Discours de Quimper - Au coeur du "laboratoire" breton, Emmanuel Macron décline sa vision d'une "décentralisation de projets"
C'est un discours de pas moins de 1 heure 40 qu'Emmanuel Macron a tenu jeudi 21 juin à Quimper au terme de son déplacement de deux jours en Bretagne. Cette allocution fleuve déroulée devant un parterre d'élus aura principalement été centrée sur une série de "défis" spécifiques pour le territoire breton, qu'il s'agisse d'économie de la mer et de littoral (voir encadré ci-dessous) ou d'agriculture et de PAC. Il y fut aussi question de transports avec l'approche de la loi sur les mobilités, d'attractivité et de développement régional… et in fine, comme prévu, d'organisation territoriale. A l'approche de la réunion du Congrès à Versailles et de la Conférence nationale des territoires, verbatim de cette partie du discours présidentiel.
"Nous devons adapter l'organisation de l'Etat dans le territoire, et sans doute aussi un peu la relation entre l'Etat et le territoire. C'est tout le sens des engagements que j'ai pris lors de la Conférence nationale des territoires le 17 juillet dernier, au cours de laquelle j'ai indiqué vouloir rompre avec l'exercice jacobin des responsabilités publiques au profit d'une mise en œuvre partagée, concertée, des politiques publiques.
Il y a trois principes qui guident ma logique en la matière. Le premier principe, c'est que tous les territoires n'ont pas les mêmes atouts et donc le même rôle dans l'économie de demain, que nos politiques doivent s'adapter à ces réalités (…).
Le deuxième principe, c'es penser une nouvelle génération de la décentralisation (…). Ces dernières années, nous avons perdu beaucoup de temps dans des débats abscons sur la décentralisation des compétences. Des débats qui ont conduit à des guerres entre l'Etat et les collectivités (…) et des querelles entre les niveaux de collectivités. Est-ce que le transport scolaire devait revenir à la région ou au département ? Cela nous plonge collectivement dans des abymes de réflexion… On a perdu beaucoup de temps, on n'a réglé aucune situation. Je ne crois pas en une nouvelle étape de la décentralisation ou de la recentralisation, en tout cas en un débat théorique. Mais en une décentralisation de projet. Nos concitoyens veulent des solutions et des projets. Et donc je crois en l'organisation qui permet de leur apporter au plus vite et au mieux une réponse. Il y aura des territoires où il faut le faire avec la métropole ou la communauté de communes, d'autres où c'est avec le département, ou la région. Parfois c'est à l'Etat de le faire lui-même. Il faut être pragmatique, évaluer, changer l'organisation quand elle n'est pas la bonne. La différenciation territoriale pour s'appuyer sur les projets locaux et développer les solidarités entre collectivités, c'est, je pense, un bon principe.
Le troisième principe, c'est que nous devons investir dans les territoires, non pas dans un objectif défensif, mais dans un objectif offensif de transformation industrielle, agricole, sociale, pour accompagner les transitions (…). Je ne crois pas qu'il faille être dans un discours défensif – ce que j'entends quand on me dit 'vous ne savez pas parler à la campagne, la campagne il faut la protéger et la défendre'. Mais…allez vivre dans la campagne ! Les gens ne demandent pas à avoir des subventions et à être défendus ! Ils veulent pouvoir porter les projets comme les autres ! Ils veulent une politique aussi offensive qu'ailleurs, une politique de projets.
Pour répondre à cela, il me semble que la Bretagne est un bon laboratoire. Je voudrais faire de la Bretagne de cette décentralisation de projets. (…)
De nouvelles perspectives s'ouvriront, je l'espère, avec la révision constitutionnelle que j'appelle de mes vœux, qui permettra de reconnaître dans la constitution, avec un article 72 nouveau, un principe de différentiation territoriale. C'est-à-dire la possibilité pour une collectivité d'avoir des compétences ou une organisation différente des collectivités de même strate. Ce nouvel article 72, il permet de donner le cadre institutionnel, constitutionnel, aux trois principes que j'évoquais. (…) J'ai confiance dans nos parlementaires, je crois que cette réforme est attendue, elle est importante. (…)
[Concernant la réforme de l'Etat territorial] je partage votre proposition de coordonner l'ensemble des actions de l'Etat et de la région sur le territoire autour d'un contrat unique, sur la base des intercommunalités. (…) Je pense également nécessaire de poursuivre la délégation de compétences à la région Bretagne dans quelques domaines clefs pour son développement et son identité."
Du "bon sens" pour corriger les "aberrations" de la loi littoral
Emmanuel Macron a appelé ce 21 juin à Quimper à réformer "avec bon sens" la loi littoral de 1986, comme plusieurs élus le lui ont demandé au cours de sa visite en Bretagne. "La loi littoral est une bonne loi et sera préservée, mais elle a des aberrations", a déclaré le président de la République au cours de son discours face à des centaines d'élus bretons. "Nous avons construit une vision excessive" de cette loi, que l'"on n'arrive plus à expliquer avec bon sens". "Le tourisme littoral doit se faire dans le respect de la biodiversité (...) Mais vous n'êtes pas tombés dans le conservatisme qui fait que, tout en protégeant le littoral, plus aucun projet ne serait possible", a-t-il insisté en s'adressant aux élus. "Il faut un peu de pragmatisme, de bon sens pour aborder ce sujet". Et d’ajouter : "Nos élus en ont ! Les avancées commencées à l’Assemblée nationale seront poursuivies au Sénat [dans le cadre des discussions sur le projet de loi Elan] pour permettre de traiter" ces cas. Il a cité en exemple la difficulté de certaines communes côtières à réhabiliter un centre nautique ou des équipements sanitaires à cause de la loi. Il a aussi mis en avant l'exemple du groupe agroalimentaire Sill, qu'il a visité mercredi, qui n'a pu implanter une nouvelle usine dans l'agglomération de Brest, concernée par la loi, sur un terrain pourtant situé à plus de quatre kilomètres de l'océan.
Le président de la République souhaite également que le sujet des dents creuses (les parcelles vides situées entre deux bâtiments construits dans un même hameau), autre "aberration de la loi littoral", soit "corrigé" par le texte de loi Elan. "Sans rien changer des perspectives de l’exigence et de l’équilibre" de la loi littoral, "nous permettrons de mieux avancer, valoriser et avec pragmatisme, de faire".
Début juin, face aux protestations grandissantes, les députés ont lâché du lest sur des dérogations à la loi littoral initialement votées par la majorité en commission dans le cadre du projet de loi Elan, en faisant machine arrière ou en apportant des garanties. Ainsi a été supprimée la dérogation à la loi littoral qui étendait aux projets photovoltaïques ce qui est prévu actuellement pour les éoliennes. Un autre amendement LREM qui permet au cas par cas le comblement des "dents creuses" a lui été encadré par d'autres amendements de députés. Au final, le texte adopté le 12 juin à l’Assemblée nationale en première lecture prévoit la possibilité de densifier les formes urbaines intermédiaires entre le village et l’urbanisation diffuse, celle-ci ne devant s’appliquer ni dans la bande des 100 mètres, ni dans les espaces proches du rivage, ni même sur les rives des plans d’eau. Les députés renvoient par ailleurs au Schéma de cohérence territoriale (Scot) ou au Plan d'aménagement et de développement Durable de la Corse (Padduc) la responsabilité de définir les zones où pourront être comblées les dents creuses avec des logements et des équipements de service public qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages. Le projet de loi Elan doit désormais être examiné au Sénat.
A.L. avec AFP