Habitat - Quartiers anciens dégradés : les heureux élus
Mais qu'est-ce donc qu'un "quartier ancien dégradé" ? C'est à cette question métaphysique qu'a répondu Benoist Apparu, le secrétaire d'Etat en charge du logement, en rendant publique, mercredi 9 décembre 2009, la liste des villes sélectionnées dans le cadre du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD). Outre cette annonce très attendue par les 87 villes qui s'était portées candidates au printemps, le secrétaire d'Etat a donné des pistes sur les moyens dont disposeraient les quartiers élus.
87 villes candidates, 25 projets sélectionnés, 15 sur liste complémentaire
L'article 25 de la loi Boutin posait deux critères alternatifs pour sélectionner les quartiers qui entreraient dans le programme : soit le quartier présente "une concentration élevée d'habitat indigne et une situation économique et sociale des habitants particulièrement difficile", "soit une part élevée d'habitat dégradé vacant et un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements". Pour aider le secrétaire d'Etat à sélectionner les projets, une commission technique a été nommée, présidée par l'ancien chef de cabinet de Christine Boutin, Alain Lecomte, et rassemblant tous les acteurs du logement.
Or, au-delà de la conformité ou non des dossiers aux critères posés par la loi, la commission a évalué l'"opérationnalité" des projets, a indiqué Marc-Philippe Daubresse, président de l'Anah. Un terme pour le moins ambigu : doit-on comprendre que l'engagement financier des collectivités a été évalué (et selon quelles modalités), qu'ont été privilégiées des villes qui disposaient déjà de compétences en montage de projet et donc ayant des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) ou des opérations Anru en cours ? Alain Lecomte a ajouté que certaines villes avaient été exclues car "étant en déclin économique" : même en cas de forte vacance et d'importance du parc de logements indignes, la "tension sur le marché locatif" n'était pas suffisamment significative.
Après combinaison de ces différents critères, Benoist Apparu a établi la liste finale : 25 projets sont sélectionnés, dont 11 avec un périmètre réduit (voir ci-contre le dossier de presse). Ces collectivités signeront des conventions avec l'Anah et l'Anru, pour des enveloppes d'aides comprises entre "10 et 15 millions d'euros". A cette liste principale, a été jointe une liste complémentaire de 15 villes qui disposeront d'enveloppes d'un à deux millions d'euros pour les aider en matière d'ingénierie.
Le lecteur intéressé pourra, par une étude attentive de ces listes, s'amuser à retrouver le nom des ministres ou personnalités politiques dont le fief comporte des quartiers anciens dégradés. Enfin, Alain Lecomte a tenu à féliciter les monteurs de projets : "La plupart des dossiers étaient très bien faits." Pour consoler ceux qui, en dépit des qualités techniques de leur dossier, auraient été écartés ?
Propriétaires privés : l'avantage fiscal Malraux pour tous
Le programme permettra prioritairement "de réhabiliter des logements privés, de construire des logements sociaux et d'aménager des équipements publics", a déclaré Benoist Apparu, ce mercredi. Pour réhabiliter des logements privés, détenus soit par des propriétaires bailleurs soit par des propriétaires occupants, les dispositifs classiques de l'Anah seront utilisés. Pas d'enveloppe supplémentaire donc, un simple ciblage des actions de l'agence sur ces opérations. Un nouveau ciblage pour l'agence, un mois après la déclaration ministérielle qui orientait ses interventions prioritairement vers les espaces ruraux (voir notre article du 23 octobre 2009).
Toujours sur le volet privé, l'efficacité de la procédure de mise en demeure de faire des travaux devrait être renforcée, sans modifier le droit existant : Benoist Apparu a évoqué la possibilité d'augmenter le montant des astreintes financières que les propriétaires doivent payer lorsque, mis en demeure de faire des travaux, ils ne les réalisent pas. Sous la forme peut-être d'un amendement dans la loi de finances rectificative pour 2009, qui sera discutée la semaine prochaine à l'Assemblée. Si les représentants des propriétaires privés peuvent ne pas être enchantés par cette disposition, ils se consoleront certainement assez vite en apprenant que l'avantage fiscal Malraux sera appliqué dans tous les quartiers sélectionnés - y compris ceux retenus au titre uniquement de l'ingénierie.
