Logement social - Production de logements sociaux : la Vefa, c'est bien mais point trop n'en faut
"Malgré leur satisfaction quant à la qualité du produit final, la plupart des bailleurs interrogés envisagent de limiter la part de la Vefa dans leur production, voire de la diminuer par rapport à ce qu'elle représente actuellement". Ils souhaitent également "encadrer davantage cette activité, en limitant les acquisitions en copropriété et en développant des outils et des organisations internes leur permettant de maîtriser au maximum le produit final, depuis sa définition jusqu'à sa prise en gestion". C'est ce qui ressort d'une étude réalisée, entre 2007 et 2012, à la demande de la direction du fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts et de l'Union sociale pour l'habitat, sur 10 opérations acquises en Vefa par des organismes de logement social. Un échantillon certes non représentatif mais qui, selon les commanditaires de l'étude, permet de dégager "de nombreux points de consensus" pour ce mode de production qui représentait en 2014 33% de la production de logements sociaux, contre 9% en 2009.
Un mode de production favorisant la mixité sociale
Une synthèse de l'étude, publiée dans le n°7 de la revue Eclairages, rappelle que la production en Vefa a fortement augmenté à partir de 2010 (année où elle a atteint 27%) sous l'effet de la mise en oeuvre du Plan de relance pour le logement de 2008 et de sa mesure-phare le programme "30.000 Vefa" qui incitait les bailleurs sociaux, dans un contexte de crise immobilière, à acquérir des opérations bloquées menées par des promoteurs privés (voir notre article du 7 octobre 2008).
Parallèlement, les politiques locales pour l'habitat se saisissaient de l'enjeu de mixité sociale (contraintes ou non par la loi SRU) et développaient des programmes mixtes de logements. La localisation du programme est d'ailleurs l'une des deux motivations avancées par les bailleurs pour expliquer leur recours à la Vefa (l'autre étant de remplir leurs objectifs de production).
Surmonter les réticences des collectivités à produire du logement social
Ce n'est donc pas un hasard si "la production de Vefa s'est notamment développée dans les régions où la politique foncière des collectivités était peu développée", et, plus généralement, "dans des communes attractives ou des centres urbains inaccessibles pour le bailleur social en maitrise d'ouvrage directe". Autrement dit, là où auparavant les bailleurs sociaux rencontraient le plus de "difficultés à s'implanter seuls (...) en raison des coûts du foncier, des réticences de la collectivité à construire une opération de logement social et à s'engager avec un opérateur HLM, ou encore de l'image que peut véhiculer le logement social auprès des concitoyens". Ce qui justifie, aux yeux des bailleurs sociaux interrogés dans l'étude, les surcoûts des opérations en Vefa (estimés à 6% hors Ile-de-France).
Petit bémol toutefois : les trois quarts des opérations réalisées en Vefa sont financées par des prêts PLUS.
Une vraie collaboration avec les promoteurs
La localisation des immeubles, la qualité des logements et des prestations et la bonne image de ces programmes auprès des élus et des locataires : voilà pourquoi "les organismes de logement social sont globalement satisfaits de leurs acquisitions", résument les auteurs de la synthèse. D'autant que les 10 organismes HLM rencontrés ont dit collaborer à la définition du produit qu'ils achètent (de manière "significative" pour 7 des 10 bailleurs interrogés). "Cette collaboration est favorisée par l'homogénéité croissante entre produits du secteur social et du secteur privé : dominante de T2/T3, uniformisation des surfaces et nivellement global par le haut de la qualité des immeubles en raison de la réglementation thermique et des normes d'accessibilité", si bien que "les programmes acquis en Vefa correspondent globalement aux standards HLM". On serait donc bien loin des injonctions du programme "30.000 Vefa" de 2008.
