Le projet de loi d’urgence pour Mayotte adopté par l’Assemblée en première lecture
Le projet de loi d’urgence pour Mayotte a été adopté en première lecture par les députés ce 22 janvier. Le texte comporte pour l’essentiel des dispositions exorbitantes du droit de l’urbanisme pour accélérer la reconstruction des logements et des écoles de l’archipel. Au cours des débats au sein de l’hémicycle, certaines mesures concrètes ont été introduites, notamment l’interdiction de la vente de tôles aux particuliers pour lutter contre l’habitat illégal, une ordonnance contre le fléau des "bidonvilles" et des adaptations aux règles de la commande publique pour garantir la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction. D’autres dispositions sont en revanche passées à la trappe. C’est le cas de l’article 10 qui prévoyait d'adapter par ordonnance les expropriations et de l’article 3 qui proposait d’exempter de formalités d’urbanisme les relogements d’urgence en habitat modulaire.
Le projet de loi d’urgence pour Mayotte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale ce 22 janvier par 446 voix pour, 2 contre et 110 abstentions (essentiellement dans les rangs des groupes de La France insoumise et Écologiste et social), à l’issue de deux journées de débats et malgré les critiques des oppositions sur son insuffisance. Son examen au Sénat commencera le 29 janvier en commission, et à compter du 3 février en séance publique.
Le texte, qui contient des mesures d’urgence pour permettre une reconstruction accélérée de l’archipel dévasté après le passage du cyclone Chido, prévoit entre autres des règles dérogatoires en matière d’urbanisme et de commande publique - reprenant des dispositifs déjà mis en place notamment pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris ou suite aux émeutes de 2023 -, mais repousse la question migratoire à un autre projet de loi "programme" présenté d’ici mars. La question essentielle des moyens consacrés à la reconstruction de Mayotte est également "renvoyée à plus tard", a déploré la rapporteure, l'élue mahoraise, Estelle Youssouffa (Liot), identifiant malgré tout dans ce texte lacunaire, "des réponses utiles". Après son passage dans l’hémicycle le projet de loi totalise "désormais plus de 45 articles, contre 22 initialement", a précisé le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, rappelant que ce texte est "une réponse incontournable, mais il n’est qu’une première réponse".
Coordination de la reconstruction de Mayotte et reconstruction des écoles
C’est l’objet du chapitre Ier. L’article 1er habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir les modalités d’intervention de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte, chargé de piloter et de coordonner les travaux de reconstruction. Les travaux en commission des affaires économiques ont conduit à prévoir comme s’y était engagé le Premier ministre, François Bayrou, et en cohérence avec la nomination du général Facon en tant que préfigurateur, la création d’une nouvelle entité intégrant les missions de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam), créé par la loi de 2015 d’actualisation du droit des outre-mer. Le texte rappelle la nécessité d’une gouvernance équilibrée entre les élus locaux et l’État, et y associe (après des ajouts en commission et en séance) le comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte ainsi que les représentants des acteurs économiques, sociaux et agricoles mahorais .
Un article 1er bis (introduit en commission) impose au nouvel établissement public de publier un rapport d’activité annuel faisant état "de la nature, du coût et des modalités de financement des opérations réalisées dans le cadre de ses missions".
L’article 2 permet à l’État d’assumer, jusqu’au 31 décembre 2027, la charge des travaux sur le bâti scolaire à Mayotte dans une liste de communes établie par arrêté. Cette substitution sera temporaire et soumise à l’avis conforme des communes (amendement de la rapporteure en commission). Ces dernières seront simplement consultées sur l’implantation et le nombre de classes (la rédaction en commission prévoyait de recueillir un accord exprès). Un amendement en séance de la présidente de la commission Aurélie Trouvé (LFI-NFP) - sous-amendé par le gouvernement - permet également aux collectivités de Mayotte de renégocier l'échéancier de remboursement de leurs emprunts, et notamment concernant leur patrimoine scolaire.
L’enjeu consiste à articuler les travaux d’urgence et la reconstruction proprement dite, sans lésiner sur la qualité des bâtiments, appelés à durer, et à résister à des phénomènes naturels dont l’intensité et la fréquence sont accrues par le dérèglement climatique. Plusieurs amendements de Dominique Voynet (Écologiste et social) adoptés en commission vont en ce sens et rappellent l’importance de garantir l’accès à plusieurs points d’eau potable dans les écoles et de respecter la réglementation des risques naturels par le choix des matériaux utilisés ainsi que par la réduction de la chaleur au sein des établissements. Au terme d’autres amendements défendus en séance, le texte précise que les toitures construites ou rénovées des ouvrages des établissements scolaires "sont conçues de façon à recevoir ultérieurement un équipement de production d’énergies renouvelables" et garantit que les projets de reconstruction des écoles intègrent également, dans les cahiers des charges, la construction ou reconstruction de plateaux sportifs ainsi que la nécessité d’un accès à un service de restauration scolaire.
