Environnement - Catastrophe de l'Erika : la possible annulation de la procédure judiciaire suscite l'indignation générale
La Cour de cassation, qui devrait se prononcer le 24 mai prochain, pourrait annuler toute la procédure judiciaire qui a fait suite au naufrage le 12 décembre 1999 au large de la Bretagne du pétrolier Erika si elle suivait l'avis de l'avocat général qui a été transmis récemment aux parties civiles. L'avocat général Didier Boccon-Gibod conclut en effet à "la cassation sans renvoi" de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en faisant valoir que la justice française n'était pas compétente car le naufrage est survenu en dehors des eaux territoriales et le navire qui transportait du carburant pour Total battait pavillon maltais.
"Toutes les remarques de l'avocat général avaient été évoquées en première instance et en appel par les représentants du navire", a indiqué à l'AFP la directrice de l'association bretonne Vigipol, Sophie Bahé, en ajoutant qu'une annulation serait "scandaleuse, mais pas aberrante". Mais les avocats des collectivités territoriales dans le dossier Erika soulignent à l'inverse que "ce serait en vain qu'on dissocierait le lieu de survenance de celui des effets puisque c'est le délit de pollution et non le naufrage en tant que tel qui a été poursuivi", déclarent Me Jean-Pierre Mignard et Me Emmanuel Tordjman dans un communiqué commun. Ces avocats ont également souligné qu'à ce stade, la décision n'était pas encore prise et que "seuls les magistrats de la chambre de la Cour de cassation sont souverains". Une précision utile tant la publication de l'avis de l'avocat général a suscité l'indignation des élus, toutes tendances confondues, comme des associations.
La notion de préjudice écologique remise en cause
"La Cour de cassation s'apprête à ramener la France dix ans en arrière en matière de préjudice écologique", s'est inquiété le 6 avril Jacques Auxiette, président socialiste de la région Pays-de-la-Loire, une des principales parties civiles au dossier. "Plus de douze années de combat des collectivités locales, en particulier les régions Pays-de-la-Loire, Bretagne et Poitou-Charentes, mais aussi des associations, risquent d'être balayées", a-t-il ajouté. Même colère dans le camp politique adverse, chez Danielle Rival, maire UMP de Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique), une des communes les plus touchées par la catastrophe. "Ce n'est pas normal qu'il n'y ait pas de condamnation de Total, même si c'est une entreprise qui crée beaucoup d'emplois. Vous vous rendez compte, ils pourront recommencer", a-t-elle dit.
Corinne Lepage, avocate de plusieurs communes du littoral, s'est dite "particulièrement étonnée" des conclusions de l'avocat général : "La chambre civile de la Cour de cassation a eu antérieurement une position contraire, jugeant que le principe pollueur-payeur était d'ordre public et s'imposait au reste." La question des indemnisations ayant été traitée séparément au civil, "ça ne change rien sur le plan financier, mais ça change tout pour la jurisprudence", a-t-elle souligné. "Qui aurait après ça un intérêt économique à faire de la sécurité ?" a-t-elle interrogé.
Pour l'avocat de Total, Me Daniel Soulez-Larivière, l'analyse de l'avocat général de la Cour de cassation "conforte" ce que Total avait dit au procès sur "l'incompatibilité entre les traités internationaux et le Code pénal français". "Il y a un problème de droit à régler et il est important pour la sécurité juridique qu'il soit réglé de façon certaine" par la Cour de cassation, a-t-il dit. Il a souligné que les "171 millions d'euros" de dommages et intérêts versés par Total aux parties civiles à l'issue du premier procès, en 2008, ne seraient pas remis en cause si la Cour de cassation suivait l'avis de l'avocat général, "pas plus que les 200 millions d'euros versés par Total" notamment pour le nettoyage des plages.
Le 12 décembre 1999, l'Erika avait fait naufrage au large de la Bretagne avec 37.000 tonnes de fioul à bord et une marée noire avait massivement touché les côtes bretonnes et vendéennes le 25 décembre. La cour d'appel de Paris a confirmé, le 30 mars 2010, au plan pénal, les condamnations pour pollution maritime à l'encontre de la société de classification Rina, ainsi que du propriétaire et du gestionnaire du navire. Elle a retenu contre Total SA une imprudence dans la sélection du navire qui lui a valu une amende de 375.000 euros et le groupe pétrolier a formé un pourvoi en cassation pour contester cette condamnation au pénal.
La Cour de cassation peut ou non suivre l'avis de l'avocat général. Sa décision ne sera pas forcément connue dès le 24 mai car elle peut la mettre en délibéré.