux modes de régulation à penser dans un environnement numérique et la nécessité d'inventer la régulation du travail artistique. Côté collectivités territoriales, l'étude suggère à l'Etat d'imaginer la régulation des nouveaux territoires des patrimoines et de partager l'animation culturelle des territoires. Ce dernier point suppose en particulier de "pouvoir développer, au sein de l'Etat, une faculté de structuration du système d'acteurs, au moins territoriaux et en partie du domaine marchand et non-marchand aux échelles locales, pour autant que l'Etat conserve les moyens d'être un interlocuteur légitime auprès des collectivités territoriales". Autres enjeux relevant de ce troisième thème : la définition d'un Etat culturel médiateur et intermédiaire, le renforcement de la notion d'expertise et la réinvention de l'Etat financeur de la culture.
En dépit des axes ainsi tracés, le débat n'est pas clos. Le site dédié à l'étude lance en effet une consultation publique, ouverte du 8 avril au 8 juillet 2011. Celle-ci doit permettre à chacun - "institutions publiques, collectivités, syndicats, organisations professionnelles, acteurs culturels, citoyens..." - d'apporter sa contribution et son éclairage à la réflexion engagée.