Adapter les règles d’urbanisme et de construction
C’est l’objet des chapitres II et III. Construire vite ne doit pas être synonyme de mal construire. On retrouve cette logique à l’article 4 qui habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier le droit à la construction à Mayotte face à l’urgence. Le passage en commission a permis de davantage borner le champ de l’ordonnance - exclusion de la totalité des règles relatives à la sécurité, les obligations en matière de recours aux énergies renouvelables ainsi que les règles relatives à l’accessibilité en ce qui concerne les établissements recevant du public et les installations ouvertes au public (amendement de la rapporteure) - et de renforcer les exigences en matière de gestion des eaux pluviales à Mayotte (amendement de René Pilato-LFI-NFP). Par ailleurs, les dispositions prises par ordonnance ne pourront s’appliquer qu’aux autorisations d’urbanisme ou déclarations préalables obtenues après le passage du cyclone (amendement d'Aurélie Trouvé). Un sous-amendement du gouvernement précise que les dispositions qui seront prises s’appliqueront également aux constructions temporaires.
À l’initiative de la rapporteure et avec le soutien du gouvernement, le texte a été complété en commission par un nouvel article 4 bis visant à encadrer la vente de tôles aux particuliers, dans le but de lutter contre le fléau de l’habitat illégal. En ce sens, le gouvernement a proposé en séance via un autre amendement d’élargir l’ordonnance prévue par l’article 4 à la lutte contre les bidonvilles.
Exit en revanche l’article 3 - supprimé en séance par un amendement de la rapporteure - qui prévoyait d’exempter de formalités d’urbanisme des constructions dédiées à l'hébergement d’urgence implantées après le drame pour une durée de moins de deux ans. Un article "au mieux inutile, au pire néfaste", quant au risque qu’il soit utilisé pour développer l’habitat informel, et alors que le droit en vigueur offre déjà une latitude suffisante au pouvoir réglementaire pour exempter d’autorisation d’urbanisme des constructions temporaires, a relevé la députée mahoraise.
Le chapitre III comporte dix articles qui s’inspirent des dispositions prises à la suite des violences urbaines de l’été 2023. L’article 5, qui définit le champ couvert par les dérogations temporaires prévues aux articles 6 à 9 (notamment les réductions de délai) a été enrichi en séance, et s’applique : aux reconstructions à l’identique ou avec des modifications des constructions, aux infrastructures agricoles et installations dégradés ou détruits à Mayotte en raison des "événements météorologiques survenus pendant une période de cinq mois à compter du 13 décembre 2024" (et ce afin de couvrir la totalité de la saison cyclonique) et pylônes de télécommunications. Il y est aussi précisé que la reconstruction doit se faire dans le respect des normes paracycloniques.
Sur proposition de la rapporteure, la commission a adopté un amendement qui exclut explicitement l’habitat informel du champ couvert par le chapitre III.
L’article 6 permet de déroger aux règles d’urbanisme en cas de reconstruction ou de réfection à l’identique ou avec des modifications autorisées (augmentation du gabarit pouvant aller jusqu’à 5% ou plus, si un objectif d’intérêt général est poursuivi, notamment la performance énergétique, l'accessibilité ou la sécurité). Les travaux en commission ont rappelé que le droit de déroger aux prescriptions d’urbanisme en cas de reconstruction à l’identique ne s’applique pas aux constructions contrevenant au plan de prévention des risques naturels prévisibles (amendement d'Aurélie Trouvé). D’autres précisions sont intervenues en séance. La restriction d’augmentation de taille "ne s’applique pas aux bâtiments publics destinés à recevoir du public", précise un amendement de Philippe Gosselin (Droite républicaine). Lorsqu’elle est justifiée par une mission de service public, l’augmentation peut excéder 5% du gabarit initial, ajoute un autre. La députée Aurélie Trouvé a quant elle appelé dans un autre amendement à "veiller au respect des normes de construction élémentaires" : l’urgence de la reconstruction ne saurait justifier l’autorisation de travaux pouvant porter atteinte à la salubrité et la sécurité publique.
