Projet de loi Climat et Résilience : le Sénat charge encore la barque du logement
Le Sénat a adopté ce 25 juin les dispositions du projet de loi Climat et Résilience concernant la rénovation énergétique des logements et la diminution de la consommation d'énergie. Déjà fortement modifié lors de l'examen en commission des affaires économiques, le texte a encore été transformé et enrichi lors de son examen en séance publique.
Après l'Assemblée nationale (voir notre article du 5 mai 2021), le Sénat a adopté, le 25 juin, les dispositions du projet de loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets" (dit Climat et Résilience) relatives au logement (articles 39 à 45 quinquies). Déjà fortement modifié lors de l'examen en commission des affaires économiques (voir notre article du 7 juin 2021), le texte a encore été transformé et enrichi lors de son examen en séance publique. Le sort de plusieurs de ces dispositions nouvelles, adoptées contre l'avis du gouvernement, reste toutefois très incertain à l'occasion du passage du texte en commission mixte paritaire qui aura lieu le 12 juillet prochain et lors de son retour devant l'Assemblée.
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Le Code de la commande publique s'invite dans le logement
Le présent article traite uniquement des amendements introduits en séance publique. Pour ceux adoptés en commission, voir notre article du 7 juin 2021. Ainsi, le Sénat a adopté, malgré l'avis défavorable du gouvernement, un article (39 bis AAA nouveau) qui déroge au Code de la commande publique. Il autorise en effet l'État et ses établissements, ainsi que les collectivités territoriales et leurs établissements publics et leurs groupements, à recourir à un financement différé pour un marché global de performance conclu dans le cadre d'un contrat de performance énergétique. En pratique, la méthode consiste à faire financer tout ou partie des travaux par un tiers investisseur, qui se rémunère ensuite, sur une durée donnée, par les gains financiers associés à la réduction de la consommation d'énergie engendrée par les travaux entrepris.
Dans le même esprit, un autre article nouveau (39 bis D) autorise les prestataires, en cas de cotraitance dans les marchés privés de travaux et prestations de services inférieurs à 100.000 euros HT, à afficher une absence de solidarité juridique des cotraitants envers le client, maître d'ouvrage, sauf si ce dernier l'exige (ce qui, au demeurant, est généralement le cas envers des cotraitants). Ces deux articles, qui touchent à la commande publique, pourraient passer pour des cavaliers aux yeux du Conseil constitutionnel. En outre, on voit mal pourquoi ils devraient s'appliquer au seul cas de la rénovation énergétique.
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Un congé pour travaux d'économies d'énergie mieux encadré
Après l'avoir déjà fortement modifié en commission, les sénateurs ont apporté, en séance publique, plusieurs précisions à l'article 40, consacré à la réalisation de l'audit du diagnostic de performance énergétique (DPE). Ainsi, un amendement, applicable à compter de 2025, prévoit que la qualité de l'air intérieur "fait l'objet d'exigences spécifiques par typologie de bâtiments" et non plus globalement comme le prévoit la loi Elan du 23 novembre 2018. Autre précision apportée par amendement : les travaux portant sur les parois opaques ou vitrées donnant sur l'extérieur des bâtiments ainsi que ceux concernant les installations de ventilation et de chauffage "doivent, si nécessaire, s'accompagner de travaux complémentaires permettant de garantir un renouvellement suffisant mais maîtrisé de l'air" (au lieu de "ne doivent pas dégrader les conditions préexistantes de renouvellement d'air", comme le prévoit actuellement l'article L.153-1 du Code de la construction et de l'habitation)
Pour éviter les contentieux, un amendement de la rapporteure (Dominique Estrosi Sassone, LR, Alpes-Maritimes) atténue quelque peu la rédaction de l'article 42 bis AD, introduit en commission et qui autorise le bailleur à donner congé pour la réalisation de travaux d'économies d'énergie, sous réserve d'un préavis de six mois. Pour parer à d'éventuels abus, l'amendement précise que le fait de donner congé n'est possible que pour des travaux "nécessitant la libération des lieux".
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Missions étendues pour le SPPEH et sécurisation des agences locales de l'énergie et du climat
A l'article 43, qui précise notamment les missions et le fonctionnement du service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH), ainsi que le contenu de l'accompagnement des ménages, un amendement étend le champ de ce dernier. Outre l'appui à la réalisation d'un plan de financement et d'études énergétiques, ainsi que l'assistance à la prospection et à la sélection des professionnels – qui figuraient déjà dans le texte initial –, la mission d'accompagnement des opérateurs (qui peuvent être des collectivités) peut comprendre aussi "une évaluation de la qualité des travaux réalisés par ces professionnels".
