Quand France Simplification veut simplifier en partant du préfet

Depuis la création de France Simplification il y a trois mois, plus de 400 dossiers ont été remontés auprès de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Objectif affiché  : "débureaucratiser à tous les étages". Mais qu'en est-il vraiment ? Un webinaire organisé le 4 février a permis de rappeler les ambitions, les objectifs et l'impact de ce nouveau dispositif "destiné à simplifier en partant du terrain". 

Hasard de calendrier : un sondage présenté le 4 février au Sénat révélait qu'un peu plus de la moitié des élus locaux considèrent que les normes sont devenues plus complexes ces trois dernières années (voir notre article du 5 février 2025), tandis que la direction interministérielle de la transformation publique ( DITP) organisait le même jour un webinaire destiné à faire le point sur le dispositif France Simplification. Parmi les 2.000 internautes connectés, de nombreux acteurs de collectivités territoriales, avec une frustration palpable dans le fil de discussion : "Il s'agit encore du discours d'administrations centrales, aucun apport concret pour nous, petites communes !" ou bien encore "Invitez des maires à la table ronde pour davantage partir des besoins et pour évaluer les actions faites". 

Saisi par le préfet et seulement par le préfet

Retenu au Sénat, Thierry Lambert, le délégué interministériel à la transformation publique, réaffirmait pourtant (dans un enregistrement) que France Simplification "est un objet puissant de territorialisation de l'action publique". Créée sous l'éphémère gouvernement Barnier par la circulaire du 28 octobre 2024 (voir notre article du 4 novembre 2024) "pour débureaucratiser à tous les étages", le dispositif est inspiré de France Expérimentation. Concrètement, France Simplification est saisi par le préfet et seulement par le préfet lorsque ce dernier n'a pas pu apporter de réponse dans le cadre de ses attributions et de son pouvoir de dérogation. Les demandes présentées par les préfets sont instruites en continu par la DITP, en liaison avec les ministères concernés, avant d'être soumises, le cas échéant, à l'arbitrage du cabinet du Premier ministre, chaque mois.
Les préfets quant à eux, peuvent être sollicités par les services ou opérateurs de l'État, les collectivités territoriales, les associations et les acteurs économiques "dont le projet est ralenti ou bloqué sur le terrain".

Déjà plus de 400 dossiers 

"Depuis novembre 2024, 436 dossiers en 3 mois ont été remontés, dont 85 ont été résolus", se félicite Axelle Barrau, de France Simplification à la DITP. Tous ces dossiers doivent être expertisés. "Cela mobilise de nombreuses administrations centrales au service du terrain". À titre d'exemple, elle cite une interdiction de circulation des poids lourds dans le Val-d'Oise les jours fériés et le dimanche à laquelle une dérogation a pu être donnée pour autoriser les camions poubelles à circuler dans le parc Astérix ces jours particulièrement fréquentés par le public. 
Axelle Barrau insiste sur le caractère interministériel : "Le préfet joue un rôle d'intermédiation, un rôle pivot." "On instruit avec les équipes de France Simplification en sollicitant les équipes de la préfecture et si la solution n'est pas trouvée, un arbitrage a lieu tous les mois à Matignon", décrit-elle. 
En principe, cet outil permet de trouver une réponse dans un délai de 2 mois maximum mais il faut parfois plus de temps sur les dossiers plus complexes.  

Deux tiers des thématiques en lien avec la transition écologique

Le premier bilan de l'application de la circulaire du 28 octobre 2024 révèle que les deux tiers des thématiques sont en lien avec la transition écologique, l'urbanisme, le logement, l'agriculture, la pêche, les politiques jeunesse, la solidarité. "On a énormément de conflits d'usage, concernant le 'zéro artificialisation nette' ou bien encore l'application de la loi Littoral", illustre Axelle Barrau. "Est-ce qu'on favorise une implantation d'entreprise ou est-ce qu'on laisse en friche ?" D'autres sujets sont liés à la montée technologique dans le secteur de l'énergie : et de citer l'éolien, le photovoltaïque, les drones dans le domaine de l'agriculture (l'épandage par drones notamment), l'utilisation des biodéchets (une entreprise souhaitait utiliser des orties pour filtrer l'eau), les nouveaux usages de l'eau (eaux grises qui sortent des lavabos, des douches) et les sujets liés à la protection contre les inondations et les risques d'incendie (il faut pouvoir défricher mais parfois en défrichant, il y a des espèces protégées…). 

"Le tissu normatif dense peut brider les énergies locales"

Brice Blondel, préfet de la Charente-Maritime, confie que "le tissu normatif est dense et qu'il peut brider les énergies locales". Selon lui, "le pouvoir d'appréciation du préfet est extrêmement limité" et il "souhaite ardemment voir renforcer ce pouvoir" : "Les préfets doivent pouvoir prendre des risques et ne pas forcément être 'backés' par des analyses juridiques". Il témoigne du fait que son département a recouru à France Simplification pour sept projets (dont quatre arbitrés favorablement) dans des domaines très différents : projets de transition énergique photovoltaïque en autoconsommation collective (sur l’île d'Oléron, qui fait 27 km de long, une dérogation a permis à la communauté de communes de porter le projet sachant que normalement, la dérogation était autorisée jusqu'à 20 km de long) ; projets de simplification en matière de stockage et de réserve incendie pour les producteurs de cognac ; projets dans le domaine de la culture. Il cite également des difficultés liées à l'implantation de pistes cyclables en site classé. "À un moment donné, le règlement nous empêche d'aller plus loin. Or le bon sens voudrait que l'on dépasse ces blocages, d'où la saisine de France Simplification", témoigne Brice Blondel, qui estime que "ce n’est pas une chambre d'appel" mais bien un outil qui permet de faire dialoguer l'État et l'administration centrale et les administrations territoriales. 

Une "brique nécessaire"

Pour le préfet du Val-d'Oise, Philippe Court, "l'intérêt de la déconcentration c'est ça : peser dans un même lieu les avantages et les inconvénients". Ce dispositif n'est pas forcément différent des précédents mais c'est une "brique nécessaire dans le désencombrement de l'action simplificatrice". Il y voit trois avantages. Selon lui, le processus bureaucratique, qui s'inscrit dans le temps, va engendrer "un changement d'état d'esprit". Il voit d'un bon œil l'arrivée "d'un troisième larron dans le jeu du dialogue entre les administrations centrales et territoriales" et invite à avoir "la main qui tremble" au moment où sont écrites de nouvelles normes.