IA et vidéosurveillance : une mission d'inspection invite à sortir du flou
Le ministère de l'Intérieur a publié les conclusions de la mission sur l'usage de Briefcam par la police nationale et la gendarmerie. Si la mission révèle un cas d'usage illégal de la fonction de reconnaissance faciale du logiciel, elle insiste surtout sur la nécessité de clarifier le cadre juridique. Elle appelle les pouvoirs publics à se saisir de l'opportunité du règlement européen sur l'IA pour faire évoluer le droit national.
Suite aux révélations du média Disclose sur une utilisation présumée illégale du logiciel d'analyse vidéo Briefcam par la police, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérald Darmanin, avait diligenté en novembre 2023 une mission d'inspection pour étudier l'usage de ce logiciel. Le rapport cosigné de l'inspection générale de la police nationale, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale de la gendarmerie nationale, daté de février 2024, a été rendu public début fin octobre.
Un logiciel utile mais peu utilisé
Ce rapport met tout d'abord en avant l'utilité de logiciels d'analyse d'images tels que Briefcam pour les forces de l'ordre – toutes missions confondues – confrontées à une masse croissante de données vidéo. Car la France compte aujourd’hui plus de 1.110.000 caméras de vidéoprotection autorisées dans l'espace public - 60% en zone police, 40% en zone gendarmerie et plus de 6.000 communes équipées – qui génèrent chaque jour des millions d'heures d'images que les humains peuvent difficilement analyser sans aide logicielle. À titre d'exemple, l'affaire Merah (2012) a représenté 35 téraoctets de données vidéo nécessitant à l'enquêteur un an et demi pour visionner manuellement 10.000 heures d'images.
La mission constate ensuite que l'usage de Briefcam dans la sphère de l'État – qui utilise l'IA pour rechercher, a posteriori, des formes, des objets, des couleurs de vêtements… - est resté très limité. 57 licences sont opérationnelles dans les services d'enquête de la police nationale et de la gendarmerie, pour un coût total de 1,3 million d'euros. Le rapport recense 563 utilisations de 2015 à 2023, dont seulement 177 par la police entre 2015 et 2023. Au total, cela représente 5,5 utilisations par licence sur l'ensemble de la période. Parmi les usages, les inspecteurs ont dénombré, à partir des déclarations des services, une seule activation (illégale) de la fonction de reconnaissance faciale, lors des émeutes de 2023, sans qu'aucune interpellation n'en découle. La mission explique la sous-utilisation de Briefcam par une méconnaissance du logiciel par les enquêteurs et un manque de formation. Le rapport pointe également des lacunes dans le processus d'acquisition et de déploiement du logiciel, qui s'est fait sans vision stratégique ni doctrine formalisée.
Se doter d'un cadre et d'une doctrine cohérente
L'absence de qualification juridique claire de Briefcam a aussi contribué à un usage flou du logiciel, resté pendant 8 ans "un objet juridique non identifié". Ce n'est que récemment qu'il a été officiellement reconnu comme un logiciel de rapprochement judiciaire (LRJ), impliquant une autorisation et un contrôle de l'autorité judiciaire pour chaque utilisation. S'agissant de la reconnaissance faciale, le rapport souligne que la fonctionnalité n'existait pas lors des acquisitions initiales de Briefcam.
Le rapport formule plusieurs recommandations pour améliorer le contrôle interne, la cohérence de doctrine et la sécurisation de l'utilisation des nouvelles technologies numériques. Il insiste sur le fait que "l'appréciation de l'efficience d'un tel logiciel ne peut se résoudre à une équation comptable entre son coût d'acquisition et le nombre de ses utilisations. Elle doit d'abord être évaluée au regard de sa pertinence intrinsèque dans la mission de police judiciaire". Il appelle à mettre en place "un dispositif-cadre législatif, innovant et ambitieux, d'expérimentation des nouvelles technologies" au bénéfice des forces de l'ordre. La mission souligne que le règlement européen sur l'IA, entré en vigueur l'été 2024, offre une opportunité d'évolution du droit français pour encadrer cet usage. Il plaide enfin pour mettre l'accent sur des solutions souveraines, Briefcam étant un logiciel israélien. Les enquêteurs sont du reste en cours d'équipement avec Système V, un logiciel souverain dédié aux enquêteurs de la police et de la gendarmerie, dépourvu de fonctionnalités de reconnaissance faciale et dont l'usage doit être étendu à la lutte contre la petite délinquance.