Plusieurs amendements similaires insèrent dans le projet de loi un article 43 bis A, dont la finalité est de sécuriser le statut juridique des agences locales de l'énergie et du climat (Alec), créées par les collectivités territoriales et leurs groupements. En effet, ces "organisations de mission, indépendantes, autonomes, à but non lucratif" craignent qu'une partie de leurs prestations soient considérées comme relevant du domaine concurrentiel, ce qui les soumettrait aux impôts commerciaux, les exposant alors à un risque de rattrapage fiscal sur plusieurs années. L'article précise donc que les EPCI "à fiscalité propre peuvent s'appuyer sur les agences locales de l'énergie et du climat pour mettre en œuvre le service public de la performance énergétique". Il définit les Alec comme des "agences d'ingénierie partenariale et territoriale à but non lucratif" et leur assigne plusieurs missions, qu'elles exercent "en concertation avec les services déconcentrés de l'État et toutes personnes intéressées". Ces missions consistent en l'occurrence à :
- participer à la définition, avec et pour le compte des collectivités territoriales et leurs groupements, des stratégies énergie‑climat locales en lien avec les politiques nationales ;
- participer à l'élaboration des documents en matière énergie‑climat qui leur sont liés ;
- faciliter la mise en œuvre des politiques locales énergie‑climat par l'élaboration et le portage d'actions et de dispositifs permettant la réalisation des objectifs des politiques publiques ;
- fournir aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à l'État des indicateurs chiffrés sur les consommations et productions énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre, afin d'assurer un suivi de la mise en œuvre des politiques locales énergie‑climat et une évaluation de leurs résultats ;
- animer ou participer à des réseaux européens, nationaux et locaux, afin de promouvoir la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, de diffuser et enrichir l'expertise des territoires et expérimenter des solutions innovantes.
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Des aménagements pour le "prêt avance mutation"
Par ailleurs, un amendement du gouvernement crée un article 43 bis B prévoyant que l'Anah (Agence nationale de l'habitat) "peut, de manière additionnelle à ses missions [...], concourir au service public de la performance énergétique de l'habitat" (SPPEH). Bien que cela semble pour le moins évident, la liste limitative des missions de l'Anah dans le Code de la construction et de l'habitation obligeait à cette précision législative.
Un autre amendement du gouvernement, portant sur l'article 43 quater, réécrit les dispositions relatives au "prêt avance mutation", issu du rapport d'Olivier Sichel, le directeur de la Banque des Territoires, sur l'accélération de la rénovation énergétique (voir notre article du 17 mars 2021). L'objectif affiché est, en premier lieu, de "donner plus de marge de manœuvre au pouvoir réglementaire pour déterminer les modalités de remboursement du prêt avance mutation destiné à encourager la rénovation énergétique des logements". L'amendement apporte également plusieurs autres précisions, comme le fait que la fixation de conditions de ressources pour bénéficier de la garantie du fonds de garantie pour la rénovation énergétique (FGRE) reste optionnelle, la possibilité pour l'établissement prêteur de mobiliser le FGRE pour constituer une avance sur garantie ou encore le fait que l'estimation du bien lors de la formation du contrat peut être effectuée par la banque elle-même et non obligatoirement par un expert indépendant (ce qui, du coup, ne "sera pas nécessairement mis à la charge de l'emprunteur").
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Élargissement du plan pluriannuel de travaux et casse-tête du "droit de surplomb"
Consacré au plan pluriannuel de travaux, qui doit être élaboré à l'issue d'un délai de 15 ans à compter de la date de réception de la construction, l'article 44 a également fait l'objet d'un amendement en séance publique. Celui-ci étend le champ des actions relevant du projet pluriannuel de travaux aux actions conduisant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit notamment de répondre à une observation du Conseil d'État qui, dans son avis sur le projet de loi, s'inquiétait du fait que les sommes épargnées au sein du fonds travaux pourraient se trouver immobilisées sans objet, en l'absence de travaux identifiés. Au lieu des seuls travaux nécessaires à la réalisation d'économies d'énergie, l'amendement rend également éligibles aux financements du fonds travaux les installations permettant aux occupants et à leurs visiteurs de recourir à des modes de transport à très faibles émissions (emplacements pour vélos, installations de recharge de véhicules électriques ou de véhicules à hydrogène sur les emplacements de stationnement y compris ceux réservés aux visiteurs).
