Projet de loi Elan : le volet urbanisme ouvre le bal au Sénat
Les sénateurs ont achevé ce 19 juillet l'examen en séance publique du volet urbanisme du projet de loi Elan en adoptant de nombreux amendements. Ils ont notamment supprimé la dérogation à la loi "MOP" (maîtrise d'ouvrage publique) introduite par le texte au profit des concessionnaires d'une opération d'aménagement. Ils ont aussi confirmé les dispositions votées en commission concernant les grandes opérations d'urbanisme, ainsi que les assouplissements à la loi Littoral.
La discussion du vaste projet de loi Elan - déjà adopté par l'Assemblée nationale - s'est engagée au Sénat le 16 juillet et devrait se poursuivre jusqu'au 24 juillet. L'examen du volet urbanisme amorce ce qui s'annonce à nouveau comme un véritable marathon : plus d'un millier d'amendements déposés sur ce texte qui comprend désormais 235 articles - alors qu'il en comportait initialement 65 - suscitant une vague de protestations contre l'organisation du travail parlementaire par le gouvernement.
En termes de méthode, le Sénat a surtout veillé à ce que les dispositifs proposés pour faciliter la réalisation des opérations d'aménagement ne soient pas imposés "d'en haut" mais permettent une prise en compte de la diversité des territoires. "Le projet de loi est clairement travaillé par ces valses hésitations constantes entre décentralisation et recentralisation", s'est notamment inquiétée la rapporteure de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone.
Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, s'en est défendu sans convaincre : "globalement, le texte que je vous présente préserve très largement l'autonomie des maires. (…) Ces instruments, PPA [projet partenarial d'aménagement] et GOU [grande opération d'urbanisme], ne seront lancés qu'à la demande des collectivités territoriales, et non de l'État". Avant de dévoiler son point de vue : "Nous savons tous que parfois une commune fait barrage à de grandes opérations, que pour nombre de promoteurs, il y a des freins à la construction à cause de maires qui considèrent le PLU comme un plafond. Préservons les prérogatives des maires, mais entendons ces demandes."
Titre Ier – Construire plus, mieux et moins cher
Chapitre Ier - Dynamiser les opérations d'aménagement pour produire plus de foncier constructible
Grandes opérations d'urbanisme (GOU) : pas touche aux maires (art. 1er et 3)
En commission, la Chambre haute s'était déjà montrée particulièrement attentive à la place des collectivités dans la mise en oeuvre des politiques locales de l'habitat et plus particulièrement au rôle des maires (lire notre article ci-dessous). Même leitmotiv en séance : éviter autant que faire se peut toutes dispositions conduisant à une recentralisation des dispositifs au profit du préfet. Le Sénat réaffirme ainsi le besoin d'associer les maires aux projets d'ampleur portés par un contrat de PPA et réalisés dans le cadre d'un périmètre de GOU. Sans surprise, les tentatives du gouvernement de supprimer l'avis conforme des communes pour la qualification de GOU ont été repoussées. Aucun transfert de compétences en matière de délivrance des autorisations d'urbanisme à l'EPCI ne pourra se faire sans délégation expresse de la commune, signataire de droit des PPA.
Consultation sur le périmètre des OIN (art. 2)
Un autre gage est obtenu sur les nouvelles modalités du régime dérogatoire applicable aux opérations d'intérêt national (OIN), avec l'ajout d'une nouvelle exigence de consultation des départements et des régions, à l'instar des communes et de leurs groupements. Leur avis est réputé favorable en l'absence de réponse sous trois mois.
Concessions d'aménagement (art. 5)
Suppression en revanche de la dérogation à la loi dite "MOP" (maîtrise d'ouvrage publique) introduite par le projet de loi au profit des concessionnaires d'une opération d'aménagement. "Rien ne paraît justifier d'exclure un aménageur public intervenant dans le cadre d'un contrat de concession des dispositions de la loi MOP", justifie Jean-Pierre Leleux, rapporteur de la commission de la culture. D'autant que la dérogation s'appliquerait sur l'ensemble du territoire, en l'absence de circonstances ou de zones déterminées. "Un grand nombre de bâtiments publics (crèches, écoles, gymnases, logements) pourraient ainsi être concernés, avec des garanties moindres concernant la qualité de ces constructions et la gestion des deniers publics".
JO 2024 (art. additionnels 5 bis AAA et 5 octies A)
En complément des acquisitions foncières susceptibles d'être engagées (le cas échéant par voie d'expropriation) pour la réalisation des ouvrages nécessaires à l'organisation des JO 2024, un dispositif de réquisition temporaire est mis en place pour pallier, le cas échéant, des difficultés éventuelles. Le texte étend en outre le recours à la procédure intégrée pour la mise en compatibilité des documents d'urbanisme - tel que prévu par l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 relative aux JO 2024 - aux constructions ou opérations d'aménagement contiguës aux sites "lorsqu'elles sont de nature à affecter les conditions de desserte, d'accès, de sécurité ou d'exploitation" desdits sites pendant les épreuves.
