Le projet de loi d’urgence pour Mayotte présenté en conseil des ministres
Le projet de loi d’urgence pour Mayotte a été présenté en conseil des ministres ce 8 janvier. Il devrait être examiné à l’Assemblée nationale dès la semaine prochaine. Visant en particulier la reconstruction d’urgence des logements sinistrés, il prévoit, pour la faciliter, un régime dérogatoire au droit commun de l’urbanisme, de l’expropriation et de la commande publique, solution désormais régulièrement éprouvée. Il ne contient pour l’heure aucune mesure relative à la lutte contre l’habitat indigne, mais le gouvernement compte sur le Parlement pour enrichir le texte sur ce point. Un autre projet de loi "plus structurel" est annoncé pour le deuxième trimestre, notamment pour renforcer la lutte contre l’immigration illégale.
Cette fois c’est la bonne. Initialement annoncé pour le 3 janvier par le Premier ministre lors de son déplacement à Mayotte fin décembre, le projet de loi d’urgence pour Mayotte a été présenté, ce 8 janvier, en conseil des ministres. Il constitue le "troisième temps" – "Reconstruire Mayotte" – de la valse annoncée par le président de la République le 20 décembre dernier, après "Répondre face à l’urgence" et "Stabiliser et accentuer les efforts". "Sa philosophie générale est simple : il s’agit de permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes pour faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population ainsi que la reconstruction ou réparation des logements sinistrés", a résumé en conférence de presse ce mercredi le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls. Le texte comprend 22 articles, dont trois habilitations à légiférer par ordonnance. De manière générale, il reprend un certain nombre de dispositifs mis en œuvre, non sans succès, pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris.
Ce que le projet de loi contient
• Dans cette veine, et comme annoncé par le président de la République, le projet de loi habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance pour confier à un "établissement public de refondation de Mayotte" la mission de coordonner les travaux de reconstruction. Comme annoncé par le Premier ministre, François Bayrou, cet établissement absorbera l’actuel établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte, créé par la loi de 2015 d’actualisation du droit des outre-mer, et qui était placé par décret de 2017 sous la tutelle du ministre chargé de l’urbanisme. Comme pour Notre-Dame, c’est à un militaire que l’État fera appel pour "préfigurer cet établissement" : le général de corps d’armée Pascal Facon. "Avec l’idée, évidemment, qu’il en soit le directeur général", avance le ministre.
• Autre similitude avec la reconstruction de Notre-Dame, ou avec l’organisation des Jeux olympiques, ou encore à la suite des émeutes de 2023, le projet prévoit un régime dérogatoire – exception qui tend à devenir la norme – à certaines règles de droit commun afin d’accélérer la reconstruction.
Certaines règles d’urbanisme seront ainsi adaptées "pour faciliter l'implantation rapide d'hébergement temporaire d'urgence pour les personnes sinistrées". Plus largement, le projet habilite le gouvernement à déroger par ordonnance à certaines règles auxquelles sont soumises les constructions de bâtiments, comme en matière de stationnement de véhicules ou de dispositifs de recharge de véhicules électriques. "Les exigences de sécurité des habitations seront toutefois intégralement préservées dans un contexte évidemment qui ne ressemble pas à celui de l'Hexagone", tempère néanmoins Manuel Valls. Ce dernier précise encore que le projet prévoit d’accélérer "l'instruction des demandes d'autorisations d'urbanisme en divisant certains délais par deux ou trois" ou de "faciliter le recours aux procédures de participation du public par voie électronique". L’AFP relève que le projet de loi prévoit également que l’État ou ses établissements publics pourraient assurer la construction, reconstruction ou rénovation des écoles en lieu et place des collectivités jusqu’au 31 décembre 2027.
De même, le projet prévoit d’habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique. "Il s'agit là de s'ajuster évidemment à la situation de Mayotte, où il est souvent difficile, très difficile même, d'identifier formellement les propriétaires de terrain", explique le ministre.
Il prévoit encore de déroger, pour 24 mois, au droit commun de la commande publique.
• Toujours dans le sillage de la reconstruction de Notre-Dame, le projet prévoit par ailleurs une disposition pour faciliter les dons en faveur de Mayotte, en prévoyant par exemple "de porter à 75% le taux de réduction d’impôt pour les dons à des associations et fondations fournissant des repas ou des soins ou favorisant le relèvement des personnes en difficulté". Dans un article publié par L’Opinion le 2 janvier dernier, le président de la fondation Architectes de l’urgence, Patrick Coulombel, estimait que face à l’ampleur des besoins, "la seule solution serait de faire une levée de fonds comme pour Notre-Dame". Le quotidien relevait alors "qu’aucun chiffre ni aucun budget n’ont encore été précisés, hormis l’enveloppe exceptionnelle de 600 millions d’euros" de prêts bonifiés ouverte par la Banque des Territoires. Cette enveloppe est destinée aux opérateurs publics locaux qui porteront les projets de reconstruction des infrastructures essentielles, notamment dans les domaines de l’aménagement, de l’eau, de l’électricité et du logement.
• Enfin, le projet contient diverses mesures sociales, "comme la suspension du recouvrement des cotisations sociales et de l'application du recouvrement fiscal forcé pour les redevables mahorais, [le] maintien des bénéfices des droits et prestations versées par la caisse de sécurité sociale ou encore […] l'augmentation des niveaux de prise en charge de l'activité partielle", cite comme exemples le ministre. Manuel Valls a ajouté que le gouvernement travaillait "à l’activation des dispositions d’urgence", notamment à destination des collectivités – "une circulaire est en cours de finalisation" – et qu’il allait en outre "mobiliser tous les dispositifs de droit commun pour aider les communes à financer les travaux d’urgence".