Un amendement à l'article 44 bis, adopté avec l'aval du gouvernement, tente d'améliorer le casse-tête du "droit de surplomb" instauré par cet article pour les travaux d'isolation d'un bâtiment par l'extérieur (ce qui peut poser des problèmes complexes de mitoyenneté). Cet amendement instaure donc un droit de "'tour d'échelle" au profit de la personne qui réalise les travaux d'isolation en l'assortissant de garanties, pour le propriétaire du fonds surplombé, similaires à celles dont il bénéficiera pour le droit de surplomb. Il prévoit aussi que – sauf accord entre les deux propriétaires – l'ouvrage d'isolation ne peut être réalisé qu'à deux mètres au moins au-dessus du pied de l'héberge (ligne sur le mur mitoyen séparant les bâtiments, formée par l'arête du bâtiment le moins haut), en plus du pied du mur et du sol. Il n'est pas difficile de prévoir que ces dispositions n'ont pas fini de fournir du travail aux juristes et aux tribunaux...
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Interventions étendues pour les ESH et les coopératives HLM
Un amendement de la rapporteure et plusieurs autres similaires introduisent un article 45 quinquies C qui ouvre aux ESH (entreprises sociales pour l'habitat, autrement dit les acteurs privés du logement social), la possibilité de réaliser pour le compte de tiers toute opération ou tous travaux de rénovation énergétique, le cas échéant via la création d'une filiale dédiée.
Dans le même esprit et par souci d'équilibre, plusieurs amendements similaires insèrent un article 45 quinquies D, qui donne aux coopératives d'HLM la capacité "à titre subsidiaire, de réaliser, pour le compte des collectivités territoriales et établissements publics associés, toute opération de construction, d'aménagement ou tous travaux de réhabilitation, d'entretien ou de rénovation notamment énergétique". Dans les deux cas (ESH et coopératives HLM), un amendement en commission avait déjà ouvert cette possibilité aux OPH (offices publics de l'habitat).
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Que retenir du passage du texte au Sénat ?
Au final, les principaux amendements adoptés par le Sénat en commission et en séance publique sur les dispositions du texte relatives au logement se traduisent principalement par l'appel à une extension et une accélération de la rénovation énergétique, afin d'atteindre l'objectif d'un parc immobilier au niveau BBC (bâtiment basse consommation) d'ici à 2050. Un "défi considérable", selon Dominique Estrosi Sassone, la rapporteure pour avis du projet de loi, qui rappelle, dans une interview à l'AFP, que "sur 29 millions de résidences principales, seulement 1,9 million sont classées A ou B selon le diagnostic de performance énergétique (DPE)". La sénatrice des Alpes-Maritimes estime néanmoins que le travail du Sénat sur le projet de loi "rehausse d'une façon importante l'ambition de rénovation énergétique".
Côté élargissement et accélération de la rénovation énergétique, le Sénat a instauré l'obligation de réaliser un audit énergétique en cas de vente de logements en mono-propriété appartenant à la classe D à compter du 1er janvier 2030, alors que le texte adopté par l'Assemblée prévoyait cette obligation uniquement pour les classes G et F (2022) et E (2025). De même, les sénateurs ont intégré dans la loi la date du 1er janvier 2048 pour la disparition des logements de classe D, en cohérence avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoyant un parc de bâtiment basse consommation (BBC) en 2050, composé de logements de classe A et B et – marginalement – de classe C. Ils ont également supprimé le décalage d'un an dont bénéficient, dans le texte initial, les logements F et E en outre-mer sur l'augmentation des loyers dans les logements les plus énergivores.
A l'inverse, un amendement, adopté contre l'avis du gouvernement, reporte à 2040 – au lieu de 2034 – la date à laquelle les logements de classe E seront considérés comme indécents. Le Sénat s'est montré sensible aux arguments des constructeurs, qui demandaient un report, mais plaide également le réalisme en s'appuyant sur le rapport d'Olivier Sichel. Dans l'entourage de la ministre de la Transition écologique, ce recul de six ans est en revanche vu comme un "signal négatif" qui devrait être retravaillé dans la perspective de la CMP.
Les mesures pour diminuer la consommation d’énergieLes sénateurs ont aussi modifié en séance les dispositions prévues au chapitre II du titre IV "Se loger" concernant les économies d'énergie. |