Chapitre II - Favoriser la libéralisation du foncier
Mixité fonctionnelle des zones d'activités (art. additionnel 8 bis A)
Autre ajout : le texte étend l'application "aux zones d'activités ou commerciales" du dispositif - prévu à l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme (CU) pour les ensembles d'habitations - permettant de transférer d'office la propriété des voies privées dans le domaine public sans indemnité suite à une enquête publique. L'extension proposée par Jacqueline Eustache-Brinio (LR) pour permettre aux collectivités d'oeuvrer pour la mixité fonctionnelle est "judicieuse", estime la rapporteure, "on lèvera un obstacle à la densification de ces zones et l'on garantira l'entretien de ces voies à usage public - avec l'accord du maire, évidemment !".
Chapitre IV - Simplifier et améliorer les procédures d'urbanisme
Dans la continuité des apports de l'Assemblée, le Sénat poursuit l'assouplissement et la territorialisation des prescriptions de la loi Littoral et de la règle d'inconstructibilité des zones non urbanisées.
Période couverte par le bilan de consommation d'espace (art. 12 bis A)
L'arrêt du projet de Scot - au lieu de la date d'approbation "plus aléatoire" - devient la date de référence pour le calcul de la consommation d'espace. Il est proposé que l'application soit immédiate, sauf pour les Scot dont la procédure est entre l'arrêt et l'approbation à la date de publication de la loi.
Détermination du caractère exceptionnel des Stecal (art. 12 quater A)
Autre précision importante : la liste des critères permettant d'apprécier le caractère exceptionnel des secteurs de taille et de capacité d'accueil limités (Stecal) délimités par les plans locaux d'urbanisme (PLU) "n'est pas exhaustive, ni cumulative". La commission s'est ainsi défendue de vouloir durcir ce dispositif permettant un comblement encadré des "dents creuses" en zone agricole, naturelle ou forestière. Les critères retenus tiennent compte "entre autres" des caractéristiques du territoire, du type d'urbanisation du secteur, de la distance entre les constructions ou de la desserte par les réseaux ou par les équipements collectifs.
Consultation de la CDPENAF (art.12 quater)
Suppression en revanche de l'assouplissement - introduit en commission - de la portée contraignante de l'avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels agricoles et forestiers (CDPENAF) en matière de dérogations à l'interdiction de construire hors des parties urbanisées des communes.
Loi Littoral (article 12 quinquies, 12 sexies, art. additionnels 12 septies AA et 12 septies AB, 12 nonies)
A défaut d'obtenir la suppression du dispositif relatif aux secteurs déjà urbanisés, visant à faciliter le comblement des "dents creuses", la sénatrice LR Patricia Morhet-Richaud est à l'origine d'un amendement permettant de sécuriser les projets déjà engagés sur les territoires soumis aux lois Littoral ou Montagne. Le texte clarifie également le régime d'implantation de certains équipements d'intérêt public dans les communes littorales.
"Plusieurs situations de blocage sont connues : écoles de voile, clubs nautiques et services d'assainissement", signale Michel Vaspart (LR – Côtes-d'Armor) très impliqué sur ce volet. Un décret fixera une liste des équipements collectifs nécessitant une proximité avec l'eau et le rivage, dont l'implantation pourrait s'effectuer de manière plus souple dans ces territoires.
Autre coup de canif à la loi Littoral : le texte autorise l'installation d'éoliennes sur des territoires de taille réduite dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain. Le sénateur UC Michel Canevet - auteur de cet amendement contre l'avis du gouvernement et de la commission - fait notamment mention d'un possible projet éolien avec stockage sur l'île de Sein (Finistère).
Dans le collimateur du gouvernement l'article 12 septies A - introduit en commission au bénéfice des installations de traitement des déchets d'outre-mer - est supprimé. La dérogation au principe de continuité pour les besoins de l'activité agricole, forestière et de culture marine est quant à elle maintenue, malgré les réserves du ministre sur la notion de valorisation locale, "porte ouverte à toutes les dérives". S'agissant de la Corse, le texte propose -à l'initiative du gouvernement cette fois - "une évolution encadrée", excluant le principe de continuité sur les communes montagnardes. Ces secteurs seront identifiés par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse (Padduc), avec l'accord du préfet et après avis du conseil des sites de Corse.
Rapports d'opposabilité entre documents d'urbanisme (art. 13)
Les chartes des parcs naturels régionaux "ne sont pas comprises" dans l'objectif de réduction du nombre de documents opposables aux Scot, PLU et cartes communales poursuivi par le projet de loi.