Cette disposition fiscale permet de réduire ses impôts de 40% du montant des travaux de restauration. Il suffira désormais, pour les immeubles situés en zone PNRQAD, que la restauration soit déclarée d'utilité publique (art. 27 de la loi Boutin) pour que les propriétaires aient droit à cette réduction d'impôt. Une incitation fiscale forte à investir dans ces quartiers.
"380 millions d'euros d'aides d'Etat, qui déclencheront 1,5 milliard d'euros de travaux"
Cet investissement privé devra être significatif : le PNRQAD bénéficiera de "380 millions d'euros d'aides d'Etat, sur 3 ans, qui, par effet de levier déclencheront environ 1,5 milliard d'euros de travaux", a déclaré Benoist Apparu. Comment arrive-t-on à ces 380 millions "d'aides d'Etat" ? En additionnant trois ressources : 150 millions d'euros provenant de l'Anah (ciblage de crédits existants), 150 millions d'euros provenant de l'Anru (crédits "supplémentaires", a priori du 1%), et 80 millions provenant du budget de l'Etat. Le tout réparti sur trois ans : 2010, 2011 et 2012. Une répartition qui ne manque pas de surprendre : premièrement, ce type d'opération de réhabilitation nécessite un minimum de 5 à 7 ans. Deuxièmement, le temps que les projets se montent, les enveloppes débloquées deviendront effectivement significatives à partir de fin 2011, voire 2012. Troisièmement et surtout, on ignore toujours, tant pour l'Anah que pour l'Anru, quelles seront les ressources des agences après 2012, le secrétaire d'Etat ayant exclu la semaine dernière de discuter des futures conventions triennales avec le 1% avant 2011 (voir notre article du 2 décembre 2009). Comment donc les deux agences vont-elles pouvoir s'engager à financer des projets alors qu'elles ignorent si elles disposeront des ressources nécessaires ? Benoist Apparu considère que la question ne se pose pas pour l'instant.
Cependant, le calendrier prévu - signature du décret établissant la liste des quartiers avant la fin 2009, signature des conventions au premier semestre 2010 et "engagement des premiers travaux dès le début de 2010" (dossier de presse, p.5) - devrait rapidement rendre cette question d'actualité.
Manque de temps ou manque d'argent ? Les oubliés
Autre surprise de la présentation ministérielle : les logements sociaux et places d'hébergement ont été quasiment absents des échanges. Une absence qui ne laisse pas de surprendre : le législateur a en effet fixé un objectif ambitieux au PNRQAD pour la période 2009-2016 : "production de 25.000 logements locatifs sociaux et 5.000 places d'hébergement ou logements de transition" (art. 25). Benoist Apparu a expliqué qu'il ne pouvait apporter de précisions sur la nature des logements concernés : tout serait adapté aux situations locales dans la convention signée avec les collectivités. Une seule règle : pas question de "boboïser ces quartiers".
Absence également de "l'accompagnement social des habitants" et de "la réorganisation ou la création d'activités économiques et commerciales, de services publics et de services de santé". Pourtant, députés et sénateurs avaient prévu que ces deux actions pourraient entrer dans le cadre du PNRQAD (art. 25). Pour le secrétaire d'Etat, le PNRQAD doit avoir un "effet de levier". Il incitera l'Acsé à intervenir sur les aspects sociaux et le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) à intervenir pour les commerces. Quant aux équipements qui seraient financés, les ambitions législatives ont été également nettement réduites : en ce domaine, le PNRQAD devrait financer "essentiellement de la voirie".
Hélène Lemesle
Référence : loi 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.