Projet de loi Urgence pour Mayotte : ce que prévoit le texte remanié en commission au Sénat
La commission des affaires économiques du Sénat a adopté ce 29 janvier avec modifications le projet de loi d'urgence pour Mayotte, qui prévoit pour l’essentiel des dispositions exorbitantes du droit de l’urbanisme pour accélérer la reconstruction de l'archipel, après le passage du cyclone Chido, et comporte des mesures sociales visant à accompagner l’économie mahoraise. Deux points de crispation ont en particulier suscité la plus vive attention : l’article 3, qui prévoit des dispenses d'autorisation d'urbanisme pour certaines structures modulaires (rétabli dans une nouvelle rédaction), et l’article 10, permettant l’adaptation par ordonnance des règles d’occupation et d’expropriation (dont la suppression est maintenue à ce stade).
Transmis au Sénat après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 janvier, le projet de loi d'urgence pour Mayotte a été adopté avec modifications par la commission des affaires économiques ce 29 janvier au matin. La veille, la commission des lois du Sénat (saisie pour avis, avec délégation au fond, des articles 2 et 10 à 15 du texte) et celle des affaires sociales (pour les articles 18 à 22, 27, 32 et 33) avaient adopté une première salve d’amendements. L’examen en séance publique doit se dérouler le 3 février prochain, avant la réunion d’une commission mixte paritaire (CMP) le 10 février. La future loi de programmation de Mayotte, annoncée dans les trois mois à venir, devra aborder de son côté les questions touchant aux inégalités sociales, à l’immigration et à l’habitat illégal.
La sénatrice Micheline Jacques (Saint-Barthélemy/LR), désignée rapporteure générale sur le projet de loi d’urgence, était en visite sur l’archipel la semaine dernière, pour rencontrer en priorité les élus ainsi que les acteurs économiques, les agriculteurs et la société civile. Approuvant les objectifs de ce texte d’urgence, la rapporteure a regretté que le projet de loi n’ait pas fait l’objet de davantage de concertation en amont avec les élus locaux mahorais. "Il m’a semblé inconcevable que l’on puisse décider ici à 8.000 km de mesures d’urgence sans les associer et sans s’adapter aux réalités du territoire", a-t-elle relevé. La commission s’est donc attachée à mieux associer la population et les élus à la reconstruction de leur territoire et mieux tenir compte des réalités locales, tout en sécurisant les dispositifs proposés "en vue d’éviter leur dévoiement, au détriment des efforts de lutte contre les bidonvilles". "Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, il faut reconstruite vite mais il faut aussi reconstruire mieux et adapter les outils aux réalités de Mayotte pour jeter les bases d’une reconstruction pérenne, qui se poursuivra ultérieurement dans le projet de loi de programmation", a insisté Micheline Jacques, jugeant "très important de pouvoir rassurer les élus et de les intégrer dans ce projet de reconstruction".
Coordination de la reconstruction de Mayotte et reconstruction des écoles
La rapporteure a donc estimé important de consolider la présence des élus au sein du nouvel établissement public dédié à la reconstruction de Mayotte, créé par l’article 1er, qui succèdera à l’Epfam (l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte). C’est un élu, en l’occurrence le président du conseil départemental de Mayotte, qui présidera son conseil d’administration. Les 17 communes de Mayotte seront bien parties prenantes de la gouvernance du nouvel établissement public, à travers des représentants des cinq EPCI. Et plutôt qu’une représentation des acteurs économiques, agricoles et sociaux mahorais au sein du conseil d’administration du nouvel établissement public, que prévoit la rédaction actuelle, il est proposé de confier un rôle consultatif au Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (Cesem), au Comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte et de créer un comité technique rattaché au conseil d’administration, composé d’experts de la construction.
Pour plus de lisibilité, à l’article 1er bis, plusieurs demandes de rapports - introduites dans le projet de loi par amendements portant articles additionnels à l’Assemblée nationale (articles 24, 25, 29 et 31) - sont fusionnées au sein du rapport d’activité du nouvel établissement public.
Concernant le financement par l’État de la reconstruction des écoles publiques, l’article 2 est modifié - par la commission des lois - de façon à ce que l’État ne puisse intervenir qu’à la demande des communes, pour "garantir le respect des libertés locales tout en conservant un dispositif souple, qui permettra l’engagement des travaux de reconstruction rapidement".
Adapter les règles d’urbanisme et de construction
Autre article posant de nombreux problèmes, l’article 3 - supprimé par l’Assemblée - qui prévoyait des dispenses d'autorisation d'urbanisme pour certaines structures de logement temporaire. Cet article est rétabli dans une nouvelle rédaction, en le recentrant sur les usages de bureaux pour les services publics, de salles de classe et de logement temporaire des fonctionnaires locaux et venus en renfort pour la gestion de crise.