Modification des documents du lotissement (art. additionnels 13 bis, 13 ter et 13 quater)
Au regard de sa fragilité juridique, le dispositif de caducité de certaines clauses des cahiers des charges des lotissements - prévu à l'article L. 442-9 du CU - est supprimé. D'autant que la commune peut modifier les documents du lotissement lorsque ceux-ci ne sont pas compatibles avec le PLU. Autre assouplissement : l'application aux parties communes - telles celles affectées aux espaces verts - de la procédure de modification à la majorité qualifiée des documents du lotissement (art. L. 442-10 du CU). Une nouvelle rédaction de l'article L. 442-14 sécurise la période de cristallisation : les règles applicables aux permis de construire individuels seront les mêmes que celles qui prévalent "au moment de la délivrance" du permis d'aménagement du lotissement.
Transfert différé de la compétence habitat à la métropole du Grand Paris (art. 14 bis A)
Dans l'attente du premier plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement (PMHH), les programmes locaux de l'habitat (PLH) "approuvés" (et non exécutoires) au 31 décembre 2015 pourront transitoirement servir de PLH à la métropole du Grand Paris (MGP). Par ailleurs, à l'instar de la MGP, les établissements publics territoriaux (EPT) pourront confier, par convention, la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement relevant de leurs attributions aux communes membres.
Dépôt successif de permis (art. 16 bis AAA)
Si le dépôt d'une nouvelle demande d'urbanisme visant un même terrain n'emporte pas retrait de la précédente, la délivrance de l'autorisation a, elle, pour effet de la retirer.
Dématérialisation de l'instruction (art. 17)
Les communes pourront mutualiser la téléprocédure d'instruction dématérialisée des demandes d'autorisation d'urbanisme rendue obligatoire à l'horizon 2022 par le présent projet de loi "au travers du service en charge de l'instruction des actes d'urbanisme".
Chapitre V - Simplifier l'acte de construire
Etude géotechnique (art. 19 ter)
Dans les zones exposées au retrait-gonflement des sols argileux, le texte conditionne la réalisation de l'étude géotechnique préalable par le constructeur à "un accord avec le maître d'ouvrage".
Autoconsommation collective (art. additionnel 21 bis AA)
La définition du périmètre d'une opération d'autoconsommation collective est renvoyée à un arrêté. Les premiers retours d'expérience montrent que le périmètre actuellement retenu - c'est-à-dire l'échelle d'un bâtiment - s'avère trop limité pour permettre une autoconsommation optimale de l'électricité produite et assurer la viabilité économique de l'opération.
Compétences du centre scientifique du bâtiment (art. 21 bis B)
Le texte propose une représentation spécifique des outre-mer au sein du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Cet organisme - dont les missions sont élargies par le projet de loi - apportera son concours aux collectivités et à leurs établissements publics dans leurs politiques publiques et actions en matière de construction, d'habitat et de ville durable.
Diagnostic de raccordement au réseau public des eaux usées (art. additionnel 21 bis DA)
Le texte introduit un diagnostic établi à l'issue du contrôle par la commune des équipements et ouvrages permettant le raccordement au réseau public de collecte des eaux usées. Ce document ferait alors partie du dossier technique, en cas de vente de tout ou partie d'un immeuble bâti.
Interdiction des appareils de chauffage polluants (art. 21 bis E)
La faculté offerte au préfet, dans les zones couvertes par un plan de protection de l'atmosphère (PPA), d'interdire l'utilisation d'appareils de chauffage polluants est supprimée. Sachant que l'article L. 222-6 du code de l'environnement prévoit déjà la possibilité de prendre des mesures préventives, d'application temporaire ou permanente, destinées à réduire les émissions des sources de pollution atmosphérique.
Uniformisation des délais de rétractation (art. Additionnel 23 ter)
Les articles L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation et L. 442-8 du CU sont modifiés pour convenir d'un délai de rétractation commun de 10 jours lors de l'acquisition immobilière.
Chapitre VI – Améliorer le traitement du contentieux de l'urbanisme
Enregistrement des transitions amiables (art. 24)
Autre clarification à l'article L 600-8 du CU dont la rédaction actuelle "n'est pas satisfaisante", faute de prévoir expressément qu'à défaut d'un enregistrement auprès des services fiscaux de la convention - accompagnant le désistement d'un recours contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager - "dans un délai d'un mois", la contrepartie prévue par une transaction est nulle.
Limiter la remise en cause des opérations exécutées conformément à l'autorisation de construire (art. 24)
Sur proposition du rapporteur de la commission des lois, Marc-Philippe Daubresse, le texte intègre une disposition directement inspirée du rapport de la conseillère d'Etat Christine Maugüé remis au ministre de la Cohésion des territoires en janvier dernier. Hasard du calendrier ? Le décret qui reprend de nombreuses autres préconisations de ce rapport a été publié au Journal officiel ce 18 juillet (lire notre article-ci dessous). Il s'agit ici de prévoir que, lorsque le bénéficiaire d'une autorisation a exécuté des travaux dans le respect de cette autorisation, il ne peut pas être poursuivi pénalement - "sauf fraude" - si cette autorisation s'avère non conforme aux dispositions du PLU applicable au moment où ces travaux ont été exécutés.