Un article 6 bis - introduit en commission par amendement du gouvernement - a pour objet de simplifier pendant deux ans des procédures d’urbanisme lorsqu’il est prévu de reconstruire des antennes de radiotéléphonie mobile, comme annoncé par le Premier ministre dans le plan Mayotte debout.
Un nouvel article 6 bis A - ajouté en séance par un amendement de Virginie Duby-Muller (DR), sous-amendé par le gouvernement - réduit à un mois le délai accordé aux propriétaires (ou en cas de copropriété au syndic) pour formuler des observations sur les projets de mise en œuvre de servitudes sur les propriétés privées situées à Mayotte concernant les infrastructures numériques.
Un nouvel article 6 bis B -issu de trois amendement identiques en séance - propose d’instaurer un dispositif temporaire (jusqu’au 31 décembre 2026) autorisant les installations radioélectriques à Mayotte en discontinuité de l’urbanisation sous réserve de recueillir au préalable l’accord du préfet.
Un article 6 ter nouveau - amendement de Philippe Naillet (Soc), sous-amendé par le gouvernement -vise, dans l’esprit de l’article 6 bis, à faciliter la reconstruction du réseau d’électricité de Mayotte. Et le nouvel article 6 quater étend les dispositions dérogatoires du chapitre III à la reconstruction du réseau public d’électricité de Mayotte.
L’article 7 réduit les délais d’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme de reconstruction. En commission, la rapporteure avait prévu un délai d’une semaine pour la publication de l’avis de dépôt de la demande par la mairie. En séance, le gouvernement a rétabli l’obligation d’une publication "dans les meilleurs délais", qui se veut plus souple.
Dans sa rédaction issue de la commission - adoptée contre l’avis de la rapporteure -, l’article 8 imposait une enquête publique, lorsque les travaux nécessitent une consultation du public, avec des délais resserrés. En séance, la rapporteure pointant ce "durcissement" du dispositif de consultation, a proposé de donner la faculté au préfet de Mayotte de décider de soumettre le projet à la procédure de participation du public par voie électronique "potentiellement plus ouverte et pouvant toucher un public plus large" en remplacement de la mise à la disposition du public du dossier.
L’article 9 a été rétabli en séance dans sa version initiale à savoir autoriser à démarrer les travaux de reconstruction (démolition, terrassement et fondation) dès le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme, contre la limitation introduite en commission pour interdire la réalisation anticipée de travaux pour les reconstructions avec une modification de la surface.
L’article 10, unique article du chapitre IV consacré à garantir la maîtrise foncière a été supprimé en séance par un amendement de la rapporteure (identique à celui d'Aurélien Taché-LFI-NFP). En l'état, l’habilitation à prendre par ordonnance des mesures exceptionnelles "permet au gouvernement d'exproprier de manière arbitraire pour réaliser des projets qui n'ont rien à voir avec l'urgence du cyclone et qui seraient autrement considérés comme illégaux", a-t-elle relevé. "C’est apparu très clairement lors des auditions et au cours de nos échanges avec différents acteurs mahorais : tous sont très inquiets de ce qu’impliquerait l’adoption d’un tel article (…) qui donne des pouvoirs exceptionnels à l’État en matière d’expropriation et d’occupation temporaire, sans apporter les garanties nécessaires pour protéger les droits des Mahoraises et des Mahorais qui sont propriétaires des terrains en question", a appuyé Aurélie Trouvé. Manuel Valls s'en est remis à la "sagesse" des députés, espérant trouver au cours de la navette "la ligne de crête" pour éviter le blocage des projets tout en sauvegardant les droits des propriétaires.
Dérogations temporaires en matière de commande publique
Au chapitre V (articles 11 à 13 ter), le projet de loi, qui prévoit là encore de déroger, pour 24 mois, au droit commun de la commande publique, a été complété - en commission et en séance - pour simplifier et accélérer les projets de reconstruction, tout en favorisant la participation des TPE, PME et artisans mahorais, en leur réservant une part préférentielle. Des amendements de députés DR ont également limité la sous-traitance à deux rangs pour lutter contre la sous-traitance en cascade.
Supprimé en commission, l’article 12 qui accorde aux acheteurs publics la faculté de ne pas appliquer le principe d’allotissement dans la passation des marchés publics nécessaires à la reconstruction a été rétabli par la rapporteure moyennant quelques précisions et l’insertion de règles de nature là encore à assurer la pleine participation du tissu économique local. Le texte prévoit également l’établissement d’un plan de sous-traitance pour les soumissionnaires qui ne possèdent pas la qualité de PME ou d’artisan.
