Quand les agents des impôts déconstruisent l'argumentaire sur les bénéfices de l'IA

Les agents de la DGFIP expriment un avis très réservé sur les bénéfices de l'intelligence artificielle, très loin des avancées émancipatrices vantées par les politiques. C'est ce qui ressort d'une enquête menée par le syndicat Solidaires Finances Publiques auprès de plus de 4.000 agents.

Gain de temps, limitation des taches fastidieuses, possibilité d'effectuer d'autres taches plus valorisantes… sont des arguments que l'on entend régulièrement quand il s'agit de vanter les mérites de l'intelligence artificielle. Autant d'arguments que déconstruisent les agents de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) dans le cadre d'une enquête à laquelle 4.199 agents ont répondu. Une administration particulièrement concernée par l'IA avec une dizaine de systèmes déployés, plus des trois quarts aidant aux contrôles fiscaux et à la surveillance du foncier.

Pas de temps dégagé

Ainsi plus de 85% des agents usagers de l'IA – qui ne représentent que 20% du panel – estiment que ces outils ne leur permettent pas de se consacrer à d'autres tâches plus intéressantes. Seuls 9% estiment que l'IA donne plus de sens à leur travail. En outre près de la moitié (48%) des agents interrogés considèrent que l'IA a augmenté leur charge de travail, seulement 11% estimant qu'elle l'a fait diminuer. En cause ? Les nombreux "faux positifs" que doivent traiter les agents. Des exemples ? une bâche bleue d'un agriculteur ou une place handicapée que l'IA aura prise pour une piscine comme le relevait le journal L'Indépendant  dans un article consacré à l'application Foncier innovant. Plus généralement, 51% des agents signalent que l'utilisation de l'IA dans leurs missions "génère des erreurs" dont 16% "beaucoup d’erreurs". C'est le cas du projet CFVR (Ciblage Fraude et Valorisation des Requêtes), où seulement 13% des droits et pénalités de recouvrement en 2022 étaient liés à ce projet qui a pourtant ciblé 52% des entreprises contrôlées.

Manque de transparence et d'explicabilité

Les agents pointent aussi le déficit d'accompagnement du changement. Près de 86% des agents utilisant l'IA dans leurs missions déclarent ne pas avoir reçu de formation. Une carence d'autant plus regrettable qu'elle alimente la défiance des agents. Ces derniers déplorent en effet "le manque de transparence et d'explicabilité" de systèmes souvent sous-traités à l'extérieur. Avec pour résultat des agents très déstabilisés quand les entités contrôlées leur demandent de justifier les demandes de documents… In fine, les répondants estiment que l'IA opère un transfert des charges et de responsabilités sur les usagers face à une administration de plus en plus pilotée par des algorithmes (lire notre article du 15 novembre 2024 sur la mise en garde de la Défenseure des Droits sur les risques de l'algorithmisation des services publics) .

L'alerte de la Cour des comptes

Certaines critiques se retrouvent en creux dans un rapport de la Cour des comptes sur l'IA à la DGFIP publié en octobre, à commencer par la nécessité d'un dialogue social et d'une prise en compte de la dimension RH du déploiement de l'IA. Le rapport recommande aussi de mettre en place des indicateurs de performance de l'IA, d'évaluer la qualité des réponses et des résultats attendus de l'IA, ainsi que le niveau de satisfaction des utilisateurs. Le Minefi est également incité à créer un incubateur spécifique et à internaliser/mutualiser les compétences. La Cour pousse enfin l'administration fiscale à se concentrer sur les processus pour lesquels l'IA présente des gains potentiels significatifs.

› Une dizaine de systèmes d'IA déployés aux impôts

Le ministère des Finances, et surtout la DGFIP, ont déployé une dizaine de systèmes d'IA, parmi lesquels on citera :

Foncier Innovant : utilise l'IA pour analyser des prises de vue aériennes afin de détecter des aménagements non déclarés (notamment les piscines et cabanes), en les comparant avec les données cadastrales et fiscales.

Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes (CFVR) : Ce système utilise des techniques d'analyse prédictive pour aider à la programmation des contrôles fiscaux.

VCI – Valorisation des cessions immobilières : C'est un outil de prédiction de la valeur vénale des biens immobiliers d'habitation, utilisé pour comparer avec les prix de vente déclarés.

IA CHD des collectivités : Un outil en cours de développement pour améliorer le contrôle hiérarchisé de la dépense des collectivités.

Suivi des amendements à la loi de finances : Un outil de suivi des amendements aux projets de loi de finances (PLF), qui mobilise l'analyse sémantique pour regrouper les amendements par familles, identifier les doublons et produire un résumé.

Econtact : Un outil de génération de texte pour aider à répondre aux demandes des usagers, basé sur les foires aux questions de la DGFIP et un échantillon de questions/réponses aux administrés.