La gestion locative : toujours un objet de discussion
Mais s'il y a désormais convergence entre les bailleurs sociaux et les promoteurs privés sur le produit final, il existe encore des divergences d'intérêt entre la gestion locative sociale et privée, notamment au niveau des annexes des logements (locaux communs, espaces verts, balcons, etc.) et de la maîtrise des charges. "Si les bailleurs cherchent à positionner les locaux communs (vide-ordures, vélos/poussettes, parkings, entretien) dans des lieux aisément accessibles et à les équiper qualitativement, ceux-ci sont plus souvent négligés par les promoteurs, qui par exemple les positionnent plutôt dans les sous-sols. Certaines opérations comprennent des espaces verts importants qui, s'ils participent de fait de la qualité d'usage du programme, se traduisent aussi par la nécessité de prévoir des modalités d'entretien et donc des charges supplémentaires pour les locataires", souligne l'étude.
Les bailleurs sociaux préfèrent acheter des immeubles complets
"La production en Vefa implique souvent une mixité de logements sociaux et privés, et donc une gestion partagée de l'immeuble. Cette gestion en copropriété peut poser problème pour les bailleurs, en raison de charges moins maîtrisées et donc plus élevées pour les locataires, de difficultés à maîtriser le fonctionnement de l'immeuble ou de contraintes de présence aux réunions de copropriétés", lit-on dans la synthèse de l'étude. Voilà pourquoi "la plupart des organismes HLM interrogés souhaitent privilégier l'achat de parties de programmes immobiliers dissociables du reste de la copropriété", et même "si possible l'achat en Vefa d'immeubles complets".
La prise en gestion des copropriétés dans lesquelles ils ont acheté des logements en Vefa a été peu évoquée par les organismes interrogés, bien que certains en aient la compétence juridique. "Au-delà du fait que leur positionnement dans l'élaboration des programmes ne leur permettait généralement pas d'envisager une telle intervention, le développement d'une activité de syndic reste clairement un sujet mineur dans les perspectives des bailleurs", expliquent les auteurs de l'étude.
Quid en cas de changement de conjoncture immobilière ?
Les soucis de gestion locative ne seraient pas insurmontables. Si les bailleurs sociaux restent prudents sur la Vefa, au point d'envisager d'en réduire la part dans leur mode de production de logements, c'est parce qu'ils mesurent "le risque de perte des savoir-faire internes en matière de maîtrise d'ouvrage", parce que la maîtrise d'ouvrage directe "reste, selon eux, un outil précieux en matière de performances et d'innovation", mais aussi "pour faire face à un éventuel changement de conjoncture moins favorable à ce mode de production".
Car les organismes HLM sont en effet "bien conscients que le développement très rapide de la Vefa dans la production s'inscrit dans une conjoncture défavorable aux promoteurs privés". Dès lors, "le redémarrage économique de cette activité pourrait avoir pour conséquence une désaffection des promoteurs pour le secteur social", anticipent-ils. Sans compter (mais la synthèse de l'étude ne le dit pas) que des opérations immobilières plantées, ou retardées, faute de commercialisation des logements libres, mettent à mal l'ensemble de la programmation, y compris les 30% de logements sociaux prévus (voir notamment nos articles ci-contre du 12 et du 19 juin 2014).
Vefa justifiées, Vefa injustifiées
Deux ans après la conduite de cette étude, le livre blanc de l'Aorif (Union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France ) recommandait sans détour de lever le pied sur la Vefa (voir notre article du 9 juillet 2014). Motifs : "la Vefa rend la production de logement social directement dépendante de la conjoncture immobilière"; "la Vefa fragilise dans la durée la capacité de maîtrise d'ouvrage des organismes de logement social" ; "la Vefa remet en cause le rôle contra-cyclique de la production HLM".
Selon les organismes HLM franciliens, le recours à la Vefa ne devrait se justifier que lorsque l'accès au foncier par les organismes de logement social ou l'équilibre financier d'une opération ne sont pas assurés autrement. L'été dernier Stéphane Dambrine, président de l'Aorif, estimait que seule la moitié des Vefa était des "Vefa justifiées".