Faciliter les dons à destination de Mayotte
Le Chapitre VI (articles 15 et 16) comprend des mesures déjà annoncées, inspirées des dispositions mises en œuvre pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, afin de faciliter les dons en faveur de Mayotte pour les collectivités territoriales ou pour les particuliers. Les dons de particuliers seront défiscalisés à hauteur de 75%, dans la limite d’un plafond porté à 3.000 euros par an (au terme d’un amendement défendu par Philippe Gosselin). L’Assemblée a également adopté un amendement de la députée mahoraise Anchya Bamana (RN) visant à s'assurer que l'argent des dons ne pourra pas être "détourné de sa finalité" par des "associations pro-migrants". Un autre défendu par le député Lionel Tivoli (RN) impose la désignation d’un commissaire aux comptes aux associations destinataires de ces fonds. Par l’adoption de plusieurs amendements de ses membres (dont la rapporteure) et du gouvernement, la commission a repoussé du 14 mars au 17 mai 2025 le terme fixé par l’article 15 du projet de loi pour l’apport des concours financiers des collectivités aux associations apportant des secours d’urgence aux victimes du cyclone Chido, inclus dans son périmètre les fondations reconnues d’utilité publique et précisé les actions pouvant être soutenues au titre des secours d’urgence apportés aux victimes du cyclone Chido, en écartant les actions d’aide au logement ayant pour objet ou résultat de contribuer à renouveler l’habitat informel.
Mesures sociales
Au titre des mesures sociales temporaires en faveur de la population et des professionnels à Mayotte (Chapitre VII : articles 17 à 23), les mesures initiales ont été élargies par la prolongation de plein droit des demandes de logement social arrivées à expiration (article 23), par l’extension à certaines autres catégories de prestations comme les allocations logement ou par l’élargissement au régime agricole. L’article 17 suspend les délais de prescription en matière de recouvrement fiscal. Sont également suspendus les délais prévus pour les formalités de publicité foncière et de succession (amendement en séance de Philippe Gosselin). Un nouvel article miroir 17 bis A (amendement de Max Mathiasin-Liot) permet aux contribuables mahorais de prolonger leur droit de réclamation en cas de trop-perçu par l’administration fiscale. L’article 17 bis, créé en commission, reporte d’un an le paiement des impôts. Toute entreprise débitrice auprès du comptable public pourra bénéficier d'un plan de règlement échelonné de ses dettes, sous réserve d'en faire la demande (amendement en séance de Max Mathiasin).
L’article 18 suspend le paiement des cotisations et contributions sociales à Mayotte pour une durée limitée.
L’article 18 bis nouveau - introduit en séance par un amendement de Philippe Naillet (Soc) - exonère les acteurs économiques installés à Mayotte au moment du cyclone Chido de toute cotisation et contribution sociale sur décembre 2024.
L’article 19 étend aux travailleurs indépendants non agricoles de Mayotte le bénéfice des prestations d’action sanitaire et sociale dépendant du Conseil de protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).
L’article 20 proroge automatiquement les droits aux allocations de chômage pour les bénéficiaires résidant à Mayotte dont les droits expirent ou qui ont perdu leur emploi à compter du 1er décembre 2024.
Dans la même logique, l’article 21 prolonge les droits aux prestations de sécurité sociale à Mayotte, et ce jusqu’au 30 juin 2025 (au terme d’un amendement de la députée Aurélie Trouvé en séance, estimant que le délai de quatre mois - soit jusqu’au 31 mars 2025- prévu initialement par le texte "est trop court ").
L’article 22 donne la possibilité d’augmenter provisoirement la prise en charge de l’activité partielle à Mayotte.
L’article 23 prolonge automatiquement les demandes de logement social pour éviter que les demandeurs perdent le bénéfice de l’ancienneté.
Les articles 24 à 33 demandent différents rapports au gouvernement sur la situation de Mayotte, les conséquences et la gestion de la crise.
Notons qu’un nouvel article 28 travaillé avec la Fédération des entreprises des Outre-mer (Fedom) - introduit en séance par trois amendements identiques de la rapporteure, de Philippe Gosselin et du député GDR Frederic Maillot - supprime, à titre dérogatoire, à Mayotte, la condition d’achèvement des logements depuis plus de vingt ans pour pouvoir bénéficier de la réduction d’impôt prévue sur des opérations de réhabilitation. Ce dispositif est limité dans le temps, jusqu’au 31 décembre 2029.