Afin d’éviter de faire grossir encore les bidonvilles, la commission des affaires économiques a affermi le caractère temporaire des constructions dispensées d’autorisation d’urbanisme et prévu la remise en état du terrain à l’issue de l’occupation. Ces constructions ne pourront en outre pas s’implanter dans les secteurs d’habitat informel. Autre garde-fou : le texte rétablit un avis conforme du maire dans les différents articles dédiés à la mise en place de structures temporaires et démontables dispensées d’autorisations d’urbanisme (article 3) et aux réseaux d’électricité et de télécommunication (articles 6 bis et 6 ter). L’article 3 prévoit en outre l’obligation explicite pour le maître d’ouvrage de remettre le terrain dans son état initial à l’issue de l’implantation, dont la durée ne pourra excéder deux ans, sauf si la construction a, dans l’intervalle, été régularisée conformément aux procédures d’urbanisme de droit commun, lorsque cela est possible.
À l’article 4, la commission a limité la durée d’application des dérogations aux règles de construction pouvant être fixées par ordonnance à deux ans. Par coordination avec l’article 5, il est prévu que les mesures dérogatoires puissent bénéficier aux reconstructions de bâtiments dégradés ou détruits par des événements postérieurs au cyclone Chido.
Pour éviter que la tôle soit utilisée à la reconstitution de l’habitat informel, la commission a conservé l’article 4 bis (introduit par l’Assemblée), qui en réglemente la vente, tout en en améliorant le dispositif : elle a notamment conditionné l’achat de tôles à la détention d’une autorisation d’urbanisme et a interdit la revente de tôles aux tiers (amendement de la sénatrice mahoraise Salama Ramia/RDPI).
S’agissant des procédures de participation du public, la commission a rétabli la possibilité d’utiliser les outils numériques, tout en conservant une mise à disposition systématique des dossiers papier (articles 6 ter, 7 et 8). Le choix de recourir à la participation du public par voie électronique a également été confié aux maires.
Toujours concernant l’adaptation des procédures d’urbanisme, compte tenu de la très forte proportion de bâtiments irréguliers à Mayotte, la commission a étendu le droit à la reconstruction et à la réfection à l’identique aux bâtiments édifiés avant 2013 (date d’entrée en vigueur à Mayotte du code de l’urbanisme), même s’ils sont irréguliers au regard du droit de l’urbanisme (article 6), afin de garantir la possibilité, pour ceux qui disposaient d’un logement "en dur" de continuer à l’habiter. Le texte vise également à mieux encadrer le droit à la reconstruction à l’identique, en fixant un plafond de 20% de la modification du gabarit. Pour rappel, cette limite ne concerne que les reconstructions ou réfections qui contreviendraient aux règles d’urbanisme en vigueur. "Il y a un vrai sujet sur le foncier à Mayotte", a insisté la rapporteure, rappelant que "seul 20% du bâti est régulier". Ce projet de loi ouvre également "vers la régularisation des permis", a-t-elle appuyé. Face à l’urgence de la reconstruction, la commission a aussi permis (article 7) que les réfections et reconstructions strictement à l’identique fassent l’objet d’une simple déclaration en mairie, afin qu’elles puissent être entreprises sans délai, sans engorger encore davantage des services instructeurs déjà sous-dimensionnés. "Le rôle du nouvel établissement public sera aussi d’accompagner les maires dans le traitement de ces régularisations et d’apporter un appui technique notamment avec des architectes, ingénieurs de manière à reconstruire sur des bases pérennes", a relevé la rapporteure.
A l’article 9, la commission a limité les possibilités d’engager les travaux de construction ou de réfection avant l’obtention de l’autorisation d’urbanisme ou la décision de non-opposition à déclaration préalable, en supprimant la possibilité de procéder à des travaux de terrassements ou de fondations.
Autre point de crispation s’agissant de l’habilitation à légiférer par ordonnance initialement prévue par l’article 10. Si l’objectif poursuivi, à savoir permettre l’adaptation des règles d’occupation et d’expropriation pour permettre la réalisation des travaux d’intérêt public nécessaires à la reconstruction de Mayotte en dépit du désordre foncier existant, est partagé, la commission des lois a cependant maintenu la suppression de cet article compte tenu "des grandes inquiétudes sur place", tout en appelant le gouvernement à inscrire directement dans la loi les mesures qu’il entend mettre en œuvre à cet effet, a précisé la rapporteure, Isabelle Florennes, (UC-Ile-de-France).
Dérogations temporaires en matière de commande publique
Sur le volet dérogations aux règles de la commande publique prévues par les articles 11 à 14, la commission des lois s’est attachée à supprimer l’ensemble des dispositifs qui auraient pu ralentir la conclusion des marchés publics indispensables à la reconstruction de Mayotte, tels que l’obligation, pour les soumissionnaires souhaitant bénéficier d’une dérogation au principe de publicité préalable en vertu de l’article 11, d’utiliser des produits d’origine française ou européenne.