Ce que le projet ne contient pas
Le Premier ministre indique que la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale "examinera le texte dès lundi". Il espère que le débat parlementaire permettra de compléter ce texte, qu’il qualifie lui-même d’"incomplet".
• D’abord, "sur un sujet prioritaire pour le gouvernement : la lutte contre l’habitat illégal". En l’état, le texte ne contient pas de disposition visant à "mettre fin aux bidonvilles et à tous les habitats indignes", objectif fixé par Emmanuel Macron et repris par le Premier ministre lors de son déplacement sur l’île. "Je le redis avec clarté et fermeté : nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville", prévient Manuel Valls. Pour conjurer ce spectre, il songe notamment à "élargir les catégories d'agents pouvant constater l'édification illégale" ou encore "à faciliter juridiquement, pour les officiers de police judiciaire, la traversée des bidonvilles, des bangas, pour contrôler les activités professionnelles illégales". En précisant que "s'il est possible de procéder à des ajustements rapides par la loi […], cette lutte passera avant tout par l'engagement de forces sur le terrain et surtout par une lutte plus résolue encore contre l'immigration irrégulière" (voir ci-dessous).
• Ensuite, en instituant un blocage temporaire des loyers, "pour qu’à l'horreur du cyclone ne s'ajoute pas l'indignité de profiteurs de crise".
• D’autres mesures "plus structurelles" seront, elles, portées par un autre texte, un "projet de loi-programme de refondation de Mayotte". Un texte qui "a déjà fait l’objet d’un travail interministériel ces derniers mois", précise Manuel Valls. Et dont le Premier ministre avait indiqué fin décembre qu’il serait "élaboré dans les trois prochains mois, en concertation avec les élus". "Il s’agit notamment de transcrire dans la loi certaines mesures du plan Mayotte Debout dévoilé sur place par le Premier ministre le 30 décembre dernier", indique le ministre des Outre-Mer. Il s’agira aussi de "mieux lutter contre le fléau de l’immigration illégale qui ronge Mayotte […], nourrit l’ultra-violence et alimente les réseaux de trafiquants d’êtres humains", ajoute-t-il. "Si nous ne traitons pas cette question avec la plus grande détermination, tout ce que je viens de vous annoncer pour Mayotte ne servira pas à grand-chose et nous pouvons alors à ce moment-là nous attendre à une véritable implosion, explosion sociale ou d'autre nature", avertit l’ancien Premier ministre de François Hollande. Il évoque "le durcissement des conditions d'accès au séjour en les adaptant encore davantage à la situation de Mayotte", "l'amélioration des dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité" ou encore "agir sur la durée de résidence régulière des parents sur l'accès des enfants à la nationalité".
Le serpent de mer de l’abrogation du droit du sol
Sur l’éventuelle suppression du droit du sol dans l’archipel, Manuel Valls botte en revanche en touche : "Ce n’est pas à moi de l’évoquer, de lancer une procédure de ce type, en plus risquée par rapport au paysage parlementaire", déclare-t-il, estimant en outre que "cela relève d’une modification constitutionnelle". Ce qui reste discuté, d’aucuns arguant que le Conseil constitutionnel a jugé en 1993, à propos de la loi réformant le code de la nationalité, qu’il était loisible au législateur de conditionner l’acquisition de la nationalité française par l’effet de la naissance sur le territoire français à une manifestation de volonté de la part de l’intéressé "sans porter atteinte à un principe de valeur constitutionnelle", après avoir rappelé que l’acquisition automatique de la nationalité française à sa majorité de toute personne née en France d’un étranger, sous certaines conditions de résidence, "a été instituée pour des motifs tenant notamment à la conscription".
Promue naguère par Gérald Darmanin – alors ministre de l’Intérieur, il avait annoncé un texte en ce sens le 11 février lors d’un déplacement sur l’île –, la solution avait jadis également été proposée par François Bayrou lors de sa campagne présidentielle de 2007. C’est "une question qu’il faut se poser", a depuis déclaré ce dernier lors de son déplacement à Mayotte de décembre. Reste qu’une telle orientation ne fait pas l’unanimité au sein même de son gouvernement. Si les ministres de l’Intérieur, des Outre-Mer et des Armées y sont favorables – "sans fermeté migratoire, nous reconstruirons Mayotte sur du sable", prédisaient-ils dans une tribune commune publiée dans Le Figaro du 5 janvier dernier –, la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, jugeait le même jour sur BFMTV que "ce n’est pas la bonne voie".
À court terme, deux défis… parmi d’autres
Pour l’heure, le ministre des Outre-Mer indique que le gouvernement est particulièrement mobilisé sur deux défis de court terme, qui concernent au premier chef les collectivités. D’une part, la préparation de la rentrée scolaire progressive à compter du 13 janvier, puis du 20 janvier : "70% des salles de classe des premier et second degrés devraient être disponibles", prévoit le ministre, en prévenant toutefois que "nous ne reviendrons pas à la normale pendant plusieurs semaines au moins". D’autre part, la gestion des déchets, "véritable défi pour éviter tout risque sanitaire" (et problématique récurrente), redoutant notamment une nouvelle épidémie de choléra, de dengue et de chikungunya. Manuel Valls fait ainsi de l’accès aux soins "une autre priorité", alors que "l’Escrim [élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale, qui déploie un hôpital de campagne] tourne à plein régime. Près de 3.000 personnes y ont été accueillies depuis l’ouverture".