Reconnaissance faciale : la justice vient d'ordonner à une collectivité d'effacer les données personnelles obtenues par le logiciel Briefcam
Alors que le média d'investigation Disclose a révélé mardi 14 novembre que le ministère de l'Intérieur français a généralisé l'utilisation du logiciel Briefcam, pour lequel la reconnaissance faciale est une option, le tribunal administratif de Caen vient d'ordonner à une communauté de communes de Normandie d'effacer les données personnelles acquises par ce biais. Le même média recense une centaine de villes dont les polices municipales sont équipées de ce logiciel.
Le tribunal administratif de Caen a ordonné mercredi 22 novembre 2023 à une communauté de communes de Normandie d'effacer les données personnelles acquises via le logiciel de vidéosurveillance Briefcam. "Nous sommes très satisfaits car les investigations menées par le (média d'investigation, ndlr) Disclose ont permis de mettre en lumière des pratiques qui sont dissimulées et parfaitement illégales", a déclaré l'avocate de la Ligue des Droits de l'Homme et du syndicat de la magistrature Marion Ogier. Il s'agit selon elle "d'un succès pour faire cesser ces atteintes au droit au respect de la vie privée de chacun".
"Le problème c'est que l'on ne sait pas ce qu'il y a dans cet algorithme"
Ce jugement enjoint "la communauté de communes Coeur Côte Fleurie (parmi lesquelles figurent notamment Deauville, Trouville-sur-Mer et Villers-sur-Mer, ndlr) de procéder dans un délai de cinq jours (...) à l'effacement des données à caractère personnel contenues dans le fichier et dans toutes les copies, totales ou partielles, à l'exception d'un seul exemplaire placé sous séquestre à la Commission nationale informatique et libertés (Cnil)". D'après le guide d'utilisateur du logiciel Briefcam, ce dernier permet en dehors de la reconnaissance faciale "présentée comme optionnelle, d'identifier des personnes physiques en partant de leurs caractéristiques propres et personnelles telles que leur taille, couleur de peau, couleur de cheveux, âge, sexe, couleur des vêtements et apparence, mais aussi leur manière de se mouvoir, et de les suivre de manière automatisée". "Il s'agit d'un logiciel qui capte des données issues de la vidéosurveillance et qui les traite sur la base d'un algorithme. Le problème c'est que l'on ne sait pas ce qu'il y a dans cet algorithme", a expliqué Maître Ogier. "On a un algorithme qui raisonne sur des probabilités avec une erreur potentielle et la police va éventuellement prendre la décision d'interpeller des personnes sur la base de cette surveillance non réglementée". Le fait d'être "complètement à l'aveugle" sur un dispositif d'intelligence artificielle pour interpeller une personne pose selon elle "un gros problème en termes de droit au respect de la vie privée".
"Plus d’une centaine de villes" ont équipé leur police municipale
"Plus d’une centaine de villes" ont équipé leur police municipale avec l’application Briefcam, toujours selon Disclose qui cite son représentant en Europe, Florian Leibovici. Ce serait le cas de Nice, Roanne, Aulnay-sous-Bois, Perpignan ou Roubaix. Ou bien encore Vannes, Vitrolles, Vienne, La Baule, Vaulx-en-Velin, Deauville, Nîmes et Aix-les-Bains, selon un article de Next Inpact. Les visiteurs du parc d’attraction du Puy du Fou sont aussi scrutés par les algorithmes de Briefcam et bientôt les élus de l'Assemblée nationale, selon le média l'Informé.
Lundi 20 novembre, Gérald Darmanin avait annoncé avoir demandé une enquête administrative sur l'utilisation par les services du ministère de l'Intérieur de la reconnaissance faciale de ce logiciel de vidéosurveillance.
La Cnil, autorité indépendante gardienne de la vie privée des Français, a annoncé mercredi 15 novembre sur X le lancement d'une "procédure de contrôle" visant le ministère de l'Intérieur après la publication de l'enquête de Disclose.
Rappelons qu'en France, la reconnaissance faciale n’est autorisée qu’à de rares exceptions. Elle peut s’inscrire dans le cadre d'enquêtes judiciaires ou administratives "sanctionnant un trouble à l'ordre public ou une atteinte aux biens, aux personnes ou à l’autorité de l’État", comme le souligne un rapport parlementaire d’avril 2023 (notre article du 14 avril 2023) .