Le texte adopté en commission renforce également l’efficacité des mesures proposées en supprimant les dispositifs déjà satisfaits par le droit en vigueur, tels que l’obligation de publication numérique de données relatives aux marchés publics dispensés de publicité préalable.
Un article 13 bis AA a été introduit à l’initiative de la rapporteure, Isabelle Florennes, pour regrouper l’ensemble des dispositions destinées à favoriser les petites et moyennes entreprises locales dans l’attribution des marchés publics, tout en améliorant parallèlement leur rédaction. Par cohérence, les articles 13 bis A et 14 bis ont été supprimés. L’article 13 bis a également été supprimé, puisque la mesure de limitation du recours à la sous-traitance qu’il proposait risquait d’évincer les petites et moyennes entreprises de l’accès à la commande publique, à rebours de l’objectif poursuivi par l’introduction des mesures visant à favoriser les petites et moyennes entreprises locales dans l’attribution des marchés publics.
Faciliter les dons à destination de Mayotte
A l’article 15, la commission des lois a souscrit à l’élargissement du champ des associations pouvant recevoir des subventions de la part des collectivités territoriales et de leurs groupements. Elle a en revanche supprimé l’exigence "superfétatoire" de désignation d’un commissaire aux comptes par les associations et fondations reconnues d’utilité publique souhaitant percevoir ces subventions.
A l’article 16, exit la précision, introduite en séance à l’Assemblée, selon laquelle les dons défiscalisés effectués en faveur d’organismes caritatifs oeuvrant à Mayotte à aider les victimes du cyclone, par la distribution de repas et l’aide au relogement, ne peuvent financer des actions visant à la régularisation de ressortissants étrangers en situation irrégulière. Un autre amendement de la rapporteure rétablit la rédaction initiale, revenant ainsi sur le relèvement du plafond (à 3.000 euros) du montant des dons pouvant faire l’objet d’une réduction d’impôts majorée.
Mesures sociales
A l’article 17, la commission a souhaité préserver le dispositif de suspension des délais de recouvrement fiscal forcé en rétablissant la rédaction issue de l’examen de l’article en commission à l’Assemblée. A noter, cet amendement ne revient pas sur la suspension des délais d’enregistrement des déclarations de décès et d’enregistrement de la publicité foncière.
A l’article 17 bis A, est maintenu le dispositif de suspension des délais de réclamation en cas de trop-perçu par l’administration fiscale tout en corrigeant sa rédaction et en l’alignant sur celle de l’article 17 qui porte un dispositif "miroir".
La commission a par contre supprimé le moratoire fiscal généralisé et sans précédent créé par l'article 17 bis (lui même retranché du texte), car susceptible d’entraîner un coût estimé à 70 millions d’euros pour les collectivités territoriales de Mayotte.
Face au risque pour Mayotte de devenir une "île-poubelle", la commission des affaires économiques a exonéré le territoire de taxe sur les activités polluantes (TGAP) sur les déchets pendant deux ans à travers un article additionnel après l’article 17 bis.
La commission des affaires sociales a quant à elle adopté deux amendements de sa rapporteure Christine Bonfanti-Dossat (Nouvelle-Aquitaine/LR) visant à revenir aux échéances de suspension du recouvrement des cotisations et contributions prévues dans le texte initial (article 18), privilégiant un suivi plus souple "au cas par cas", et à supprimer l’article 18 bis (prévoyant l’exonération de l’ensemble des cotisations et contributions, à l’exception des cotisations d’assurance vieillesse pour les régimes complémentaires obligatoires, pour le seul mois de décembre 2024).
A l’article 20, la commission a adopté un amendement de la rapporteure afin que le décret, qui reporterait, après le 31 mars 2025, le terme de la période de prolongation des allocations chômage, soit pris après avis de l'Unedic.
Un autre amendement (article 21) réduit la période de renouvellement automatique des droits et prestations versés aux assurés mahorais et à leurs ayants droit qui expiraient au 14 décembre 2024 prévue par la loi à la date butoir du 31 mars 2025, afin de l'aligner sur le renouvellement des allocations chômage des demandeurs d'emploi arrivant en fin de droits prévu à l'article 20.
L’article 28 introduit à l’Assemblée, et visant à supprimer, à titre dérogatoire, à Mayotte, la condition d’achèvement des logements depuis plus de vingt ans pour pouvoir bénéficier de la réduction d’impôt prévue sur des opérations de réhabilitation, est retranché du texte. Outre son application jusqu’en 2029, cette mesure d’élargissement "ne trouve pas sa place dans un projet de loi d’urgence, mais plutôt dans un projet de loi plus structurel incluant des dispositions relatives au développement de l’offre de logements à Mayotte", a justifié Christine Bonfanti-Dossat.
Enfin, ont été adoptés des amendements de suppression des articles 24 25 26 27 29 30 31 32 33 qui portent sur des demandes de rapports.