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Environnement - Procès de l'Erika : le gouvernement veut intégrer la notion de préjudice écologique dans la loi

"Un grand jour pour le droit de l'environnement, non seulement en France mais aussi dans le monde entier, compte tenu de l'interprétation faite par la plus haute juridiction judiciaire française de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer." Delphine Batho, ministre de l'Écologie, et Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des Transports ont salué en ces termes le 26 septembre la décision rendue la veille par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a confirmé les condamnations prononcées dans le dossier de la marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika en décembre 1999 (lire notre article ci-contre).
Pour les deux ministres, "il y aura un avant et un après procès de l'Erika. La reconnaissance du principe pollueur/payeur dans le droit maritime international, la confirmation de la responsabilité pénale de l'ensemble des acteurs de la chaîne du transport maritime notamment d'hydrocarbures, la consécration de la réparation au plan civil d'un 'préjudice écologique' sont des avancées majeures en matière de protection de l'environnement". Ils jugent maintenant que la notion de préjudice écologique, dégagée par la Cour de cassation, "doit être intégrée dans notre dispositif législatif". Une mission confiée à un comité de juristes spécialistes du droit de l'environnement sera mise sur pied "dans les prochains jours", ont-ils annoncé. Dans leur communiqué commun, Delphine Batho et Frédéric Cuvillier souhaitent aussi que la France prenne "une initiative forte pour que la prochaine assemblée générale des Nations-Unies acte le principe d'un protocole additionnel à la Convention de Montego Bay pour construire une protection juridique internationale de la haute mer".

Les collectivités soulagées

Les collectivités locales victimes de la marée noire de l'Erika ont largement salué la décision de la Cour de cassation. Vigipol, le syndicat mixte de protection du littoral breton représentant le conseil régional de Bretagne et plusieurs dizaines de communes touchées par la marée noire, s'est "réjoui" mardi dans un communiqué de la décision de la cour. L'association bretonne, partie civile dans le dossier, a ajouté que "même lorsque les premières décisions de justice semblent favorables, rien n'est jamais acquis en matière de pollution maritime". "En vertu de la supériorité des textes internationaux sur le droit national, il est indispensable d'agir aussi au niveau européen et international pour faire reconnaître la légitimité de l'Etat côtier de juger les responsables d'une pollution de son littoral", poursuit l'association, en ajoutant que la Cour de cassation "a apporté des arguments majeurs en ce sens".
"La mer n'est plus une zone de non-droit", a pour sa part réagi le président socialiste du conseil régional de Bretagne Pierrick Massiot, dans un communiqué. "La justice française vient de montrer la voie, mais d'autres combats nous attendent", a-t-il ajouté. "La région Bretagne, qui préside actuellement la Conférence des Régions périphériques maritimes d'Europe (CRPM), continuera à défendre les droits des territoires maritimes et de leurs habitants contre les catastrophes environnementales. La prochaine étape se jouera en Espagne au procès du Prestige (pétrolier naufragé au large de l'Espagne en 2002, NDLR)", a-t-il poursuivi. "C'est la fin de l'impunité, le début d'une nouvelle ère pour le droit des mers", a estimé de son côté Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, ancien président de la région Bretagne et rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur l'Erika. Les juges reconnaissent "la compétence des juridictions de l'Etat français à juger les pollueurs des mers lorsqu'ils souillent leur littoral" et "l'existence du préjudice écologique, en d'autres termes le droit des collectivités à défendre leur patrimoine", s'est-il réjoui. La décision de la Cour de cassation "consacre véritablement le principe du "pollueur-payeur", s'est félicité Norbert Métairie, le président de Lorient Agglomération.
Jacques Auxiette, président de la région Pays-de-la-Loire, a salué "une victoire totale, et quelque peu inespérée" : "Cela prouve aussi que dans l'état actuel du droit, il y a des interprétations à 360 degrés". L'avocat général de la Cour de cassation avait en effet estimé au printemps que la justice française n'était pas compétente pour juger des responsabilités dans l'affaire de l'Erika. "Cette décision constitue un socle très important pour le droit maritime. Nous allons mettre en place dans les semaines qui viennent, avec les régions concernées de l'Ouest, un travail juridique pour l'analyse des 300 pages" de l'arrêt de la Cour de cassation, "pour voir ce qui doit être précisé au niveau du droit français, européen et international", a ajouté Jacques Auxiette. "C'est une décision qui fera réfléchir l'ensemble des compagnies pétrolières sur l'organisation du transport maritime", a estimé Me Jean-Pierre Mignard, avocat de plusieurs collectivités. "La mer n'est pas une zone de non droit, n'est pas une zone d'impunité. (...) Demain nous savons que les navires poubelles seront santionnés de la manière la plus dure", a renchéri Bruno Retailleau, président du conseil général de la Vendée.